L’impact de la fast fashion sur l’environnement et sur les droits fondamentaux

« La mode passe, le style reste » Yves Saint-Laurent

De même que le style, les impacts environnementaux et sociaux s’inscrivent dans le temps. S’habiller est important, cela reflète notre humeur, notre créativité et ce que nous souhaitons révéler au monde. Dès le XIVe siècle, la mode est un faire-valoir, elle est le miroir de la condition sociale et sert à distinguer les aristocrates des classes populaires.

La fast fashion est un modèle économique de production et de vente de vêtements à bas prix et en grande quantité. Selon Audrey Millet, autrice du « Livre noir de la mode », chercheuse à l’Université d’Oslo sur les écosystèmes de la mode, la « mode rapide » est une conséquence simple du prêt-à-porter. Son origine remonte au XVIIe siècle, lors de la période des conquêtes coloniales anglaises et françaises. Pour installer le dominion, les nations dominantes vont habiller des milliers de soldats et de marins, et créer du prêt-à-porter en grande quantité, alors même que la production se faisait essentiellement à la maison à cette époque. Nous sommes passés d’une production de 2 collections par an, au début des années 2000, à une production de 24 collections par an dans les magasins, voire à des nouveaux modèles mis en vente chaque jour sur les plateformes d’e-commerce. À l’échelle internationale, 100 milliards de vêtements sont vendus chaque année. 

L’environnement correspond à l’ensemble des conditions naturelles ou culturelles qui peuvent agir sur les organismes vivants et les activités humaines. Il s’agit notamment de l’eau, des terres, des fonds marins, de la flore, la faune, de l’espèce humaine et du climat. La Cour Internationale de Justice, dans un avis rendu en 1996, affirme que « L’environnement n’est pas une abstraction, mais bien l’espace où vivent les êtres-humains et dont dépendent la qualité de leur vie et de leur santé, y compris les générations à venir ». 

Le droit du travail permet de couvrir les salariés dans le cadre de leurs activités salariales et de leur octroyer des garanties, et notamment, une limite légale dans la durée du travail, la sécurité sur le lieu de travail, le droit de grève, le repos hebdomadaire et les congés payés. Ces droits, que l’on retrouve en France, ne sont pas applicables partout dans le monde. Là où la majorité des vêtements sont produits, les salariés n’ont que très peu de garanties, car les régimes juridiques ne sont pas aussi protecteurs qu’en Europe. Les droits fondamentaux ne sont pas respectés, et particulièrement le droit à la sûreté, à la sécurité, à la dignité humaine, à la liberté d’association, de réunion et de négociation collective, et le droit des enfants à être protégé de l’exploitation difficile et des pires formes de travail. 

  1. L’impact environnemental de la fast fashion

Chaque année, l’industrie textile émet 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre, soit environ 2% des émissions globales de GES. C’est plus que les vols internationaux et le trafic maritime réunis. Si les tendances actuelles du secteur textile se maintiennent, d’ici 2050, il devrait émettre 26% des émissions globales de GES.

La mode exploite d’importantes quantités de ressources non renouvelables. Le polyester est la matière la plus produite dans le monde pour fabriquer des vêtements. En 2021, 60,5 tonnes de polyester ont été produites, dont 70% proviennent du pétrole, ressource fossile limitée. Un quart de la production mondiale des fibres textiles provient du coton. Le coton est la principale culture consommatrice de pesticides au monde, elle est également très gourmande en engrais et utilise 4% des fertilisants à l’azote et au phosphore. Ces engrais sont néfastes pour l’environnement, ils s’écoulent dans les nappes phréatiques et perturbent les écosystèmes aquatiques en favorisant, par exemple, la prolifération d’algues. De plus, la culture de coton requiert l’utilisation d’importantes quantités d’eau, à titre d’exemple, pour fabriquer un tee-shirt, il faut utiliser en eau l’équivalent de 70 douches. Cela impacte les communautés locales, notamment en Chine et en Inde, qui ne bénéficient plus des ressources en eau potable, soit parce qu’elles sont utilisées par les industries, soit parce qu’elles sont polluées. Le textile est aujourd’hui le troisième consommateur d’eau dans le monde, après la culture de blé et de riz. Des alternatives au coton et au polyester sont développées, la viscose et le lyocell, ce sont des matières biodégradables mais elles ne sont pas sans effet sur l’environnement, elles impliquent l’utilisation de produits et procédés chimiques (disulfure de carbone, hydroxyde de sodium et acide sulfurique) dangereux pour la santé des travailleurs et des populations adjacentes aux usines de fabrication. 

L’industrie textile est responsable de 20% de la pollution des eaux industrielles. En effet, les textiles synthétiques comme le nylon, le polyester, l’acrylique ou l’élasthanne sont la 4e source d’émission de microplastiques dans l’environnement. Chaque année, dans le monde, 500 000 tonnes de microparticules de plastique sont relâchées dans les océans, soit l’équivalent de 50 milliards de bouteilles de plastique. Elle est également responsable de la pollution des sols du fait de l’utilisation de produits chimiques sur des larges surfaces agricoles ou sur les lieux de production. Par ailleurs, le lavage en machine cause de la pollution plastique invisible, qui est ingérée par des petits organismes marins et qui contamine toute la chaîne alimentaire. On estime que, chaque année, un adulte ingère 250 grammes de plastique du fait de la pollution plastique de l’eau et des produits alimentaires. Le lavage en machine est la principale source de pollution des océans et des êtres vivants. 

Enfin, l’industrie textile est très critiquée pour les maltraitances animales. En effet, pour obtenir des matières d’origine animale telles que le cuir de vache ou de mouton, la soie des vers de bombyx ou encore la fourrure de lapins, il faut retenir en captivité ces animaux et les priver de leur libre arbitre. Ils sont souvent victimes de conditions de vie difficiles, exploités dans des petits espaces, sous-alimentés et maltraités. Par exemple, le cuir vient principalement de Chine, dont aucune loi n’encadre le traitement des animaux.

  1. L’impact de la fast fashion sur les droits fondamentaux

La fast fashion est une industrie qui a de lourdes conséquences sur les droits humains, qui font l’objet de nombreuses violations et qui touchent particulièrement les femmes, les enfants et les autres groupes marginalisés. Concrètement, il s’agit de l’octroi de salaires de misère, du vol de salaires, des restrictions excessives du droit de fonder des syndicats ou de s’affilier au syndicat de son choix, du travail des enfants, du travail forcé, de l’exposition à des conditions de travail dangereuses, des violences sexistes et du harcèlement sexuel. La chaîne de valeur est plus axée sur l’acheteur, ce qui pousse le fabricant à réduire les coûts au minimum. Les femmes, les migrants et les travailleurs informels sont particulièrement vulnérables aux incidences sociales négatives, ils ne peuvent pas quitter leur emploi ou se référer à des garanties légales. 

Au Bangladesh et au Pakistan, les salaires sont parmi les plus bas au monde, un pakistanais gagne en moyenne seulement 0,32 centimes de l’heure alors que ce pays exporte 59% de textiles au marché européen. Le salaire minimum n’est pas vital, il ne permet pas aux travailleurs de se nourrir, de se soigner ou d’accéder à l’éducation et aux loisirs. L’industrie textile a installé plus de 4 000 usines de confection au Bangladesh. Les travailleurs sont surexploités et les accidents industriels fréquents. Entre 2009 et 2013, 579 travailleurs sont morts dans des incendies d’usine au Bangladesh. Le 24 avril 2013, l’effondrement du Rana Plaza a provoqué une prise de conscience sur les conditions de travail et les violations des droits fondamentaux dans les chaînes de production de fast fashion. Cette catastrophe a fait plus de 1000 morts et 2500 blessés. 

L’une des entreprises phares de la fast fashion est SHEIN. Dans un rapport de l’association Public Eye, publié en novembre 2021, les pratiques de ce géant de la fast fashion sont dénoncées. Il est exposé que les travailleurs n’ont ni contrat de travail, ni assurance, que la durée de travail hebdomadaire s’élève à 75 heures, avec un jour de congé dans le mois. Les normes de sécurité dans les usines ne sont pas respectées, il n’y a pas de sorties libres en cas d’incendie et les fenêtres des étages sont grillagées. Dans certaines usines, il n’y a ni salaire de base ni prime d’heures supplémentaires, les ouvriers sont payés sur une petite base du prix de l’article. Les conditions de travail de ces salariés sont assimilées à de « l’esclavagisme moderne », les impacts environnementaux des activités de l’entreprise sont irréversibles, le plagiat de grandes marques n’est pas condamné, le non-respect des normes de sécurité n’est pas assorti de mise en demeure ou de sanctions. SHEIN parvient à réduire le temps entre la conception et la production de trois semaines à trois jours, en collectant et en analysant en temps réel les données des clients et les tendances des autres marques, et en surexploitant une main d’oeuvre bon marché. 

3) La législation européenne 

Le 1er juin 2023, le Parlement européen a adopté une législation qui vise à empêcher les multinationales d’échapper à toute forme de responsabilité et d’exploiter les travailleurs. Elle renforce le devoir de vigilance et vise à empêcher les multinationales de continuer à dégrader l’environnement et à violer les droits de l’homme de manière délibérée. Cette législation s’inspire de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (n° 2017-399). C’est une avancée considérable à cette échelle. Ce texte rend responsable les géants du textile des préjudices qu’ils causent ou auxquels ils contribuent en manquant à leur devoir de vigilance. 

Le texte rappelle l’application de nombreux droits, devoirs et principes existants au sein des États membres et les rend opposables dans le cadre de la « chaîne d’activités », autrement dit la chaîne de valeur, des industries textiles. Ces mesures s’appliquent aux entreprises de l’Union Européenne (UE) et aux entreprises de pays tiers actives dans l’UE, en fonction d’un seuil de chiffre d’affaires net mondial ou net généré dans l’UE et/ou d’un seuil de salariés.

Le 1er juin 2023, le Parlement européen a également adopté une stratégie pour des textiles durables et circulaires (n° 2022/2171). Les députés européens sont partis du constat que la production mondiale de textile a presque doublé en 15 ans, que la durée de vie des vêtements a diminué de 36% au cours de la même période et que la consommation mondiale de vêtements et de chaussures devrait passer de 62 millions de tonnes en 2023 à 102 millions de tonnes en 2030. Cette stratégie poursuit un objectif de neutralité climatique, de durabilité sociale, de traçabilité et de transparence des multinationales sur l’incidence de leurs produits sur l’environnement et sur les travailleurs. 

Elle rend applicable l’écoconception à tous les produits du secteur textile et en fait une priorité. Elle souligne la nécessité de promouvoir des modèles commerciaux et d’autres mesures visant à allonger la durée de vie des vêtements, à la réutiliser et à les réparer. Elle encourage les États à mettre en place des incitations à la consommation durable, par exemple une réduction de la TVA. Elle estime que le bien-être des animaux doit être respecté au sein du secteur textile. Elle soutient le recyclage des vêtements. Enfin, elle promeut un devoir de vigilance et d’équité sociale dans le secteur textile, celui-ci implique le respect des droits des travailleurs et de l’égalité hommes-femmes, de l’inclusion des femmes dans la prise de décisions et de la création de syndicats de travailleuses. Les États membres et l’Union Européenne doivent prendre des mesures législatives supplémentaires pour pallier les incidences des pays tiers.

Pour aller plus loin :

MARION ZIANI

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