Le 15 novembre 2024, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu un arrêt de principe concernant l’exigence d’une majorité pour prendre une décision collective au sein d’une société par actions simplifiée (SAS).
En l’espèce, lors de son assemblée générale, une SAS a décidé d’augmenter son capital en émettant de nouvelles actions. Cette décision a été prise alors que les actionnaires favorables à cette hausse de capital étaient minoritaires. En effet, les statuts de cette société prévoient que les associés peuvent prendre des décisions collectives sans majorité, dès lors qu’un seuil de voix est atteint (ici, la majorité du tiers des droits de vote).
Certains des associés ont demandé l’annulation de cette décision d’augmenter le capital. La cour d’appel a rejeté leur demande dans un arrêt du 20 décembre 2021. Ces associés ont formé un pourvoi en cassation. Le 19 janvier 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation a censuré la cour d’appel. Elle a considéré qu’une augmentation de capital devait être adoptée à la majorité simple des votes exprimés. La cour d’appel chargée de rejuger l’affaire n’a pas suivi la Cour de cassation. Dans un arrêt du 4 avril 2023, elle a affirmé que le seuil de voix prévu par les statuts de cette société était valable. Certains de ces associés ont de nouveau formé un pourvoi en cassation. La résistance de la cour d’appel conduit la Cour de cassation à examiner cette affaire en assemblée plénière.
Les juges ont dû s’interroger sur la question de savoir si la liberté statutaire de la SAS devait être soumise à un principe majoritaire, ou limitée par des règles impératives du droit commun des sociétés qui imposeraient ce principe majoritaire.
La Cour de cassation rend un arrêt de cassation. Elle affirme qu’ « une décision collective d’associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix. »
Ainsi, l’arrêt consacre un principe majoritaire pour les décisions collectives (I). Cet arrêt a un impact significatif quant à la restriction de la liberté contractuelle pour le bon fonctionnement de la société (II).
I – La consécration du principe majoritaire
Il faut préalablement rappeler les modalités des décisions collectives dans la SAS (A), avant d’expliquer la notion de principe majoritaire (B).
A – Les modalités de prise de décision au sein de la SAS
La SAS est une forme sociale qui a une nature contractuelle, ce qui permet aux associés de pouvoir fixer les règles de fonctionnement de la société. En effet, il n’y a que très peu de règles impératives. C’est ce qui fait d’ailleurs son succès ces dernières années.
Concernant les décisions collectives, l’alinéa 1er de l’article L. 227-9 du code de commerce dispose que les statuts prévoient quelles sont les décisions prises collectivement, ainsi que les conditions dans lesquelles ces décisions sont prises. Ainsi, à la lecture de cet article, les associés sont libres de fixer les conditions d’adoption d’une décision, et semblent pouvoir prévoir un seuil inférieur à la majorité des voix exprimées.
La Haute juridiction avait tiré les conséquences de cette liberté statutaire et de la prééminence des statuts. Par exemple, elle avait affirmé que des actes extra-statutaires peuvent compléter les statuts, sans pour autant y déroger (Cass. com., 12 octobre 2022, n° 21-15.382). Néanmoins, elle a aussi affirmé que la liberté n’est pas sans limite. Elle a par exemple jugé que les statuts ne peuvent prévoir un nombre de voix inférieur à la majorité exprimée et que la règle établie par les statuts doit permettre de départager les votes (Cass. com., 19 janvier 2022, n° 19-12.696).
B – L’exigence d’un vote majoritaire pour l’adoption d’une décision collective
Dans sa décision du 15 novembre 2024, la Cour de cassation adopte le principe majoritaire. Elle affirme qu’il faut qu’une décision collective rassemble en sa faveur « le plus grand nombre de voix ». Il n’est pas possible qu’une clause statutaire prévoit un seuil inférieur à la majorité pour l’adoption d’une décision. La minorité de blocage pourrait être remise en cause avec ce principe. Cependant, il est possible de donner aux associés minoritaires le pouvoir de prévaloir sur la majorité, en instituant des droits de vote multiples.
Ce principe majoritaire protège le droit fondamental de participer aux décisions collectives, prévu à l’article 1844, alinéa 1er du code civil, car il assure que les voix de chacun des associés soient prises en compte dans l’adoption d’une décision collective. Le principe minoritaire aurait conduit à ce que seules les voix de certains associés soient prises en compte. En outre, le terme de « décision collective », rend nécessaire un accord, ou au moins un débat entre associés pour mener à l’adoption d’une décision. Cependant, s’il n’est pas nécessaire que la majorité des associés s’accordent, le fonctionnement de la société pourrait faire face à des difficultés.
Ainsi, toute clause allant à l’encontre de ce principe serait réputée non écrite. Cette sanction permet, contrairement à la nullité, de rendre imprescriptible l’action visant à rendre inapplicable cette clause.
II – Les conséquences de cette jurisprudence
Cet arrêt est retentissant, car, d’une part, il restreint la liberté contractuelle (A) et, d’autre part, le fondement légal utilisé semble étendre ce principe à toutes les formes sociales (B).
A – L’encadrement de la liberté contractuelle pour éviter un blocage de la société
La liberté contractuelle régit la SAS. Cependant, ce principe d’un vote majoritaire vient limiter la liberté contractuelle. Les associés ne peuvent pas prévoir un seuil en deçà de la majorité pour adopter une décision. Ce principe majoritaire permet notamment d’éviter un blocage de la société. Effectivement, il est surprenant qu’une minorité adopte une décision. La règle de la minorité entraînerait des difficultés d’organisation au sein de la société. Il est aussi légitime de s’interroger sur l’utilité de réunir une majorité de suffrages si un nombre inférieur de voix peut priver d’effet cette majorité.
L’arrêt de la Cour de cassation du 19 janvier 2022 indiquait déjà la volonté de prévoir des règles permettant de départager les associés. Or, si les associés ont la liberté de prévoir les seuils d’adoption d’une décision, ils pourront aller à l’encontre de cette jurisprudence, créant des blocages dans la société.
En outre, la Cour justifie sa position par le fait qu’à défaut de principe majoritaire, il pourrait y avoir deux décisions contraires prises lors d’une même assemblée générale. Effectivement, une telle règle ouvrirait la voie à ce que deux décisions incompatibles soient prises successivement au sein d’une assemblée générale. Il y a alors un risque de paralysie sociale.
Enfin, il semble que la Cour tende aussi à sécuriser le droit des sociétés avec ce principe majoritaire. Cette volonté s’apercevait déjà avec la jurisprudence Larzul II (Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18.324), qui édicte un critère supplémentaire qui est l’impact sur le processus de décision pour obtenir l’annulation d’une décision collective.
B – Une solution étendue à toutes les décisions collectives
Le fondement légal choisi par la Cour de cassation interroge. Effectivement, la Cour se fonde sur l’article L. 227-9 du code de commerce (relatif aux SAS), mais aussi sur les articles 1844 et 1844-10 du code civil, le premier de ces textes prévoyant que chaque associé a le droit de participer aux décisions collectives, tandis que le deuxième répute non écrites les clauses statutaires contraires à une disposition impérative du Titre IX relatif aux sociétés. Il faut donc se demander si ce principe n’est applicable uniquement qu’aux SAS, ou s’il s’applique à toutes les formes sociales.
L’avocat général n’était pas favorable à la création d’un principe général de majorité en droit des sociétés. Selon lui, la question n’est posée que dans le cadre d’une SAS et donc, seul l’article L. 227-9 renvoie à une règle de majorité simple.
L’arrêt du 19 janvier 2022, ne visait que l’alinéa 2 de l’article L. 227-9 du code de commerce. Néanmoins, cet arrêt se fonde sur les dispositions générales applicables aux sociétés. Il semble donc que ce principe majoritaire couvre l’ensemble des décisions collectives, peu importe la forme sociale.
Néanmoins, la SAS étant régie par la liberté contractuelle, il n’y a pas de règles concernant les seuils d’adoption d’une décision. Cependant, ce n’est pas le cas pour toutes les autres formes sociales. Par exemple, dans les sociétés en nom collectif (SNC), les sociétés à responsabilité limitée (SARL) ou les sociétés anonymes (SA), la loi prévoit les règles de seuils d’adoption d’une décision, de sorte que la règle de la minorité ne pourrait pas s’appliquer. D’autres formes sociales pourraient tirer les conséquences de cet arrêt, comme la société en commandite simple (SCS), ou les sociétés civiles pour les décisions excédant les pouvoirs du gérant.
Clara L’HONORÉ – étudiante en Master 2 Droit des affaires et fiscalité
Sources :
- Audience de la Cour de cassation du 11 octobre 2024
- « La minorité ne peut l’emporter sur la majorité », Bruno Dondero, le quotidien du 2à novembre 2024, Lexbase
- « Décisions collectives prises en SAS : l’exigence d’une majorité de voix exprimées », Bernard Saintourens, le quotidien 31 décembre 2024, Lexbase