Loi n° 2025-412 du 12 mai 2025 visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte

Le 3 décembre 2024, le groupe de la droite Républicaine (DR) a proposé, devant l’Assemblée nationale, une loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte. Cette proposition intervient alors que l’île est dévastée par le cyclone Chido du 9 décembre 2014 et est en proie à de fortes pressions migratoires. Le texte a été élaboré avant le passage du cyclone, mais celui-ci a exacerbé la pauvreté, le manque de services publics et a ravivé la sensibilité aux questions migratoires. 

Une procédure accélérée a alors été engagée par le gouvernement le 3 février 2025. Cette procédure permet l’adoption du projet de loi à l’issue d’une seule lecture par les chambres du Parlement. La version finale de cette loi a été adoptée par le Sénat le 3 avril 2025 et par l’Assemblée nationale le 8 avril 2025.

Le Conseil constitutionnel, saisi par plus de 60 députés et plus de 60 sénateurs, a été questionné sur la compatibilité de cette loi avec la Constitution du 4 octobre 1958.

Le statut de Mayotte :

La population de Mayotte s’est prononcée par référendum le 29 mars 2009 sur le statut juridique de l’île. Mayotte est alors devenue un département et une région d’outre-mer (DROM) à assemblée délibérante unique, ce qui signifie que le conseil départemental exerce également les compétences d’un conseil régional. Désormais, son statut relève de l’article 73 de la Constitution.

Les règles du droit du sol en France : 

Afin de mieux comprendre cette proposition, il est essentiel de revenir sur la notion du droit du sol et son application sur l’ensemble du territoire français. L’accès à la nationalité française repose sur deux concepts juridiques : le droit du sol et le droit du sang.

  • Le droit du sol permet l’attribution de la nationalité française à tout enfant né sur le territoire français.
  • Le droit du sang permet l’attribution de la nationalité française du fait de la nationalité française d’au moins un parent.

L’application de la règle générale s’applique différemment selon deux grands cas de figure : 

  • Pour les enfants nés sur le territoire français d’au moins un parent né en France et pour les enfants nés sur le territoire et apatrides : la nationalité française est attribuée automatiquement dès la naissance.
  • Pour les enfants nés en France de parents étrangers : ils peuvent avoir la nationalité française automatiquement à 18 ans s’ils sont nés en France et s’ils ont résidé en France pendant au moins 5 ans depuis l’âge de 11 ans. Ils peuvent également en faire la demande à partir de l’âge de 13 ans, avec l’accord de leurs parents s’ils ont résidé en France au moins 5 ans depuis l’âge de 8 ans. 

La proposition de loi :

Cette proposition vise à durcir la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Cette dernière avait déjà renforcé les conditions d’accès à la nationalité française pour les enfants nés à Mayotte en ajoutant une condition au droit du sol : l’un des parents doit justifier d’un séjour régulier et continu d’au moins 3 mois en France. 

Le Conseil constitutionnel, dans un avis du 6 septembre 2018, a considéré que les circonstances à Mayotte constituaient des « caractéristiques et contraintes particulières » permettant l’adoption de cette loi.

En 2018, la question de restreindre à Mayotte le droit du sol aux enfants nés de parents étrangers s’était déjà posée. Toutefois, depuis 2018, le taux de natalité a largement augmenté, pour atteindre un nouveau record en 2022 avec 10 775 naissances, selon les chiffres de l’INSEE. La proposition de loi de 2025 vise alors à durcir et à ajouter des conditions supplémentaires : 

  • La condition de séjour régulier, de la loi de 2018, est désormais étendue aux deux parents (sauf en cas de famille monoparentale).
  • La durée de séjour régulier exigée est portée à un an minimum.
  • L’acte de naissance de l’enfant devra mentionner la durée de résidence régulière des parents, leur titre de séjour et un passeport biométrique.

Ces mesures soulèvent des interrogations quant à plusieurs principes juridiques fondamentaux en France : l’égalité devant la loi, l’unité du territoire et le droit du sol. Le Conseil constitutionnel a ainsi été saisi pour se prononcer sur leur conformité à ces principes, déjà remis en question lors du précédent projet de « loi immigration ».

La question de l’identité nationale prend une place importante dans le débat public. C’est pourquoi le Premier ministre, François Bayrou, a déclaré vouloir un débat sur la question : « Qu’est-ce qu’être Français ? ».

La décision du Conseil constitutionnel :

Le Conseil constitutionnel a été saisi pour contrôler une potentielle atteinte aux principes d’égalité et d’indivisibilité de la République.

Il a rendu, le 7 mai dernier, un avis favorable sur cette proposition de loi, qui devrait donc être promulguée. Il justifie sa décision en rappelant que « la population de Mayotte comporte, par rapport à l’ensemble de la population résidant en France, une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière, ainsi qu’un nombre élevé d’enfants nés de parents étrangers ». Aux yeux du Conseil constitutionnel, les circonstances sont suffisamment particulières pour justifier une atteinte à ces principes et une adaptation du droit du sol, pourtant appliqué uniformément sur le reste du territoire français. 

Il a toutefois émis une réserve concernant l’exigence d’un passeport biométrique ajouté par la proposition de loi : celui-ci ne saurait être opposé aux ressortissants dont le pays n’en délivre pas. Dans ce cas, un autre justificatif d’identité pourra être accepté.

Enfin, le Conseil revient sur le principe d’égalité devant la loi, puisque la population de Mayotte se voit appliquer des règles dérogatoires à la règle générale en vigueur sur le reste du territoire français. Il considère que ce principe « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général ». Il relativise ainsi un principe fondamental en France, au nom de l’intérêt général et de certaines circonstances.

La question qui peut alors être soulevée est : Dans quelle mesure et jusqu’à quel point le juge constitutionnel acceptera-t-il les dérogations au principe d’égalité ?

Océane Piquenard – étudiante en Master 1 Droit public 

Les sources : 

  • Loi n°2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtresée, un droit d’asile éffectif et une intégration réussie : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2018/9/10/INTX1801788L/jo/texte
  • Décision n°2018-770 DC du 6 septembre 2018 Loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018770DC.htm
  • Loi n°2025-412 du 12 mai 2025 visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Marotte : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000051582188
  • Décision n°2025-881 DC du 7 mai 2025 Loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2025/2025881DC.htm
  • Vie Publique : « Loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une immigration réussie ».
  • Vie Publique : « Outre-Mer : des statuts de plus en plus différenciés »
  • Vie Publique : « Loi du 12 mai 2025 visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte ».
  • InfoMigrants : « Mayotte : le Conseil constitutionnel valide le durcissement du droit du sol ».
  • Le Monde : « Mayotte : le durcissement du droit du sol adopté définitivement par le parlement ».
  • Le club des juristes : « Le droit du sol à Mayotte, une question singulière ? ».

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