« En toute entreprise, il n’y a rien de plus funeste que de mauvais associés. » Certains truismes sont bons à rappeler et Eschyle l’avait bien compris. Dans la vie d’une société, les mésententes mènent rapidement à la paralysie, situation à éviter à tout prix quitte à faire des sacrifices. Mais, est-il vraiment possible de contraindre un associé à quitter une société ?
En principe, une assemblée générale ne peut décider d’exclure un associé, quand bien même elle statuerait à la majorité qualifiée et dans son intérêt. En effet, cela reviendrait à contraindre l’associé tombé en disgrâce à céder ses parts sociales, or nul ne peut être contraint de céder sa propriété. Comme presque toujours, les dispositions de l’article 545 du Code civil peuvent souffrir d’exceptions. D’abord, le Code de commerce prévoit des hypothèses de rachat par la personne morale elle-même. Ensuite et surtout, la pratique a mis en place des clauses statutaires de rachat forcé, autrement dit une clause d’exclusion. Finalement, le législateur reprend cette solution pour l’incorporer dans le chapitre de la Société par Actions Simplifiée (SAS).
La clause statutaire d’exclusion est un sujet pour le moins délicat et doit faire l’objet d’une attention toute particulière. La jurisprudence admet sa présence dans les statuts de toute société, cependant certains points doivent absolument être clarifiés lors de la rédaction. En effet, il faut prévoir les motifs d’exclusion de manière exhaustive. L’idée est simple : se prévaloir d’une sanction arbitraire. Tout motif peut valoir à condition de respecter l’ordre public et l’intérêt social. Ainsi, le but n’est pas de rechercher une parfaite objectivité, mais d’indiquer clairement les actes ou comportements susceptibles d’engager un rachat forcé.
Dans ce contexte, le 9 novembre 2022, la chambre commerciale financière et économique de la Cour de cassation rend un arrêt concernant la clause statutaire d’exclusion au sein des sociétés à capital variable. Arrêt publié au bulletin dans lequel un associé qui s’est vu exclure par l’assemblée générale d’une Société à Responsabilité Limitée (SARL). Celui-ci reproche à la Cour d’appel d’avoir retenu la clause statutaire alors même qu’elle ne précisait pas les motifs d’exclusion, il en demande donc la nullité. La Cour de cassation rejette le pourvoi et affirme dans un attendu de principe qu’ : « Il résulte de l’article L. 231-6, alinéa 2, du Code de commerce qu’est licite une clause des statuts d’une société commerciale à capital variable stipulant que tout associé peut être exclu de la société pour justes motifs par une décision des associés réunis en assemblée générale statuant à la majorité fixée pour la modification des statuts, quand bien même cette clause ne précise pas les motifs d’exclusion. ». Difficile de faire plus clair, pour les sociétés à capital variable nul besoin de s’encombrer des motifs d’exclusion. Et, le mieux étant parfois l’ennemi du bien, il est même préférable de ne pas en prévoir puisque le risque de devoir s’y borner est présent.
Pour mieux comprendre, l’article L. 231-6 al. 2 du Code de commerce dispose ce qui suit : « Il peut être stipulé que l’assemblée générale a le droit de décider, à la majorité fixée pour la modification des statuts, que l’un ou plusieurs des associés cessent de faire partie de la société. ». Attention à ne pas faire de raccourci trop hâtif, l’exclusion d’un associé pour juste motif peut intervenir si une clause statutaire le prévoit, elle ne naît pas d’une décision de l’assemblée générale du seul fait de la variabilité du capital. Aussi, seule l’assemblée générale peut prononcer l’exclusion, peut-être une piste qui pourrait justifier la liberté donnée au choix du juste motif. Pour autant, une décision collective n’est pas, par nature, plus appropriée que le verdict d’un seul. La justification semble donc légère et il convient de se tourner vers la particularité frappante : la clause de variabilité du capital.
D’abord, une société à capital variable ne correspond pas à une forme sociale particulière, il s’agit simplement d’un mode de fonctionnement de la société. Cela se manifeste par la présence d’une clause de variabilité du capital. Le but est, comme son nom l’indique, de pouvoir faire varier le capital à la hausse ou à la baisse sans être soumis aux contraintes ordinaires. Bien sûr, le capital fluctue avec la venue ou le retrait des associés, la clause de variabilité est en quelque sorte une porte d’entrée, ou dans le cas qui nous intéresse une issue de secours. Outre l’économie de moyens et de temps, plus besoin de modifier les statuts ou de convoquer une assemblée générale extraordinaire, les sociétés à capital variable sont finalement le reflet de la volonté de flexibilité des associés. La logique de la Cour pour justifier son arrêt serait donc de faire correspondre la protection au droit des associés. Puisqu’il jouit d’un droit de retrait qui a priori ne repose pas dans les statuts, son exclusion se calque également sur ce modèle. L’argument est convaincant et revient à analyser le contrat de société comme un lien d’obligation, l’associé qui s’engage moins reçoit moins.
Le risque d’une telle décision est bien sûr de tomber dans des décisions arbitraires. Dans le cas d’espèce, le juge a retenu le juste motif de l’exclusion alors même que ce dernier reposait sur une éventualité. En effet, l’associé exclu se trouvait être en contentieux avec le Groupement d’Intérêt Économique de la société. Ceci pouvant conduire à l’exclusion de la société et donc à une partie importante de ses revenus, l’intérêt social était qualifié. Cela peut alors laisser dubitatif.
Pour nuancer ce point, il convient de rappeler que l’exclusion découle d’une clause statutaire. Cette dernière peut être adoptée à la naissance ou en cours de vie de la société. Dans l’un ou l’autre cas, cette décision sera prise, à défaut de clause contraire, avec l’accord unanime des associés comme le dispose l’article 1836 du Code civil. De plus, L. 231-6 énonce bien que la décision d’exclusion se fait également selon le quorum nécessaire pour la modification des statuts. Par hypothèse, le quorum choisi n’étant pas souvent l’unanimité, il est possible pour une société d’adopté puis d’exclure (pour juste motif bien sûr) un associé minoritaire sans que celui-ci puisse peser dans les décisions. Introduire une clause d’exclusion relève-t-il d’une augmentation des engagements des associés ? La question est importante puisqu’elle fait basculer la solution. En effet, toujours selon l’article 1836 du Code civil, en cas d’augmentation des engagements d’un associé, son consentement est absolument nécessaire pour modifier les statuts. La doctrine ne s’accorde pas totalement, il pourrait s’agir d’une diminution des droits plutôt que d’une augmentation des engagements. Néanmoins, le législateur a décidé, pour la SAS, d’exiger l’unanimité pour l’adoption ou la modification d’une clause d’exclusion.
Pour admettre l’absence de motif dans la clause d’exclusion des sociétés à capital variable, la Cour de cassation compte peut-être également donner au contrôle judiciaire un rôle de garde-fou. Au fond, le juge vérifie l’absence d’abus, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’intention de nuire et que le motif est suffisamment grave pour nécessiter l’exclusion. Le fait de reconnaître le « juste motif » tend pour le juge à vérifier au cas par cas. Le motif grave revêt un caractère plus objectif, moins dépendant de la situation. Le juge doit par ailleurs s’assurer du bon respect de la procédure, du principe du contradictoire et du respect du droit à la défense. Cela se traduit simplement par la possibilité pour l’associé mis en cause de présenter ses arguments après lui avoir laissé un délai raisonnable.
Une fois encore, ce point est à nuancer puisque pour qu’un contrôle judiciaire ait lieu, encore faut-il saisir le juge. De plus, entre le dédommagement ou la réintégration, les solutions envisageables ne sont pas toujours les plus satisfaisantes. Difficile d’imaginer devoir cogérer son entreprise avec les associés s’étant déjà séparé de vous une première fois. Ainsi, la voie contractuelle reste sans aucun doute la meilleure.
Pour finir, la solution a vocation à s’appliquer à toutes les sociétés commerciales qui présentent une clause statutaire de variabilité du capital social. De plus, il en serait de même pour les sociétés civiles à capital variable puisque l’article 1845-1 du Code civil rend applicable à ces dernières les dispositions du chapitre précité. Il faut donc rester mesuré sur la portée de cet arrêt puisque les sociétés comportant ce type de clause sont peu nombreuses. Et, au vu des différences avec les sociétés à capital fixe, la solution semble très difficilement transposable.
Néanmoins, cet arrêt point un mois après le renvoi de quatre questions prioritaires de constitutionnalité concernant les clauses statutaires d’exclusion au sein des SAS. Était notamment remis en cause l’article 227-16 du Code de commerce, modifié par la loi de simplification du droit des sociétés de 2019. Ce dernier dispose en son premier alinéa que : « Dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions. ». Les Sages ont décidé que ces dispositions ne s’opposent pas à la constitution ni à l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen puisque l’atteinte au droit de propriété est justifiée.
Dans le cas de la SAS comme dans celui des sociétés à capital variable, le choix de la souplesse semble être privilégié à la rigueur des procédures. C’est aussi dans ce but que cette forme sociale ou ce type de clause existe. Au risque de former un gouffre entre ces sociétés et les formes plus classiques, le juge décide de s’adapter à la mouvance.
Baptiste DALIGAUX