La « budgétisation verte » : nouvel outil préalable d’analyse au service du développement durable ?

Concilier l’ensemble des objectifs du développement durable est crucial pour se conformer aux exigences des accords de Paris de 2015 et à l’article L.110-1-II du Code de l’environnement. Cependant la pratique révèle des conflits lors de la concrétisation des projets tendant à y répondre. (I)

Une évaluation, précise et chiffrée, de tous les éléments susceptibles d’influencer le développement durable semble alors nécessaire.

Sur une initiative du Président Emmanuel Macron, le « One Planet Summit » est lancé dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à Paris le 12 décembre 2017.

Dans ce cadre le projet de « Green Budgeting » est mis en œuvre afin de concevoir de nouveaux outils innovants permettant d’évaluer les dépenses et les recettes nationales sous le prisme des objectifs climatiques et environnementaux. (II)

  1. Le « développement durable » ou l’ambition de concilier les impératifs du présent et la nécessaire préservation de l’avenir

« Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » telle est la définition du développement durable, proposée par Madame Gro Harlem Brundtland, alors Première Ministre de la Norvège, lors la Commission mondiale de l’ONU sur l’environnement et le développement en 1987.

Cette notion de développement durable apparaît dès les années 1970 dans des écrits scientifiques et des textes internationaux. Le rapport du Club de Rome intitulé « Halte à la croissance » de 1972 y fait référence de même les rapports sur les congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Cette notion finira par être officialisée en 1992 lors du Sommet de la Terre à Rio. Elle repose sur trois piliers interdépendants, économique, social et environnemental et sera consacrée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).

Ainsi pour qualifier une pratique de durable, elle doit combiner :

  • Des qualités environnementales qui auront pour objectifs de limiter ses impacts sur l’environnement et de préserver les écosystèmes et les ressources naturelles,
  • Des valeurs sociales garantissant à tous les membres de la société un accès à l’éducation, la santé, l’alimentation, le logement, c’est-à-dire tous les services minimums pour pouvoir vivre. L’objectif ici est de promouvoir l’équité sociale afin de réduire les inégalités sociales et de maintenir une cohésion sociale.
  • Une efficacité économique en lien avec l’équité sociale, puisque cette notion d’efficacité permettrait, par la création d’emploi, de réduire la pauvreté. Cette efficacité économique sera limitée par l’absolue nécessité d’une gestion saine des activités humaines, c’est-à-dire une gestion qui ne saurait être préjudiciable à l’Homme et son environnement.

En outre la loi Barnier du 2 février 1995 s’inspirant du rapport Brundtland et de la déclaration de Rio de 1992 précise que la protection, la mise en valeur, la restauration et la remise en état des espaces, des ressources et milieux, des paysages, de la qualité de l’air, des espèces animales ou végétales « concourent à l’objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. » (Article L.110-1-II Code de l’environnement).

Théoriquement, la notion de développement, qui fait référence à l’amélioration des performances d’une société et le qualificatif de durable qui se rapporte aux notions de durée de vie, de stabilité et de permanence se complètent naturellement. En effet le fil directeur de la notion de « développement durable » est que productivité globale et politiques environnementales peuvent aller de pair.

Cependant dans la pratique cela ne se fait pas spontanément.

Par exemple un projet local de rénovation d’une friche industrielle, intégrant un campus créateur d’emplois et impulseur d’activités économiques, qui utiliserait la géothermie comme source d’énergie, serait alors vu comme un projet favorisant à la fois l’activité économique et la production d’énergie propre et renouvelable. Cependant un tel projet, qui pourrait être qualifié conforme au développement durable, impacterait irrémédiablement la biodiversité qui s’est réappropriée les lieux, depuis que cet ancien site est devenu friche industrielle.

Nous nous retrouvons alors devant un conflit d’usage, conflit désignant l’usage contradictoire d’un même espace, d’une même ressource vis-à-vis soit d’un point de vue environnemental strict, soit de l’environnement valorisé par le développement durable.

Il en ressort qu’une évaluation, précise et chiffrée, de tous les éléments susceptibles d’influencer le développement durable semble alors nécessaire.

Sur une initiative du Président Emmanuel Macron, le « One Planet Summit » est lancé dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cette initiative a pour but de rassembler, d’identifier et d’accélérer le financement de différentes solutions en faveur du climat, de la biodiversité et des océans.

Ce sommet, rassemblant de nombreux décideurs de tous horizons, s’est tenu pour la première fois à Paris, le 12 décembre 2017.

Dans ce cadre le projet de « Green Budgeting » a été lancé. Il vise à concevoir de nouveaux outils innovants permettant d’évaluer les dépenses et les recettes nationales sous le prisme des objectifs climatiques et environnementaux.

Aligner la direction politique nationale et les finances de l’État sur un même objectif de développement durable du point de vue environnemental est crucial pour la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat adopté le 12 décembre 2015.

Malgré ces dispositions, la baisse des émissions de gaz à effet de serre est estimée, entre 2018 et 2019, à 0,9% alors qu’elle devrait être de 1,5% par an puis de 3,2% à partir de 2025. En conséquence la France a été condamnée par le tribunal administratif de Paris en 2021 pour « carences fautives dans la lutte contre le réchauffement climatique ».

L’État ne peut et ne doit pas être le seul acteur de ce changement. L’évaluation des impacts environnementaux, économiques et sociaux de l’activité humaine ne peut que se cantonner à un territoire spécifique, territoire qui ne reflète pas forcément les découpages administratifs. La question de la délimitation d’un territoire fera donc également l’objet de concertations et de réflexions sur les plans scientifique, technique, politique, économique, sociologique et écologique afin que ce territoire ainsi délimité puisse présenter une certaine cohérence sur le plan de son environnement.

Les collectivités territoriales ont ainsi un rôle déterminant à jouer dans la lutte contre le changement climatique. À cette fin le législateur a créé différents outils comme le plan climat-air-énergie territorial (PCAET) qui est un projet territorial de transition énergétique et écologique. Le législateur a, en outre, opéré un transfert de compétences en matière notamment d’urbanisme, de transports collectifs, d’eau et d’énergie et a favorisé le financement par les collectivités territoriales des dépenses d’investissement.

Les collectivités territoriales doivent pouvoir ainsi mesurer le niveau et la réalité de leur contribution à la transition écologique. L’évaluation des différents éléments du budget susceptibles d’impacter l’environnement ou un pilier du développement durable est cruciale puisqu’elle permet de faire un état des lieux de l’existant. Dans cette perspective, l’État en 2020, puis le suivant de près, plusieurs grandes collectivités comme Lille, Lyon, Bourg-en-Bresse, ont procédé à leurs premières évaluations budgétaires dans le but d’identifier les éléments impactant l’environnement.

  1. Le budget vert : un subtil équilibre entre exhaustivité et faisabilité

Concrètement la budgétisation « verte » se traduit par l’évaluation des lignes budgétaires au regard des engagements environnementaux nationaux et internationaux.

Cependant cette appellation ne traduit pas la diversité des applications auxquelles elle renvoie. Il existe différentes méthodes d’évaluation du budget se retrouvant à différents échelons du développement durable et prenant en compte différents critères.

Le « budget carbone » se positionne uniquement à l’échelle environnementale et ne prend en compte que le seul critère d’atténuation du changement climatique. Il permet de calculer, pour un territoire donné, le volume de gaz à effet de serre à émettre au maximum pour rester dans l’objectif de neutralité carbone. Cette méthode a été appliquée dans la ville d’Oslo en Norvège.

Elle permet de donner une trajectoire climatique à un territoire donné et favorise les discussions, les échanges entre les différents acteurs de la collectivité concernée.

Cependant cette évaluation se limite uniquement au prisme carbone. Elle nécessite également des moyens importants pour mesurer les émissions. 

Ces émissions, produites en partie par des acteurs extérieurs à la collectivité, nécessitent donc de mobiliser des moyens supplémentaires pour pouvoir négocier avec ces acteurs.

Le « budget vert » se saisit uniquement du pilier environnemental et prend en compte les critères d’atténuation et d’adaptation du changement climatique.

Celui-ci permet d’opérer une évaluation des dépenses et recettes d’après une méthode pragmatique (méthodologie I4CE) de classification selon un code couleur (défavorable, favorable, neutre et indéfini).

Cette évaluation apporte une vision annuelle de l’impact climatique du budget. Elle a été appliquée au sein de nombreuses collectivités et à différentes échelles sur le territoire national comme la commune de Betton, le Grand Bassin de Bourg-en-Bresse, l’Eurométropole de Strasbourg.

Cependant cette évaluation se cantonne aux mesures budgétaires comptabilisées. Certaines problématiques se posent alors : comment prendre en compte et valoriser la non-dépense, le renoncement, la sobriété ?

Le « budget pondéré » permet de calculer la somme des dépenses favorables à l’environnement selon une estimation de leur impact.

Cette démarche permet de se saisir de l’ensemble des enjeux financiers d’une collectivité relatifs au changement climatique. Cependant cette méthode ne reste encore que trop peu utilisée ce qui ne favorise pas la clarté de la démarche et les échanges d’expériences.

Comme exemple de son application on peut citer la commune de Mérignac.

La méthode de comptabilité socio-environnementale se situe à l’échelle du développement durable et prend en compte l’ensemble de ses trois piliers. Sa méthodologie de comptabilité socio-environnementale peut relever d’une approche extra-financière ou financière.

Ainsi cette méthode permet de mettre en relation les trois piliers du développement durable et de balayer un très large champ de problématiques.

Cependant une telle démarche est complexe à mettre en oeuvre, elle relève encore du champ de la recherche. On ne retrouve pas d’expérimentation concrète d’une telle analyse.

La méthode se basant sur les objectifs de développement durable (ODD) prend également en compte l’ensemble des enjeux du développement durable. Elle s’applique selon différentes manières sur les territoires et consiste à évaluer l’impact du budget au regard des 17 objectifs de développement durable fixés par l’ONU dans l’agenda 2030.

On retrouve des exemples de son application au sein de la ville de Pessac (Bordeaux Métropole) et de l’Eurométropole de Strasbourg.

Cette démarche permet d’avoir une vision d’ensemble des actions positives de la collectivité par rapport aux objectifs de développement durable. Cependant cette démarche reste non exhaustive, elle met difficilement en lumière les actions défavorables au développement durable. De plus les objectifs se matérialisent par un nombre très élevé de cibles (169) et il est ainsi difficile de pouvoir mobiliser un territoire local à l’ensemble de ces objectifs.

La démarche de budget vert facilitera ainsi la cohérence du pilotage budgétaire au regard des ambitions environnementales de la collectivité, améliorera la transparence et la démocratisation des politiques publiques, renforcera le dialogue, la cohésion, la collaboration entre les services et valorisera l’image de la collectivité par son exemplarité environnementale (par exemple le label « Cit’ergie »).

Malgré des avantages indéniables, le lancement d’une démarche de budgétisation verte peut être source de complications.

De nombreuses discussions et débats seront soulevés sur les moyens permettant d’évaluer une dépense. En effet la méthode I4CE repose sur des hypothèses structurantes permettant de classer aisément une dépense en favorable ou en défavorable.

Cependant ces hypothèses ne sont pas exhaustives et ne s’adaptent pas à tout type de territoire. Il est ainsi difficile d’établir une méthodologie unique susceptible d’être partagée par tous. Les collectivités territoriales se doivent d’entreprendre cette démarche selon leurs propres réalités territoriales.

Une telle démarche est alors potentiellement chronophage et peut avoir un certain coût financier lorsqu’il est nécessaire de trancher sur l’évaluation d’une dépense.

En effet les collectivités se voient confrontées au problème de ne pas avoir les capacités nécessaires pour évaluer objectivement l’impact environnemental d’une dépense. Devraient-elles, dans ce cas, effectuer des expertises coûteuses par des cabinets spécialisés ?

Devant l’ampleur de la tâche, un risque de délaissement de la part des services doit être envisagé et un équilibre doit être maintenu entre exhaustivité et faisabilité.

Cette évaluation contribuera à apporter des solutions permettant de réduire l’impact environnemental des politiques budgétaires et fiscales, tout en proposant une démarche opérationnelle.

La méthodologie I4CE, construite avec les collectivités et se fondant sur des justifications scientifiques solides, se base sur un seul critère environnemental, le climat. À ce titre cette méthode semble pour le moment, la plus opérationnelle et adaptée à l’analyse environnementale des budgets des collectivités.

Sornin Xavier

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