La patrimonialisation des jeux vidéo : une nouvelle perspective sur le patrimoine culturel

Pour beaucoup, le jeu vidéo est considéré comme un moyen de divertissement à part entière mêlant en son sein, la musique, les textes, les images, la scénographie et l’architecture.

Il est donc difficile de ne pas se poser la question de la possible conservation de ce vecteur dans un monde toujours plus numérisé qu’est le nôtre.  

Comment est-on passé d’une vision limitée du patrimoine à une approche plus large qui tient compte des évolutions de la société ?

I) Le lien entre jeu vidéo et patrimoine

Bien que la notion de patrimoine soit solidement ancrée dans le langage courant, la dimension purement culturelle du terme “patrimoine” est issue du XIXe siècle. Il a pour socle d’exercice les biens culturels, tels que les monuments, les œuvres d’art, les livres et les traditions, considérés comme héritage pour l’humanité. Cette notion est liée à l’idée de la conservation et de la transmission des valeurs et des traditions culturelles à travers les générations. Pour illustrer ce développement, on peut citer comme cas d’école les peintures de grands maîtres en la matière comme Léonard de Vinci, Michel-Ange, Picasso et bien d’autres, dont les œuvres font l’objet d’une conservation accrue du fait de leur importance dans l’histoire.

Bien évidemment, notre droit national n’a pas été en reste concernant la définition du patrimoine culturel qui reste encore aujourd’hui complexe et qui varie selon les contextes. En France, la loi sur les biens culturels et naturels du 2 janvier 2002 définit le patrimoine culturel comme “tous les éléments matériels et immatériels qui témoignent de l’histoire et de la culture d’un peuple ou d’une communauté”. 

On se positionne donc bel et bien dans une conservation non plus ancienne du terme, mais plus dans une conservation qui témoigne d’éléments qui ont bouleversé la société. 

Concernant le jeu vidéo, il est né dans les années 50 afin de lier l’informatique naissante et le ludique. Bien évidemment, le terme “jeu” ne date pas d’hier, on le retrouve dans les écrits Antiques. Selon Johan Huizinga, le jeu “est plus ancien que la culture”. 

Les années passants et les technologies firent de même donnant la possibilité aux éditeurs de jeux vidéo, maintenant acteurs économiques majeurs, de se frotter à toucher à la matière du patrimoine. 

Comme le rappelle le studio Ubisoft France, le but de leur jeu n’est pas de refaire l’histoire, mais de servir de témoin d’une époque révolue avec ses événements marquants traçant ainsi la trame de notre histoire commune. 

On transite donc d’un moyen de loisirs à un moyen d’éducation et de recherche en lien avec différentes autres sources de savoir dont un tiers de la population mondiale consacre régulièrement son temps. 

Pour exemple, Alexandre Amancio, directeur artistique du jeu Assassin’s Creed Unity, explique que “la reconstitution historique de Paris de 1789, est très fidèle, on a fait appel pour cela à des historiens pour valider beaucoup d’éléments sur notre narratif, mais aussi des éléments par rapport à l’architecture”.

Encore aujourd’hui le Paris d’Assassin’s Creed Unity est considéré comme la reconstitution de la Capitale du XVIIIe siècle la plus proche de la réalité. 

Ainsi, le jeu vidéo est devenu un vecteur de transmission d’histoire du fait de sa propre naissance, mais aussi par rapport au sujet qu’il traite, ce qui lui a valu à ce titre une porte ouverte dans la conservation du patrimoine culturel. 

II) L’incorporation du jeu vidéo dans la patrimonialisation culturelle 

Comme on a pu le voir, la notion de patrimoine a évolué au fil du temps, passant d’une définition étroite et territoriale à une approche plus large et flexible. De ce fait, des voix de passionnés se sont fait entendre dès 1990 dans la volonté de conserver une mémoire de l’histoire informatique et vidéoludique. 

La conservation des jeux vidéo ne se concentre plus sur la préservation d’objets ou de lieux, mais plutôt sur la sauvegarde des usages et des pratiques associées à ces jeux. 

Selon Laurent Duplouy, chef du service multimédias au département dédié de la Bibliothèque nationale de France : « Pour la BnF, le jeu vidéo est aussi précieux que les autres types de documents conservés. On y porte la même attention, c’est un patrimoine culturel à part entière ». 

En effet, la Bibliothèque nationale de France est l’un des plus fervents acteurs en faveur de la reconnaissance des jeux vidéo comme un patrimoine culturel immatériel. C’est au travers de sa propre création intitulée Royaume d’Istyald que l’institution a voulu démontrer l’aspect vivant et majeur du média qu’est le jeu vidéo. Je ne peux que vous conseiller de vous laisser embarquer dans cette expérience sur le site de la BnF (Lien vers le Royaume d’Istyald https://fantasy.bnf.fr/fr/jouer/).  

On retrouve dans cette initiative un sentiment de nostalgie mêlant héritage technologique et désir de contribuer à sa longévité pour les générations futures. 

En effet, le but de ce processus de patrimonialisation est de conserver ces éléments du passé que sont les consoles, cartouches, disquettes, non pas en les figeant dans le temps, mais de reconnaître un rôle de témoin de l’histoire pour les générations suivantes. 

C’est pour cela que le ministre de la Culture de l’époque, Frédéric Mitterrand, a pris position en 2010 sur la création d‘un musée éphémère national du Jeu vidéo. Ainsi, cette initiative a démocratisé cet art nouveau au point de donner naissance, courant 2026, à un lieu dédié portant le nom de “projet Odyssée”, déjà autoproclamé comme le “premier musée du jeu vidéo en France”, au sein de la ville de Bussy-Saint-Georges

De plus, l’exposition “Game Story” en 2011, a mis en avant l’histoire et la culture du jeu vidéo en France ouvrant les consciences sur le fait de l’importance du jeu vidéo sur la société. 

Les jeux vidéo sont devenus un moyen puissant de promouvoir la découverte du patrimoine culturel à l’échelle mondiale comme c’est le cas de Ghost of Tsushima, qui met en lumière le Japon féodal avec un grand respect pour l’esthétique et les coutumes d’époque.

En plongeant les joueurs dans des environnements historiques ou fictifs inspirés par des périodes et des lieux réels, il suscite une réflexion critique et éthique de notre Histoire commune. Pour ce faire, le Studio Ubisoft France a créé des outils éducatifs portant le nom de Discovery Tours afin d’aider les jeunes à découvrir l’histoire de manière interactive. Ses jeux éducatifs, tels que les versions de Civilization (jeux de stratégie), permettent aux joueurs au sens large de parcourir l’histoire de la Grèce antique à l’ère viking, et d’en apprendre davantage sur la vie quotidienne et les événements historiques.

Il est impossible de nier l’impact qu’a eu le jeu vidéo dans notre société contemporaine, on peut donc comprendre, que les jeux vidéo sont aujourd’hui un formidable outil de valorisation du patrimoine culturel mondial, alliant divertissement et éducation. 

Néanmoins, le processus de patrimonialisation culturel est toujours en cours comme l’attestent des musées dédiés à l’informatique qui ont vu le jour à Berlin, Montréal, Bruxelles et New York, consacrant ainsi le jeu vidéo comme objet culturel à préserver.

La partie est loin d’être gagnée, mais gardons l’espoir sans redouter le GAME OVER. 

Baptiste VARENGUE – étudiant en Master 2 Droit du patrimoine et des activités culturelles

Sources

https://fantasy.bnf.fr/fr/jouer/

https://gamingcampus.fr/boite-a-outils/les-grandes-etapes-de-lhistoire-du-jeu-video.html

https://journals.openedition.org/pds/5887

https://shs.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2012-1-page-134?lang=fr

https://www.archimuse.com/publishing/ichim04/3391_Esposito.pdf

https://www.lepoint.fr/societe/france-a-la-bibliotheque-nationale-les-jeux-video-sont-un-patrimoine-culturel-a-part-entiere-08-08-2022-2485772_23.php#11 
https://www.maddyness.com/2021/12/24/notre-dame-comment-jeu-video-sempare-patrimoine/

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