Quand la loi veille sur les vieilles pierres

Comme l’écrivait Jean Giono, écrivain français, « Nous avons un héritage, laissé par la nature et par nos ancêtres. Des paysages ont été des états d’âme et peuvent encore l’être pour nous-mêmes et ceux qui viendront après nous ; une histoire est restée inscrite dans les pierres des monuments. » Notre héritage architectural et naturel est bien plus qu’un simple vestige du passé, il incarne une mémoire collective et une empreinte culturelle que nous devons préserver. 

La réhabilitation du patrimoine architectural soulève des enjeux tant juridiques, que culturels et environnementaux. Il est nécessaire de trouver un équilibre entre la préservation de l’authenticité des bâtiments et l’adaptation aux exigences environnementales contemporaines. 

Cette réhabilitation passe notamment par la préservation de la technicité et des savoir-faire de l’Homme. Depuis toujours, l’Homme a su construire avec la nature en puisant dans les ressources locales pour bâtir des édifices durablement et écologiquement. Cette approche a façonné les territoires et leur identité.

Cependant, avec l’industrialisation du XXe siècle, la généralisation du béton a imposé une construction uniforme, standardisée et sans âme, faisant disparaître progressivement les savoir-faire traditionnels. Chaque matériau portait autrefois en lui l’énergie, la sueur et les imperfections humaines, offrant aux constructions leur singularité et leur beauté vivante.

Face à ces défis, un cadre juridique strict vient protéger le patrimoine architectural afin de préserver la richesse de nos paysages (I), tout en intégrant des solutions écologiques adaptées aux enjeux contemporains (II), pour trouver un juste équilibre entre, d’une part la protection des bâtiments anciens, et d’autre part, la préservation d’un cadre de vie harmonieux et durable en adéquation avec le monde de demain.

I. La protection juridique du patrimoine architectural

Les bâtiments anciens sont les témoins d’un passé mémorable, qu’il faut reconnaître pour mieux le préserver. C’est ce que le statut de « monument historique » tente de faire. Selon le site du ministère de la Culture, un monument historique est « tout immeuble bâti ou non, objet mobilier, meuble ou immeuble par destination qui reçoit un statut juridique particulier, statut qui est destiné à le protéger pour son intérêt historique, artistique ou architectural, ou technique ou scientifique afin qu’il soit conservé, restauré et mis en valeur ». 

Ce statut est « une reconnaissance par la Nation de l’intérêt patrimonial d’un bien, qui implique une responsabilité partagée entre les propriétaires et la collectivité nationale au regard de sa conservation et de sa transmission aux générations à venir ».

À titre d’exemple, la France comptait, en 2022, 45 648 monuments historiques (immeubles) protégés, dont 30 840 inscrits et 14 808 classés.

Cette protection est ancienne et présente une grande stabilité depuis la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques qui fonde son dispositif sur trois éléments : 

  • La reconnaissance d’un intérêt public pour justifier la protection du monument (un « intérêt d’histoire ou d’art suffisant » pour l’inscription et un intérêt public d’un point de vue de l’art ou l’histoire pour le classement) ;
  • L’établissement d’un double niveau de protection avec une obligation générale commune de conservation : le classement et l’inscription du monument, sous réserve que l’intérêt soit établi. Cette distinction permet de déterminer l’étendue des obligations et des restrictions imposées aux propriétaires en matière de réhabilitation ;
  • La mise en place d’un contrôle préventif de toute action qui pourrait remettre en cause l’intégrité du monument classé ou inscrit.

Ce texte de 1913 a été intégré dans le livre VI du code du patrimoine (articles L. 621-1 à L. 624-2). Cette protection au minimum centenaire présente une certaine stabilité en ce qui concerne les objectifs et les fondements. Cependant, elle n’est pas immobile et évolue régulièrement dans son contenu. Elle a notamment subi plusieurs réformes entre 2005 et 2016, destinées à améliorer la cohérence entre la protection des monuments historiques et les règles applicables en matière d’urbanisme, comme les permis de construire ou les permis de démolir des immeubles situés dans des zones protégées par le droit du patrimoine. 

C’est le cas des sites patrimoniaux remarquables, instaurés par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, qui offrent un cadre complémentaire de protection et de mise en valeur du patrimoine architectural, urbain et paysager de nos territoires (articles L. 631-1 et suivants du code du patrimoine).

Toutefois, la protection juridique de ces édifices est accompagnée d’une intervention et d’une surveillance accrue de différents acteurs, qui supervisent les projets de restauration : les Architectes des Bâtiments de France (ABF), qui interviennent principalement pour les immeubles inscrits, et la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC), qui supervise essentiellement les travaux sur les monuments classés. Les monuments classés bénéficient donc d’une protection plus stricte que les monuments inscrits. 

Enfin, restaurer un bâtiment ancien ne signifie pas uniquement lui redonner son éclat d’antan, mais également respecter les savoir-faire et matériaux d’origine. Pour cela, certaines interventions sont réglementées : 

  • L’utilisation de matériaux traditionnels compatibles avec l’existant (article L. 621-27 du code du patrimoine) ;
  • L’interdiction de modifications altérant l’identité architecturale du bâtiment (article L. 621-30-1 du code du patrimoine) ;
  • Des sanctions en cas de non-respect des règles de préservation patrimoniale, pouvant aller jusqu’à l’obligation de remise en état (articles L. 621-29 et L. 624-1 du code du patrimoine).

Finalement, il y a une réelle volonté de maintenir et de conserver l’âme que les bâtisseurs y ont laissée afin de la transmettre aux générations futures.

II. L’intégration de l’écoconstruction dans la réhabilitation du patrimoine architectural 

La transition écologique impose aujourd’hui de nouvelles normes en matière de construction et de rénovation. Toutefois, appliquer ces exigences aux bâtiments anciens soulève de réels défis.

Les nouvelles normes ne doivent en aucun cas dénaturer l’authenticité des bâtiments et sont d’ailleurs souvent incompatibles avec le bâti ancien. De cette manière, certains bâtiments bénéficient d’exemptions aux normes pour préserver leur intégrité (article R. 112-18 du code de la construction et de l’habitation).

Ainsi, la réhabilitation doit intégrer des solutions respectueuses, privilégiant les matériaux biosourcés tels que la laine de chanvre, les enduits chaux-chanvre et la paille. Ces matériaux naturels et renouvelables permettent de concilier performance énergétique et respect du patrimoine architectural.

La transition écologique et le respect du bâti ancien imposent des exigences qui nécessitent un accompagnement adapté. Afin d’encourager une restauration du patrimoine respectueuse, plusieurs dispositifs de soutien ont été mis en place tels que des subventions de la Fondation du Patrimoine et des collectivités locales, le crédit d’impôt pour la transition écologique (article 200 quater du code général des impôts) ou encore des subventions octroyées par le ministère de la Culture aux propriétaires de biens classés ou inscrits au titre des monuments historiques, sur demande déposée en amont auprès des services de la DRAC par les maîtres d’ouvrages directement. En tenant compte des crédits disponibles et de l’intérêt du dossier, les taux moyens des subventions vont de 20 % pour un immeuble inscrit au titre des monuments historiques à 40 % sur un immeuble classé au titre des monuments historiques. 

Grâce à ces dispositifs, la réhabilitation offre aux bâtiments anciens la possibilité d’être conservés, protégés et restaurés sans renier leur passé, tout en s’adaptant aux exigences contemporaines.

Pour conclure, préserver le patrimoine architectural, c’est préserver une mémoire vivante façonnée par l’Homme et le temps. La réhabilitation doit être une alliance entre respect du passé et innovations durables, pour protéger l’âme des bâtiments et maintenir leur identité tout en les adaptant aux enjeux contemporains. L’encadrement législatif permet d’assurer la protection, la conservation et la transmission de ce patrimoine authentique, ancré dans l’histoire, mais tourné vers l’avenir.

Agathe CHANDELIER-LAURENT – Master 2 Droit du patrimoine et des activités culturelles 

Principales sources utilisées : 

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