Point sur la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’IVG.

« Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme – je m’excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame… » 

Simone Veil, lors de son discours portant sur la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, à l’Assemblée nationale, le 26 novembre 1974.

Introduction

Suite à la décision de la Cour suprême des Etats-Unis, en juin 2022, de ne plus reconnaître l’avortement comme un droit fédéral, plusieurs parlementaires français ont déposé des propositions de loi constitutionnelle pour réviser la Constitution afin d’y inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse. On s’intéressera notamment à la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception déposée en octobre 2022. 

I. Qu’est-ce qu’une proposition de loi constitutionnelle ?

Une proposition de loi constitutionnelle est un texte porté par des membres du Parlement, députés ou sénateurs, dans le but de réviser la Constitution. Elle se distingue du projet de loi constitutionnel en ce que celui-ci doit être à l’initiative du pouvoir exécutif, c’est-à-dire, du gouvernement. L’article 89 de la Constitution vient ainsi encadrer le projet et la proposition de loi constitutionnelle, dont le processus d’adoption est assez similaire.

L’article 89, alinéa 1 et 2, de la Constitution dispose que : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement.

Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l’article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum. »

Ainsi, une proposition de loi constitutionnelle doit, en premier lieu, être adoptée par les deux assemblées parlementaires, en des termes absolument identiques, avant d’être, en second lieu, soumise obligatoirement à référendum.

II. Que dit la proposition de loi ?

La proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire, dans la Constitution, le droit à l’IVG a été déposée à l’Assemblée nationale en octobre 2022 par la députée, membre du groupe La France insoumise, Mathilde Panot. Il s’agissait de compléter la Constitution, par un nouvel article 66-2 qui disposerait que : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits. »

La proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grosse et la contraception a été adoptée par l’Assemblée nationale en novembre dernier. Toutefois, le Sénat a souhaité, le modifier entièrement, en février dernier, en l’inscrivant à l’article 34 de la Constitution relatif au domaine de la loi, par la phrase suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. ». Le Sénat a ainsi préféré reconnaitre une liberté à recourir à l’IVG plutôt qu’un droit. Le texte n’ayant pas été adopté en des termes identiques, la proposition de loi constitutionnelle est ainsi retournée à l’Assemblée nationale.

III. Enjeux et critiques

Nombreux sont les parlementaires et les juristes à s’interroger sur la nécessité ou non d’inscrire, au sein de la Constitution, le droit à l’IVG.  

Reconnaitre le droit à l’avortement au sein de la Constitution pourrait accorder une protection plus efficiente à ce droit. Comme vu précédemment, par rapport à une loi ordinaire, la Constitution exige une procédure particulière et plus stricte pour être modifiée. Toutefois, si la révision est difficile, elle n’est pas impossible. La Constitution a déjà fait l’objet de 24 révisions depuis 1958. 

Par ailleurs, inscrire le droit à l’IVG pourrait permettre au Conseil constitutionnel, s’il est saisi d’une loi ordinaire qui viserait à restreindre, voire même à interdire l’IVG, de pouvoir la juger non conforme à la Constitution. Certains ont néanmoins fait valoir que cette révision constitutionnelle n’est que purement symbolique et n’aurait aucun effet sur le droit dans la mesure où, en premier lieu, la loi pourrait toujours fixer les conditions d’accès à l’IVG, puis, en second lieu, le Conseil constitutionnel a déjà reconnu le droit de recourir à un avortement comme une liberté de la femme, découlant de l’art. 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (Décision n°2017-747 DC du 16 mars 2017). Toutefois, cela lui conférerait une véritable protection constitutionnelle autonome, le Conseil constitutionnel n’ayant toujours pas reconnu à ce jour, le droit à l’IVG comme un droit fondamental. 

Enfin, d’autres universitaires s’interrogent sur la place du droit à l’IVG au sein de la Constitution. Il faut rappeler que tous les articles de la Constitution ont la même valeur constitutionnelle. 

À l’origine, la proposition de loi constitutionnelle prévoyait de l’insérer dans un nouvel article, après l’art. 66-1 de la Constitution consacré à l’abolition de la peine de mort au sein du Titre VIII relatif à l’autorité judiciaire, ce qui peut interroger sur sa pertinence. 

Ensuite, le Sénat a souhaité consacrer ce droit au sein de l’article 34 relatif au domaine de la loi en ajoutant une compétence du législateur. Cet ajout semble également contesté en ce qu’elle ne permettrait pas une véritable garantie. Ainsi, certains juristes préconisent de consacrer ce droit au sein de l’article 1er de la Constitution, aux côtés d’autres principes tels que le principe de parité, l’égalité, la laïcité, etc. 

Conclusion

Depuis lors, le texte n’a pas fait l’objet d’une nouvelle relecture, ni à l’Assemblée nationale, ni au Sénat. Dans l’histoire de la Ve République, aucune des 150 propositions de loi constitutionnelle déposées n’a été adoptée. Pour réviser la Constitution, il est généralement privilégié de passer par un projet de loi constitutionnelle qui peut être adopté, soit par référendum comme la proposition de loi constitutionnelle, soit par un vote, en Congrès, c’est-à-dire, par la réunion des députés et des sénateurs, à la majorité des trois cinquième des suffrages exprimés (art. 89, alinéa 3 de la Constitution). Emmanuel Macron a récemment annoncé, le 08 mars 2023, lors d’un hommage national à l’avocate Gisèle Halimi, son projet d’inscrire « la liberté des femmes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse » au sein de la Constitution, dans le cadre d’un projet de loi constitutionnel de plus grande ampleur et d’une réforme plus large des institutions. À suivre…

Pour aller plus loin :

HENNETTE-VAUCHEZ Stéphane, ROMAN Diane, SLAMA Serge, « Pourquoi et comment constitutionnaliser le droit à l’avortement », La Revue des Droits de l’Homme, Juillet 2022

https://journals.openedition.org/revdh/14979

Pierre-Maxime DUCA-DENEUVE

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