Suite à l’affaire Palmade, et après plusieurs années de débats, la question des homicides involontaires du fait de comportements dangereux d’automobilistes a été tranchée. Bien que symboliquement cette consécration ait été favorablement accueillie par une grande partie de l’opinion publique (I), en pratique, son intérêt reste discutable (II).
I. Une consécration attendue
Le 9 juillet 2025, le législateur a introduit en droit français les infractions d’homicide routier et de blessures routières (loi n°2025-622 créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière). Cette loi permet de réprimer les comportements à risque des conducteurs qui peuvent notamment entraîner des accidents mortels de la circulation.
L’article 221-18 du Code pénal consacre désormais le délit autonome d’homicide routier. Il prévoit que « le fait, pour le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, de causer, dans les conditions et les distinctions prévues à l’article 121-3, la mort d’autrui sans intention de la donner, constitue un homicide routier ». Ce délit est constitué dès lors qu’une des dix circonstances aggravantes prévues est retenue (« violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement autre que celles mentionnées aux 2° à 10° du présent article », « état d’ivresse manifeste, était sous l’empire d’un état alcoolique », usage de stupéfiants, excès de vitesse de 30 km/h ou plus, délit de fuite ou non-assistance à personne en danger, « le conducteur n’était pas titulaire du permis de conduire ou son permis avait été annulé, invalidé, suspendu ou retenu »…).
Ce délit est sanctionné par une peine de 7 ans d’emprisonnement et de 100 000€ d’amende. En cas de pluralité de circonstances aggravantes, les peines sont alourdies (10 ans de prison et 150 000€ d’amende). Des peines complémentaires en lien avec l’infraction sont également prévues telles que la suspension ou l’annulation du permis de conduire, l’interdiction de conduire certains véhicules terrestres à moteur ou encore la confiscation du véhicule. Ces peines peuvent être prononcées selon l’infraction commise ou les circonstances de commission.
La proposition de loi avait été déposée le 17 octobre 2023 devant l’Assemblée nationale, et faisait notamment suite à l’affaire Pierre Palmade définitivement jugée le 20 novembre 2023 qui avait relancé le débat s’agissant des homicides routiers du fait de sa forte médiatisation. Les faits s’étaient déroulés le 10 février 2023 lorsqu’il avait percuté une voiture sous l’empire de drogues, faisant trois blessés graves, dont une femme enceinte qui avait perdu son enfant à naître à la suite d’une césarienne pratiquée en urgence. L’expertise révélait que le fœtus n’était pas né vivant. Ainsi, la question s’était posée de savoir si l’infraction d’homicide involontaire pouvait être retenue. La Cour de cassation a toujours refusé d’appliquer cette qualification à l’enfant à naître selon le principe d’interprétation stricte de la loi pénale. En 2003, elle avait jugé que dès lors qu’un enfant avait pu naître vivant, même quelques instants, une telle qualification pouvait prévaloir. Dans le cas précis de l’affaire Palmade, cette jurisprudence ne pouvait ainsi pas être retenue et seule la qualification de blessures involontaires sur les trois blessés avait été appliquée. La nouvelle infraction d’homicide routier n’aurait également pas pu s’appliquer.
A la suite de la consécration de cette infraction, différents arrêts ont été rendus, condamnant des chauffards plus ou moins sévèrement pour homicide routier. Par exemple, le Tribunal de Vesoul a condamné à un an de prison ferme un homme pour homicide routier alors qu’il roulait sous l’empire d’alcool. D’autres sanctions plus sévères ont également pu être prononcées dans d’autres affaires. Symboliquement, les familles des victimes, les associations, se réjouissent de cette avancée. En revanche, dans les faits, les réponses sont considérées trop faibles dans certains cas.
Aussi, les professionnels du droit ont également pu soulever l’intérêt relatif de cette consécration.
II. Une portée limitée
Alors que l’homicide routier a été spécialement consacré dans le Code pénal, les infractions sanctionnées sur ce fondement l’étaient déjà sous l’angle de l’article 221-6-1 du Code pénal tel qu’il était rédigé avant l’entrée en vigueur de cette loi. En effet, cet article sanctionne spécialement l’homicide involontaire commis par un conducteur d’un véhicule terrestre à moteur par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou « manquement à une obligation législative ou réglementaire de prudence ou de sécurité prévu par l’article 221-6 ». Une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000€ d’amende est prévue. En revanche, cette même peine était aggravée notamment lorsque « le conducteur se trouvait en état d’ivresse manifeste », « avait fait usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants », avait commis un excès de vitesse égal ou supérieur à 50km/h ou encore avait commis un délit de fuite ou de non-assistance à personne en danger. Dans ce cas, les peines étaient portées à 7 ans d’emprisonnement et 100 000€ d’amende. Elles étaient même portées à 10 ans d’emprisonnement et 150 000€ d’amende lorsque l’homicide involontaire avait été commis avec deux ou plusieurs des circonstances aggravantes prévues.
Après des débats et des années de revendications, les parlementaires ont finalement consacré le délit autonome d’homicide routier (et de blessures routières). Il était considéré par certains que le terme « involontaire » était insuffisant pour que la réalité d’un tel drame ainsi que le comportement sciemment dangereux des conducteurs soient réellement pris en compte. Cette adoption permet donc d’affirmer de manière symbolique que c’est finalement la conduite mortelle fautive qui est réprimée.
Cette avancée a été favorablement accueillie par une partie de l’opinion publique mais son intérêt pratique reste discutable. En effet, les comportements visés pour caractériser l’homicide routier étaient déjà prévus comme circonstances aggravantes de l’homicide involontaire commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur. Ainsi, ces agissements étaient déjà largement réprimés par les tribunaux sur ce fondement et pouvaient aboutir au prononcé des mêmes peines que celles nouvellement prévues. D’ailleurs, les peines prononcées jusqu’à lors ne traduisent pas une volonté des tribunaux d’être plus ou moins sévères qu’ils ne l’étaient auparavant sur le fondement de l’homicide involontaire. Des peines lourdes de prison ferme sont décidées par les tribunaux mais d’autres, moins strictes, le sont également. La gravité des faits est prise en compte ainsi que l’état potentiel de récidive de l’auteur. Certains professionnels du droit sont néanmoins favorables au prononcé de sanctions moins sévères. Ils rappellent qu’il s’agit d’un délit involontaire qui ne devrait donc pas, selon eux, être réprimé par de la détention.
Finalement, ce cas de figure n’est pas nouveau. Le législateur a souvent pris acte des revendications pour incriminer davantage de comportements qui l’étaient finalement déjà sous une qualification pénale différente. De nouveaux textes sont ainsi adoptés pour répondre à la controverse. La portée symbolique a été privilégiée pour responsabiliser davantage les auteurs de cette infraction et aller au-delà de la simple mention d’ « homicide involontaire ».
VIEIRA Méline, M2 Justice, procès, procédures – Métiers de la sécurité
Sources :
- Article 221-18 – Code pénal – Légifrance
- Article 221-6-1 – Code pénal – Légifrance
- Article 221-6-1 – Code pénal – Légifrance
- Création d’un homicide routier Sécurité routière Loi du 9 juillet 2025 | vie-publique.fr
- Homicide routier : nouveau délit 2025
- Pierre Palmade condamné à cinq ans de prison, dont deux ans ferme, pour avoir provoqué un accident de la route sous l’empire de drogues
- Affaire Palmade : pourquoi la justice a-t-elle écarté la qualification d’homicide involontaire ? – Le Club des Juristes
- Qu’est-ce que la loi sur l’homicide routier ? – Ligue contre la violence routière
