Les conventions réglementées

Peut-on librement conclure un contrat entre une société et son propre dirigeant ? Lorsqu’un dirigeant contracte avec sa société, il devient juge et partie. Si la liberté contractuelle demeure un principe, elle trouve ici ses limites dans la nécessité de protéger l’intérêt social et les associés contre les conflits d’intérêts. La loi est venue encadrer ces situations par le biais du régime des « conventions réglementées ». Les objectifs sont clairs : laisser le contrôle de ces conventions aux organes sociaux et informer les associés de leur contenu.

I. Définition

Lorsqu’un dirigeant conclut une convention au nom et pour le compte de la société, ses intérêts personnels peuvent entrer en conflit avec ceux de cette dernière.

À titre d’exemple, un dirigeant pourrait solliciter un prêt à titre personnel et demander à ce que la société se porte caution pour garantir son remboursement. Une telle opération ferait clairement apparaître une contradiction avec l’intérêt social de l’entreprise, le patrimoine social risquant d’être engagé au profit d’un intérêt purement individuel.

Afin de prévenir ce type de dérive, le législateur a institué le régime des conventions réglementées, lequel impose un contrôle préalable de ces opérations par les organes compétents de la société.

II. Les autres types de conventions

Le régime des conventions réglementées vient nuancer le régime des conventions dites « libres » et celui des conventions dites « interdites ».

Les conventions sont qualifiées de « libres » lorsqu’elles visent des « opérations courantes et conclues à des conditions normales » (1), c’est-à-dire à des conditions équivalentes à celles qu’une société aurait pu obtenir d’un tiers indépendant. Ces conventions ne nécessitent ni autorisation préalable ni approbation ultérieure, dès lors qu’elles ne portent pas atteinte à l’intérêt social.

À l’inverse, les conventions interdites visent certains actes expressément prohibés par la loi en raison des risques qu’ils font peser sur le patrimoine social. Il s’agit notamment des avances en compte courant, prêts ou cautions consentis au profit d’un dirigeant ou de ses proches (2). De telles conventions sont nulles de plein droit (3).

Enfin, les conventions réglementées occupent une position intermédiaire : elles ne sont ni prohibées ni libres, mais subordonnées à un contrôle interne. Leur validité suppose une autorisation préalable du conseil d’administration ou du conseil de surveillance et du directoire dans les sociétés anonymes, et une approbation ultérieure de l’assemblée des associés dans les sociétés à responsabilité limitée (4).

III. L’application du régime des conventions réglementées

A) Régime au sein des sociétés à responsabilité limitée (SARL) : articles L. 223-19 et suivants du Code de commerce

Le régime des conventions réglementées au sein des sociétés à responsabilité limitée (SARL) se révèle moins contraignant que celui applicable aux sociétés anonymes (SA).

En effet, la procédure repose sur un contrôle a posteriori des conventions conclues entre la société et l’un de ses gérants ou associés. Aucune autorisation préalable du conseil d’administration n’est exigée.

Le commissaire aux comptes, lorsqu’il en existe un, doit établir un rapport spécial répertoriant l’ensemble des conventions intervenues, directement ou par personne interposée, entre la société et l’un de ses dirigeants ou associés. Ce rapport est ensuite soumis à l’approbation de l’assemblée des associés, laquelle statue sur ces conventions. L’associé ou le gérant intéressé ne peut pas prendre part au vote, afin d’éviter tout conflit d’intérêts.

Enfin, la sanction du non-respect de cette procédure n’est pas la nullité de la convention : celle-ci demeure valable, mais le dirigeant concerné pourra être tenu de réparer le préjudice éventuellement causé à la société ou aux associés.

B) Régime au sein des sociétés anonymes (SA) : articles L. 225-38 et suivants du Code de commerce 

Dans les sociétés anonymes, le législateur a instauré un contrôle a priori des conventions réglementées, en subordonnant leur conclusion à une autorisation préalable du conseil d’administration ou, le cas échéant, du conseil de surveillance et du directoire.

Ce contrôle vise les conventions conclues entre la société et son directeur général, l’un de ses administrateurs, un actionnaire disposant de plus de 10 % des droits de vote, ou encore toute personne interposée agissant pour leur compte.

La procédure applicable est plus stricte et plus formaliste que celle prévue pour les SARL.

Dans un premier temps, la personne intéressée doit informer le conseil de l’intention de conclure une convention entrant dans le champ de l’article L.225-38 du Code de commerce. Le conseil délibère alors et, s’il y a lieu, autorise préalablement la conclusion de la convention. L’intéressé ne peut pas participer au vote, afin de prévenir tout conflit d’intérêts.

À défaut d’autorisation préalable, la convention encourt la nullité, sous réserve de la possibilité pour le juge de valider l’acte si son exécution n’a pas porté atteinte à l’intérêt social (article L.225-42). 

Une fois la convention conclue, elle fait l’objet d’un rapport spécial du commissaire aux comptes, présenté à l’assemblée générale ordinaire annuelle, qui doit alors statuer sur son approbation. L’intéressé ne peut, là encore, prendre part au vote.

Le défaut d’approbation n’entraîne pas la nullité de la convention, laquelle demeure opposable aux tiers ; toutefois, le dirigeant concerné peut être tenu de réparer le préjudice causé à la société.

Enfin, toutes les conventions autorisées doivent être communiquées au président du conseil d’administration, et mentionnées dans le rapport spécial du commissaire aux comptes, soumis chaque année à l’assemblée des actionnaires.

IV. Les enjeux du dispositif

En encadrant les relations contractuelles entre les dirigeants et leur société, le législateur cherche à prévenir les conflits d’intérêts susceptibles de compromettre la loyauté de la gestion.

L’idée directrice est de rétablir un équilibre entre le pouvoir du dirigeant — qui dispose d’une large autonomie — et le droit de regard des associés ou actionnaires. Le contrôle des conventions par les organes sociaux permet d’instaurer un « contre-pouvoir » interne au sein de la société. En autorisant ou refusant une convention, ils exercent une fonction de régulation des comportements dirigeants.

Toutefois, en pratique, le contrôle opéré par les organes sociaux est parfois purement formel. Son efficacité repose sur l’engagement des organes sociaux à assurer un contrôle réel et attentif de ces conventions. Le but étant de garantir la transparence dans la gestion de la société. 

Enfin, la sanction de la nullité reste rarement prononcée : elle est remplacée par des actions en responsabilité, souvent difficiles à mettre en œuvre.

Meunier Margaux, Master 1 droit des Affaires et fiscalité

(1) : articles L. 225-39 et L. 223-20 du Code du commerce pour les SA et les SARL 

(2) : articles L.225-43 et L.223-21 du Code de commerce pour les SA et les SARL

(3) : Cass. com., 25 avr. 2006, n° 05-12.734 

(4) : articles L.225-38 et L.223-19 du Code de commerce pour les SA et les SARL

Sources : 

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