Tirant les enseignements de la pratique des comités de créanciers et évoluant vers un rééquilibrage des pouvoirs débiteur/créancier, le législateur a transposé la directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances par l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, afin de permettre la constitution de classes de parties affectées. Les nouveaux textes s’appliquent aux procédures ouvertes après le 1er octobre 2021. Il convient d’examiner comment ces classes sont constituées et comment elles votent le plan qui lui est soumis ainsi que le rôle du tribunal et de l’administrateur judiciaire pour l’adoption du plan.
I) La constitution de classes de parties affectées
A. La notion de classes de parties affectées
L’article L. 626-30, I, 1° du code de commerce précise que sont considérées comme parties affectées les créanciers « dont les droits sont directement affectés par le projet de plan. » À la différence des comités de créanciers qui dépendaient d’un critère juridique, la constitution de classes de parties affectées procède d’un critère économique, lié à la nature des créances.
Les parties affectées concernées par la constitution des classes sont tous les créanciers affectés par le plan à venir. Ils sont seuls légitimes pour se prononcer sur le plan si ce dernier les concerne.
Ainsi, entrent dans le champ des classes de parties affectées les créanciers dont le paiement sera réalisé selon des modalités différentes que celles qui étaient contractuellement prévues, mais aussi les « détenteurs de capital », c’est-à-dire les associés ou actionnaires. En effet, une innovation de l’ordonnance de 2021 est que les détenteurs de capital sont regroupés dans une classe dédiée et donc invités au vote du plan si ce dernier les concerne.
Toutefois, certains créanciers sont automatiquement tenus à l’écart des classes de parties affectées. Cela concerne les créances salariales, celles qui sont garanties par le privilège de conciliation en vertu de l’article L. 626-30, IV du code de commerce, mais aussi par le nouveau privilège de sauvegarde ou de redressement.
En ce qui concerne les procédures ouvertes à compter du 1er octobre 2021, les classes de parties affectées remplacent les comités de créanciers dans les procédures de sauvegarde, de sauvegarde accélérée et de redressement judiciaire.
Concernant les groupes d’entreprises en difficulté, elles s’appliquent également aux sociétés qui détiennent ou contrôlent une autre société dès lors que l’ensemble des sociétés concernées atteint des seuils imposant la constitution des classes de parties affectées.
La constitution de ces classes est obligatoire pour toute procédure de sauvegarde accélérée, mais également au-delà de certains seuils prévus par le décret du 23 septembre 2021 en sauvegarde et en redressement :
- 250 salariés et 20 millions d’euros de chiffre d’affaires net ou,
- 40 millions d’euros de chiffre d’affaires net.
Ces seuils sont appréciés à la date de la demande d’ouverture de la procédure. En dessous de ces seuils, la constitution des classes est facultative. Dans ce cas, les classes peuvent être constituées à la demande du débiteur et sur autorisation du juge-commissaire. L’objectif est que des petites ou moyennes entreprises puissent appliquer ce système lorsque la structure de leur passif ou la composition de leur actif le justifie.
B. Le rôle de l’administrateur judiciaire
Quant à la compétence de l’administrateur judiciaire, il définit les classes et les droits de vote des créanciers et détenteurs de capital, en tenant compte de la composition du passif du débiteur et en respectant les critères légaux.
Il compose librement les classes sous réserve d’en informer les intéressés et de faire connaître les choix qu’il effectue (art. L. 626-30, V du code de commerce). Sa liberté n’est cependant pas totale, car le code de commerce impose la constitution au minimum de deux classes :
- Les créanciers titulaires de sûretés réelles sur les biens du débiteur
- Les autres créanciers (ils peuvent former plusieurs classes). Les détenteurs de capital viennent constituer une troisième classe s’ils sont affectés par le plan, mais peuvent aussi être répartis en plusieurs classes.
Sous réserve de respecter ces classes minimales, l’administrateur est libre de fixer le nombre de classes et leur composition. Il soumet à chaque partie affectée les modalités de répartition en classes et de calcul des voies correspondant aux créances ou aux droits affectés leur permettant d’exprimer un vote.
Toutefois, il doit veiller à ce que ces classes soient homogènes, c’est-à-dire, en vertu de l’article L. 626-30, III du code de commerce, qu’elles représentent une « communauté d’intérêt économique suffisante » appréciée en fonction du statut de la créance. Cela vise à permettre une égalité de traitement entre les parties affectées titulaires de droits sensiblement similaires en les regroupant en classes, au sein desquelles cette unité de traitement sera respectée à hauteur des droits de chacun.
L’article L. 626-30 du code de commerce impose le respect des accords de subordination lors de la répartition des créanciers au sein des classes. Le classement des créanciers parties à l’accord devrait donc résulter de ce qu’ils ont prévu et accepté. Pour permettre le respect des accords de subordination conclus avant l’ouverture de la procédure, l’article R. 626-55 dispose que lorsque l’administrateur judiciaire avise une partie affectée qu’elle est membre d’une classe, il l’invite à lui faire connaître par tout moyen l’existence d’un accord de subordination au plus tard dans un délai de 10 jours à compter de la réception ou de la publication de cet avis.
À défaut, cet accord de subordination est inopposable à la procédure et n’est pas pris en compte pour la constitution des classes, le vote et l’adoption du plan.
En outre, l’administrateur judiciaire doit s’appuyer sur « des critères objectifs vérifiables » dont il devra justifier en cas de contestation.
Les modalités de répartition des classes et de calcul des voix doivent être notifiées à chaque partie affectée, au débiteur, au mandataire judiciaire, mais également au ministère public.
En cas de contestation de la répartition ou des modalités de vote, un recours peut être formé devant le juge-commissaire. Il peut en outre être interjeté appel contre l’ordonnance du juge-commissaire. Les délais sont très brefs afin de ne pas retarder l’adoption du plan.
Le choix de la composition des classes et leur nombre est déterminant pour s’assurer de l’approbation du plan et éviter un rejet qui impose une application forcée interclasse répondant à une nouvelle modalité spécifique d’adoption du plan.
La constitution et surtout le classement des classes de parties affectées est déterminant pour l’adoption du plan. Les classes prioritaires sont en mesure d’imposer leur position en cas de désaccord sur le projet de plan, tandis que les classes subordonnées voient leur pouvoir d’obstruction lié à un nouveau concept en droit français : le critère du meilleur intérêt.
II) Le vote des classes de parties affectées
A. Les modalités de vote
Après la constitution des classes de parties affectées, un projet de plan de restructuration est soumis au vote de ces classes. Ces dernières se prononcent sur chaque projet de plan qui leur est présenté dans un délai de 21 jours. Ce délai peut être augmenté ou réduit par le juge-commissaire sans toutefois être inférieur à 15 jours.
En vertu des dispositions de l’article L. 626-30-2, alinéa 5, un vote dans chaque classe se fait à la majorité des deux tiers des voix détenues par les membres ayant exprimé un vote, sans qu’aucune condition de quorum ne soit retenue.
Des modalités particulières de vote sont applicables aux détenteurs de capital qui statuent sur le projet de plan conformément aux dispositions applicables aux assemblées générales extraordinaires des associés ou aux assemblées spéciales.
Le succès du vote du plan est lié à la répartition des parties affectées en classes et à la hiérarchie de leur classement entre les classes prioritaires et subordonnées.
Si le plan est approuvé par chaque classe, le tribunal peut arrêter ce plan après s’être assuré que les intérêts de toutes les parties affectées soient suffisamment protégés.
A contrario, il peut refuser d’arrêter le plan s’il n’offre pas une perspective raisonnable d’éviter la cessation des paiements ou de garantir la viabilité de l’entreprise.
Si le plan n’est pas approuvé par chaque classe, le tribunal peut néanmoins décider une application forcée interclasse qui est mise en œuvre en prenant en compte le « critère du meilleur intérêt », la « détermination de la valeur du débiteur en tant qu’entreprise en activité », ainsi que « la règle de priorité absolue. »
Une fois arrêté, le plan est opposable à tous.
B. L’intervention du tribunal
Afin d’obtenir la validation du plan, le tribunal doit s’assurer que « les parties affectées, partageant une communauté d’intérêt suffisante au sein de la même classe, bénéficient d’une égalité de traitement et sont traitées de manière proportionnelle à leur créance ou à leur droit. » (art. L. 626-31, 2° code de commerce)
En cas de refus de vote par une classe, le tribunal peut néanmoins décider une application forcée interclasse. Cette faculté est permise par la réforme sous réserve de l’accord du débiteur en sauvegarde et, sans son accord, en redressement. Cette application forcée interclasse pourra être opérée par le tribunal après avoir examiné que les conditions relatives au « sérieux » et à « l’équilibre » du plan sont respectées.
Le plan doit être approuvé par une majorité des classes de créanciers titulaires de sûretés réelles ou ayant un rang supérieur à celui de la classe des créanciers chirographaires.
Les créanciers qui s’opposent au projet de plan profitent du critère du meilleur intérêt, ils ne doivent pas se trouver dans une situation, du fait du plan, moins favorable que celle qui serait la leur en cas de liquidation judiciaire ou de cession de l’entreprise.
Enfin, le plan est arrêté dans le respect de la règle de priorité absolue, qui suppose que « les créances des créanciers affectés d’une classe qui a voté contre le plan sont intégralement désintéressées par des moyens identiques ou équivalents lorsqu’une classe de rang inférieure a droit à un paiement ou conserve un intéressement dans le cadre du plan. » Cette règle est prévue par l’article L. 626-32, I, 3° et permet, par exception, de préserver des créanciers de rang inférieur, mais essentiels au maintien de l’activité et au redressement de l’entreprise, comme par exemple des fournisseurs.
Une fois voté et une fois les voies de recours, strictement encadrées, purgées, le plan arrêté peut être mis en œuvre sous le contrôle du commissaire à l’exécution du plan.
Marion LEFEBVRE – étudiante en Master 2 Droit des affaires et fiscalité
Sources :
- Cours « accompagnement juridique des entreprises en difficulté » du Professeur Jean-Philippe DOM
- Mémentos « Droit des entreprises en difficultés », 2024/2025, Laetitia Antonini-Cochin – Laurence Caroline Henry, Lextenso.