Les actes conclus au nom de la société en formation

L’article 1843 du Code civil énonce que “les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant l’immatriculation sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. La société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l’origine contractés par celle-ci.”
Ces dispositions suscitent un contentieux abondant et fourni qui démontre le recours effectif des associés aux actes conclus au nom de la société en formation. De là, une distinction importante sera faite entre les actes conclus par la société en cours de formation et les actes conclus par ses fondateurs en son nom.
La question de la reprise des actes pour le compte d’une société en formation suscite de nombreuses situations pratiques donnant lieu à débat pour la Cour de cassation.


I.- La société en formation


Lorsque plusieurs associés se rassemblent afin de participer à la création d’une entreprise commune, ceux-ci doivent d’abord procéder à la réalisation de plusieurs formalités. Parmi celles-ci, l’immatriculation de la société auprès du Registre National des Entreprises (RNE), succédant depuis le 1er janvier 2023 au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS).
C’est cette immatriculation qui confère à la société sa personnalité juridique (1), élément nécessaire afin de pouvoir parler véritablement de société (2).


1- La société en cours d’immatriculation


La société en formation se définit comme la société dans laquelle la volonté de ses dirigeants de créer une entreprise commune s’est manifestée, de manière à la fois claire et non équivoque, sans pour autant avoir passé tous les actes permettant de qualifier la société comme telle.
Ce moment de battement s’étend à partir de la date à laquelle les fondateurs s’accordent pour constituer la société, jusqu’à l’immatriculation de celle-ci au RNE.
L’immatriculation fera ainsi naître la personnalité morale, nécessaire à la société afin de fonctionner de manière autonome.
La réglementation des actes conclus au cours de la société en formation tient en ce que durant la signature des statuts et plus généralement durant la période précédant l’immatriculation de la société, des dépenses seront par hypothèse engagées pour mettre en place le fonctionnement de la société (ex. achat de mobilier, conclusion de contrats…).


2- La personnalité morale comme élément nécessaire à la conclusion des actes


Avant 1966, la naissance de la personnalité morale coïncidait avec la date de conclusion du contrat de société. Cependant, par souci d’harmonisation européenne, la création de la personnalité morale a été finalement déplacée à la date d’immatriculation de la société.
Il est bien nécessaire, en pratique, de savoir si la société a la personnalité morale lorsqu’elle souhaite procéder à la réalisation d’actes : en effet, il a été rappelé dans un arrêt récent de la chambre commerciale de la Cour de cassation que les actes passés par la société n’ayant pas la personnalité juridique sont nuls, et cette nullité est absolue, c’est-à-dire qu’elle peut être demandée par tout intéressé et notamment les tiers au contrat (Cass., Com., 4 janvier 2021). L’action pour agir en nullité est soumise à un délai pour agir spécial de 3 ans (article 1844-14 du Code civil). Le juge peut soulever d’office la nullité (article 1178 du Code civil), cette action a pour but la sauvegarde de l’intérêt général (article 1179 du même code).

De l’absence de personnalité morale découle aussi une autre conséquence : la société ne pourra pas ester en justice, ni y être attraite (Cass., Com., 20 juin 2006).
Ainsi, les fondateurs sont autorisés à passer des actes au nom et pour le compte de la société en formation, durant ce laps de temps caractérisé par l’absence de personnalité juridique.


II.- Les actes de reprise


À la suite de l’immatriculation de la société, une reprise d’actes peut être effectuée ; cependant, plusieurs conditions devront être respectées (1). L’absence éventuelle de reprise entraînera des conséquences dommageables pour les personnes ayant agi (2).


1- Les modalités de reprise


Trois types de reprise coexistent :
● D’abord, celle concernant les actes conclus avant la signature des statuts : la signature des statuts emporte reprise automatique des actes par la société lors de l’immatriculation au RNE selon l’article R.210-5 du Code de commerce. Ces actes doivent donc impérativement être recensés dans un état annexé aux statuts ou mentionnés dans les statuts.
● Ensuite, concernant les actes conclus après la signature des statuts mais avant l’immatriculation de la société : un mandat spécial et exprès donné par les associés permet que la reprise s’effectue également automatiquement. Il est important d’ajouter que la jurisprudence refuse les mandats généraux, la nature des actes doit donc être précisée (Cass., Com., 21 juillet 1987).
● Enfin, la « reprise-balai », qui s’utilise quelle que soit la date des actes passés : concernant les actes accomplis pendant la période de formation mais pour lesquels les formalités exigées décrites ci-dessus pour la reprise automatique n’ont pas été réalisées, la reprise peut donc être faite via une décision de l’assemblée générale des associés. Cette forme de reprise conforte à la fois l’intérêt des tiers, en assurant que la société est bien engagée, mais aussi celui des associés ayant passé les actes, qui ne sont, dès lors, plus débiteurs des obligations.
Ces reprises doivent respecter les modalités décrites ; sans cela, la reprise ne saurait être implicite (Cass., Com., 20 février 2019). Sinon, cela entraînera l’invalidité de la reprise et donc, conséquemment, l’engagement personnel du fondateur pourra de nouveau être recherché (3è Civ., 16 septembre 2021).
Dès lors, si la reprise opère, les engagements souscrits sont réputés avoir été dès l’origine contractés par la société (articles 1843 du Code civil et L.210-6 du Code de commerce) et permet donc de faire supporter par la société les obligations découlant des actes passés avant son immatriculation au RNE.
Il est important de noter que, mis à part les cas mentionnés ci-dessus, aucune autre forme de reprise n’est admise.

2- Les effets de la reprise ou de l’absence de reprise


Tout d’abord, si les associés refusent finalement d’immatriculer la société, cette dernière sera dépourvue de personnalité juridique : ainsi, aucune reprise ne sera possible et il faudra s’en tenir à l’engagement des fondateurs ayant passé les actes. Leur responsabilité personnelle sera donc engagée.
Dans le cas de la société créée de fait, c’est-à-dire la société dans laquelle deux ou plusieurs personnes se sont comportées comme des associés sans exprimer de volonté en ce sens (article 1873 du Code civil), le créancier pourra engager la responsabilité personnelle des autres associés en plus de celle de l’associé ayant passé l’acte, notamment si ces derniers ont agi en qualité d’associés au vu et au su des tiers.

En effet, la société en formation devient une société créée de fait lorsqu’elle développe de manière “durable et importante” une activité dépassant l’accomplissement de simples actes nécessaires à sa constitution (Cass., Com., 9 novembre 1987).
Par ailleurs, la reprise d’un acte a un effet rétroactif : en effet, elle met à la charge de la société des engagements conclus avant sa naissance.
Cette reprise n’a pas à solliciter l’accord quelconque du créancier bien que cet acte détienne un effet conséquent pour la garantie de sa créance. Cependant, il pourra toujours demander au fondateur ayant passé l’acte de s’engager comme caution de la société en cours d’immatriculation (1ère Civ., 20 avril 2000).
En cas d’absence de reprise des engagements souscrits, les fondateurs ayant passé les actes seront donc tenus à ces obligations. Cependant, un cas doit être réservé, celui de la clause de substitution insérée dans le contrat souscrit par ce même fondateur : dans ce cas, l’absence de reprise n’empêchera pas la société de se substituer à l’associé (Cass., Com., 15 janvier 2020). Cette clause de substitution permet en effet au contractant originaire, l’associé, de se retirer du contrat au profit d’un nouveau contractant, la société.


Manon DAUBY – M2 Droit des affaires et fiscalité

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