Le pacte Dutreil lors d’une donation-partage avec soulte

Chaque personne possède un patrimoine, constitué au fil de sa vie, qui aura vocation à être transmis un jour ou l’autre, que ce soit de son vivant ou à son décès. Dans les deux cas, cette transmission entraîne l’application de droits de mutation à titre gratuit (DMTG), sous forme de droits de donation ou de droits de succession. Toutefois, ces droits peuvent constituer des obstacles pour les héritiers ou les donataires, du fait de leur montant souvent élevé. Afin de pallier ces difficultés, il existe le pacte Dutreil, qui s’applique aussi bien aux donations qu’aux successions, et il est parfois combiné à la donation-partage afin d’optimiser la transmission patrimoniale.

La donation-partage est un mode de transmission anticipée du patrimoine, qui doit être constatée par acte notarié, permettant au donateur de répartir de son vivant, entre ses héritiers présomptifs, tout ou partie de ses biens. Cette opération porte donc sur les biens du donateur, pouvant être des titres de société ou une entreprise individuelle, et, lorsque tel est le cas, la donation-partage peut être combinée au dispositif fiscal du pacte Dutreil. Ce pacte a pour but de permettre une exonération partielle de 75 % de la valeur des titres ou de l’entreprise transmis, constituant ainsi un levier d’optimisation fiscale, particulièrement intéressant. 

L’intérêt de la combinaison de ces deux mécanismes peut être renforcé par l’insertion d’une soulte, destinée à compenser une inégalité de répartition entre les bénéficiaires. Ce mécanisme soulève alors des enjeux complexes, tant sur le plan fiscal que civil. 

Ainsi, il convient d’analyser les avantages du recours à une donation-partage avec soulte conjuguée au pacte Dutreil (I), avant d’en envisager les limites et les risques (II).

I. Les atouts du recours au pacte Dutreil dans une donation-partage avec soulte

A. Le pacte Dutreil : un outil d’optimisation fiscale au service de la transmission d’entreprise

Le « pacte Dutreil » instauré par la loi du 1er août 2003, dite « loi Dutreil », est un dispositif juridique et fiscal conçu par le législateur afin de faire bénéficier la transmission à titre gratuit d’une entreprise individuelle ou des titres d’une société d’une exonération de DMTG. Le but de ce mécanisme est de répondre à une problématique récurrente concernant la charge excessive que représentent les DMTG, perçus comme un obstacle à la pérennité des structures entrepreneuriales familiales. Son objectif est ainsi double, il favorise la conservation du tissu économique familial, tout en allégeant le coût fiscal de la transmission d’entreprise.

En effet, le pacte Dutreil permet une exonération de 75 % de la valeur des titres ou de l’entreprise individuelle transmis, par voie de donation ou de succession (code général des impôts (CGI), art. 787 B). Ce dispositif peut être mobilisé dans le cadre d’une donation-partage, dont l’intérêt, par rapport à une donation simple, est qu’elle fige les valeurs au jour de l’acte. En y ajoutant une soulte, destinée à compenser les éventuelles inégalités entre bénéficiaires, le montage permet d’atteindre un équilibre patrimonial sans compromettre les effets fiscaux de l’exonération. Ce cumul permet en outre de bénéficier d’une réduction des DMTG de 50 % si la donation est réalisée en pleine propriété avant les 70 ans du donateur (CGI, art. 790).

Par voie de conséquence, le pacte Dutreil s’impose comme un outil au service de l’optimisation fiscale et de la gestion successorale, répondant à la fois à des objectifs économiques, patrimoniaux et familiaux.

B. La donation-partage avec soulte : sécurisation juridique et familiale de la transmission

La donation-partage permet à une personne, de son vivant, de transmettre et de répartir tout ou partie de son patrimoine entre ses héritiers présomptifs. Lorsque cette opération est complétée par le versement d’une soulte, c’est-à-dire une somme d’argent destinée à compenser une inégalité entre les lots attribués, on parle alors de donation-partage avec soulte. La donation-partage avec soulte intervient notamment lorsqu’un seul enfant souhaite reprendre l’entreprise familiale. Dans ce cas, la donation porte sur l’entreprise ou les titres de la société, mais les lots attribués aux donataires ne sont pas composés de manière identique. Par conséquent, le repreneur reçoit l’intégralité des titres dans son lot, tandis que ses frères et sœurs reçoivent des soultes, c’est-à-dire des compensations financières que le donataire repreneur leur doit. Ce mécanisme permet de transmettre l’entreprise à un seul des héritiers tout en garantissant l’équité entre tous, du fait de la compensation financière versée aux autres donataires. Le recours à la soulte assure ainsi la liberté de transmission tout en préservant l’égalité patrimoniale entre les héritiers.

Mais l’intérêt du recours à la donation-partage dépasse les seuls aspects organisationnels, elle constitue une véritable protection juridique et fiscale pour le donateur. En effet, l’un des grands avantages de la donation-partage tient à ce que les biens transmis ne soient pas réévalués au moment de la succession. Ainsi, contrairement aux donations simples, les biens donnés dans le cadre d’une donation-partage ne sont pas rapportés à la masse successorale, leur valeur est définitivement figée au jour de la donation, et non à celui du décès (C. civ., art. 1078 et s.). Ce principe permet d’éviter toute remise en cause de la répartition opérée par le donateur et empêche les conflits entre héritiers, notamment en cas de variation de la valeur des biens.

D’un point de vue fiscal, le pacte Dutreil s’applique à la donation-partage avec soulte. En effet, l’exonération de 75 % prévue par ce dispositif va bénéficier à l’ensemble des donataires. Cela permet d’étendre l’exonération aux soultes versées, dès lors qu’elles compensent une répartition inégale des titres relevant du régime Dutreil. L’assiette imposable est ensuite diminuée d’un abattement de 100 000 euros en ligne directe par parent et par enfant. À cela, peut s’ajouter un second avantage fiscal lorsque la donation porte sur la pleine propriété des titres ou de l’entreprise individuelle et que le donateur est âgé de moins de 70 ans : une réduction de 50 % des DMTG est alors applicable sur la somme des droits dus (et non sur la base imposable), conformément à l’article 790 du CGI. 

II. Les contraintes et fragilités du montage combinant pacte Dutreil et soulte

A. La complexité du cadre juridique et les risques de remise en cause de l’exonération

Si le recours combiné au pacte Dutreil et à la donation-partage avec soulte présente des atouts indéniables en matière de transmission d’entreprise, il suppose en contrepartie de respecter des conditions juridiques et fiscales strictes, pouvant freiner ou compromettre son efficacité.

En premier lieu, le bénéfice de l’exonération partielle des DMTG prévue par le pacte Dutreil implique le respect de divers engagements. Ainsi, en cas de transmission de titres d’une société, il faut respecter :  

  • Un engagement collectif de conservation : le donateur ou le défunt doit s’engager, seul ou avec ses associés, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, pour une durée de deux ans et en cours au jour de la transmission, à détenir 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote.
  • Un engagement individuel de conservation : au jour de la transmission, le donataire ou le légataire doit s’engager pour une durée de quatre ans, à compter de l’expiration de l’engagement collectif de conservation, à conserver les titres transmis.
  • L’exercice d’une fonction de direction : L’un des légataires ou donataires ou l’un des signataires de l’engagement collectif de conservation doit exercer une fonction de direction au sein de la société, et ce, pour la durée de l’engagement collectif de conservation et les trois ans qui suivent la transmission.

Ces obligations, bien qu’elles visent la pérennité de l’entreprise dans un cercle familial, peuvent se révéler trop contraignantes. Précisément, dès lors que survient un désaccord entre les donataires, un besoin de liquidité ou une évolution imprévue de la situation de l’entreprise, le non-respect de ces conditions a pour effet d’entraîner la remise en cause de l’exonération, avec des pénalités à la clé.

La combinaison avec une donation-partage avec soulte complexifie davantage le montage. D’un point de vue juridique, la qualification même de « donation-partage » suppose que la soulte soit fixée de manière précise et équilibrée entre les héritiers. Or, dans les faits, l’évaluation des titres sociaux ou de l’entreprise individuelle est particulièrement délicate, et une mauvaise estimation peut entraîner un déséquilibre contestable ou une requalification partielle de l’opération en donation déguisée. Cela expose le montage à un risque contentieux, tant du point de vue fiscal, comme un contrôle de l’administration, que civil, provenant de la réclamation d’un héritier lésé. Pour éviter la remise en cause de la valorisation des titres ou de l’entreprise individuelle, les contribuables peuvent réaliser un rescrit-valeur en interrogeant l’administration fiscale sur la valeur des titres ou de l’entreprise transmis.

Par ailleurs, l’administration fiscale se montre de plus en plus vigilante à l’égard des montages patrimoniaux intégrant le pacte Dutreil, soulte et donation-partage. Dans sa doctrine et sa pratique, elle n’hésite pas à remettre en cause l’exonération si les engagements Dutreil ne sont pas parfaitement documentés ou si elle estime que la soulte masque une inégalité significative ou un abus de droit. 

B. Les défis du remboursement de la soulte dans une donation-partage avec soulte

La donation-partage avec soulte pose la question du financement et du remboursement de cette soulte. En effet, le donataire est contraint de rembourser rapidement la soulte, au risque de se voir appliquer des mécanismes d’indexation (la soulte est réévaluée si la valeur des biens transmis dépasse de plus de 25 % celle retenue au moment de la donation). Pour ce faire, il doit souvent mobiliser des ressources externes, notamment sous la forme d’un emprunt bancaire. Cependant, le remboursement de ce même emprunt repose généralement sur les dividendes futurs qui seront distribués par l’entreprise, eux-mêmes soumis à l’imposition, ne faisant qu’inévitablement réduire la capacité réelle de remboursement. 

Pour optimiser le remboursement de la soulte, il est courant de créer une holding détentrice des titres de la société opérationnelle, ce qui permet ainsi de centraliser le financement de la soulte et de bénéficier du régime mère-fille sur les dividendes perçus, venant améliorer la trésorerie disponible pour rembourser l’emprunt.

Néanmoins, réside ici une nouvelle difficulté puisqu’un tel montage suppose une gestion financière rigoureuse ainsi qu’une évaluation préalable de la capacité de l’entreprise à générer suffisamment de dividendes sur la durée du remboursement. 

Par conséquent, cette situation nécessite une planification fiscale et patrimoniale adaptée, afin de s’assurer que l’opération soit viable à long terme. En somme, si la donation-partage avec soulte combinée au pacte Dutreil offre des avantages fiscaux importants, sa mise en œuvre pratique implique une maîtrise fine des aspects financiers, sous peine de voir se révéler des difficultés majeures pour le donataire repreneur.

Laïna DURÉCU – étudiante en Master 1 Droit des affaires et fiscalité

Sources : 

https://www.dictionnaire-juridique.com/definition/pacte-dutreil.php
https://www.lexbase.fr/article-juridique/74100080-focus-pacte-dutreil-et-donationpartage-la-recherche-complexe-de-lequilibre-et-de-loptimisation
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1266
https://www.notaires.fr/fr/donation-succession/donation/succession-donation-partage-et-donation-transgenerationnelle
https://www.heritage-succession.com/article-avantages-et-inconvenients-de-la-donation-partage.html
https://www.dictionnaire-juridique.com/definition/pacte-dutreil.php#:~:text=Le%20%C2%AB%20pacte%20Dutreil%20%C2%BB%20est%20un,d%C3%A9c%C3%A8s%20ou%20%C3%A0%20une%20donation.
https://www.noun-partners.com/analyses/donation-partage-avec-usufruit-et-soulte
https://www.lesechos.fr/patrimoine/impots/succession-la-donation-partage-au-service-du-chef-dentreprise-1787243

https://www.noun-partners.com/analyses/donation-partage-inconvenients https://www.heritage-succession.com/article-avantages-et-inconvenients-de-la-donation-partage.html

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