La première vente aux enchères dédiée à l’art de l’intelligence artificielle par Christie’s

432 000 dollars.

C’est le prix de la première œuvre générée par intelligence artificielle (IA) adjugée aux enchères par la grande maison Christie’s en 2018. Le Portrait d’Edmond de Belamy, initialement estimé quarante-cinq fois moins, révéla derrière l’esquisse d’un visage masculin peint de trois-quarts et signé d’une formule mathématique, une expérience fructueuse produite par le collectif d’artistes français Obvious.

15 000.

C’est le nombre de portraits classiques dont s’est nourri le logiciel de création pour réaliser celui d’Edmond Belamy, personnage fictif inventé pour l’occasion.

Mais d’où viennent ces IA génératrices d’images ? Pouvons-nous les qualifier « d’œuvres d’art » ? Quel est leur impact sur le monde du marché de l’art ?

Selon Valentin Schmite, « confronter l’art et l’IA permet de se poser de bonnes questions, notamment sur la façon dont on peut développer l’IA et la transformer avant qu’elle ne transforme la société ». Christie’s suivit ce conseil en organisant en 2025 la première vente aux enchères uniquement composée d’œuvres générées par IA : « Augmented Intelligence ». 

1. L’ART, L’IA ET LE DROIT

À l’heure actuelle, les intelligences artificielles (IA) qui s’immiscent dans notre quotidien ne sont conçues que pour effectuer plus efficacement que l’Homme des tâches spécifiquement définies. Par conséquent, les IA autonomes dans l’apprentissage, le raisonnement ou la compréhension restent à l’état de projet.

Les IA que nous utilisons ont donc besoin de données d’entraînement pour fonctionner. Autrement dit, elles puisent leurs ressources dans une base de données où elles s’inspirent de créations déjà existantes, telles que des images, des textes ou encore des compositions musicales. Du fait de cette dépendance, un résultat ne pourra être obtenu qu’à l’aide d’un prompt, c’est-à-dire une requête formulée par un utilisateur humain.

C’est ici que se joue la subtilité juridique, quant à l’attribution de droits d’auteur à des créations artistiques générées par IA. En droit français, aucune réglementation n’aborde spécifiquement cette situation. Cependant, un auteur ne peut être qu’une personne physique, capable de choix libres et créatifs dans la création d’une œuvre de l’esprit faisant transparaître sa personnalité. En droit positif, il est donc impossible de reconnaître directement des droits d’auteur à une IA. 

Celle-ci est alors considérée comme un outil de création, au même titre qu’un appareil photo ou un pinceau, à condition que le prompteur soit suffisamment précis dans ses demandes. Par exemple, la justice chinoise a reconnu, en novembre 2023, la protection par le droit d’auteur d’une œuvre générée par Stable diffusion, en retenant que la précision des prompts permettait de qualifier l’originalité des illustrations obtenues.

L’expression désormais généralisée « Art de l’IA » désigne « toute forme d’art créée ou améliorée à l’aide d’outils d’IA » avec lesquels les artistes ont collaboré. Ces IA, telles que Midjourney, DALL-E ou encore Stable Diffusion, conçoivent des images sur la base d’une description textuelle insérée dans le prompt par l’artiste. Par exemple, il serait possible d’y écrire « plat de spaghettis à la manière de Vincent van Gogh ».

Quelques noms d’artistes pionniers de ces techniques sont déjà reconnus par le monde de l’art : Pindar Van Arman, Harold Cohen, Holly Herndon et Mat Dryshurst ou encore Alexander Reben.

Cependant, ces inspirations tendent à bafouer le droit des auteurs, dont le consentement n’est pas requis pour alimenter les IA. C’est ainsi qu’en janvier 2023, dans l’affaire « Andersen vs Stability », des artistes américaines contestèrent l’utilisation non consentie de leurs œuvres. Le bureau américain du droit d’auteur, l’US Copyright Office, publia en janvier 2025 le deuxième volet d’un rapport regroupant les réglementations sur le droit d’auteur et l’IA. Il y énonce clairement qu’une œuvre générée par IA ne pourra être protégée que si un « auteur humain a déterminé suffisamment d’éléments expressifs ».

2. LA VENTE AUGMENTED INTELLIGENCE PAR CHRISTIE’S NEW YORK 

Du 20 janvier au 5 mars 2025, Christie’s New York proposa la première vente de l’histoire entièrement consacrée à l’Art de l’IA, présentant une vingtaine de lots d’œuvres physiques et digitales (NFT). 

Augmented Intelligence tend ainsi à redéfinir « la relation entre art et technologie ». La grande maison espérait un chiffre total supérieur à 600 000 dollars pour des œuvres estimées entre 10 000 dollars et 250 000 dollars chacune. Ce fut un pari réussi, puisque la vente généra précisément 728 784 dollars.

Mais, à l’occasion du Sommet pour l’action sur l’Intelligence Artificielle à Paris en 2025, la relation culture/IA devait être abordée, de nombreux artistes contestèrent cette vente en signant une pétition pour réclamer son annulation.

Ils dénoncèrent d’abord la violation de leurs droits d’auteur. Ces derniers, dont les œuvres servent d’entraînement aux IA, ne touchent aucune rémunération pour cette utilisation. 

Ils relevèrent également l’insuffisance de la réglementation sur l’utilisation de leurs œuvres comme base de données entraînant les IA : « Un grand nombre des œuvres d’art que vous envisagez de vendre aux enchères ont été créées à l’aide de modèles d’IA dont on sait qu’ils ont été entraînés sur des œuvres protégées par des droits d’auteur sans licence ».

En réponse, Christie’s affirma que, dans le cadre de la vente contestée, « l’intelligence artificielle est utilisée de manière contrôlée, avec des données formées à partir des données fournies par les artistes eux-mêmes ». 

Selon la Directrice de l’Art numérique de la maison, l’IA « améliore le spectre de la créativité humaine ». Elle prône le recours à la technologie « pour repousser les limites du possible ». Augmented Intelligence vient donc soulever de nombreuses questions sur la valeur de la création artistique, mais aussi sur l’impact de l’IA sur le marché de l’art, notamment en termes de concurrence.

Comme le rappellent Hugo Caselles-Dupré et Matthieu Cord, des artistes recourant à l’IA, « l’art n’est pas défini par la technique, mais par la volonté d’une personne d’exprimer un message ». Or, puisque l’IA n’a pas encore de volonté propre, « elle ne remplacera pas les artistes eux-mêmes ».

Anaëlle SORET – étudiante en Master 2 Droit du patrimoine et des activités culturelles

Bibliographie :

https://www.beauxarts.com/grand-format/lintelligence-artificielle-va-t-elle-remplacer-les-artistes/

https://www.artmajeur.com/fr/magazine/2-actualites-artistiques/la-vente-d-art-ia-de-christie-s-declenche-une-vague-de-protestations/337141

https://www.beauxarts.com/grand-format/un-vol-de-masse-3-500-artistes-exigent-lannulation-dune-vente-doeuvres-ia-chez-christies/

https://www.beauxarts.com/grand-format/un-vol-de-masse-3-500-artistes-exigent-lannulation-dune-vente-doeuvres-ia-chez-christies/

https://www.christies.com/stories/what-is-ai-art-augmented-intelligence-36dc0897d3584268b5102468a3bf8a8c?cid=EM_SM_O_LI_Inc_CON____________

https://www.sorbonne-universite.fr/dossiers/intelligence-artificielle/quand-lart-rencontre-lintelligence-artificielle

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2025/02/09/face-a-l-ia-les-artistes-ripostent-sur-tous-les-fronts_6538601_4408996.html

https://www.connaissancedesarts.com/marche-art/premiere-vente-aux-encheres-dun-tableau-realise-par-intelligence-artificielle-11107359/

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