La destruction des biens culturels par les activistes du climat

Le 15 novembre 2022 a été déposée à l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à renforcer les peines de destruction, dégradation ou détérioration d’un bien culturel ainsi que ses dispositifs de protection. Depuis plusieurs semaines, afin de se faire entendre par les gouvernements, des groupes militants tels que Just Stop Oil, Last generation, Letzte Generation ou encore Ultima (generazione) s’en prennent à des peintures célèbres dans divers musées européens : Les Tournesols deVan Gogh à The National Gallery (Londres) ; Les Meules de Monet au Museum Barberini (Potsdam) ; La Jeune Fille à la perle de Vermeer au Mauritshuis (La Haye) ; L’Autoportrait à Saint-Rémy de Gauguin au Musée d’Orsay (Paris). Ces évènements avaient notamment été mis en lumière par les médias puis relayés sur les réseaux sociaux, générant ainsi un fort engouement.

Au sens de l’UNESCO, sont des biens culturels, des « Biens de consommation qui véhiculent des idées, des valeurs symboliques et des manières de vivre, par exemple les livres, revues, produits multimédia, logiciels, enregistrements sonores, films, vidéos, programmes audiovisuels, produits de l’artisanat et design. »

Également, l’article L111-1 du Code du patrimoine évoque cette notion : « Sont des trésors nationaux : Les biens appartenant aux collections des musées de France ; Les archives publiques issues de la sélection prévue aux articles L.212-2 et L.212-3, ainsi que les biens classés comme archives historiques en application du livre II ; Les biens classés au titre des monuments historiques en application du livre VI ; Les autres biens faisant partie du domaine public mobilier, au sens de l’article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques, à l’exception de celles des archives publiques mentionnées au 2° du même article L. 2112-1 qui ne sont pas issues de la sélection prévue aux articles L. 212-2 et L. 212-3 du présent code ; Les autres biens présentant un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie ou de la connaissance de la langue française et des langues régionales. »

         La destruction de biens culturels par les activistes du climat est un sujet de préoccupation complexe et controversé depuis plusieurs années en raison de l’augmentation des mouvements de protestation en faveur de l’environnement. Effectivement, certains estiment que la destruction de biens culturels peut être justifiée dans des circonstances particulières, s’il s’agit de protester contre des pratiques ou des politiques ayant des impacts négatifs sur l’environnement et le climat. D’autres soutiennent que la destruction de biens culturels est inacceptable, quelles que soient les raisons invoquées. Cela constituerait un acte de vandalisme et de destruction de patrimoine historique et culturel. Il est important de souligner que la destruction de biens culturels est généralement considérée comme un acte illégal dans la plupart des pays et peut entraîner des poursuites pénales pour ceux étant impliqués dans de tels actes.

  • Les dispositions législatives relatives à la destruction de biens culturels

         Avant toute chose, la destruction de biens désigne l’acte de détruire ou de mettre hors d’état de fonctionnement des objets ou des éléments matériels. Cela peut inclure des actes de vandalisme, comme la dégradation ou la destruction intentionnelle de bâtiments, d’œuvres d’art ou autres biens culturels, ou encore la destruction de biens appartenant à des particuliers ou à des entreprises. Il existe divers instruments juridiques concourant à la protection des biens culturels en droit international. Le Statut de la Cour pénale internationale (CPI) notamment, prévoit des dispositions visant à réprimer la destruction de biens culturels, en considérant que celle-ci peut constituer un crime de guerre ou un crime contre l’humanité.

Le régime juridique en vigueur encadrant la destruction de biens culturels en droit français est susceptible d’être modifié. Toutefois, actuellement, l’article 322-1 du code pénal énonce que : « La destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, sauf s’il n’en est résulté qu’un dommage léger. ». Enfin, toute destruction, dégradation ou détérioration d’un bien culturel est passible de 7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende ou le versement d’un montant équivalent à la moitié de la valeur du bien, aux termes l’article 322-3-1 du code précité.

  • La nécessaire conservation des biens culturels

         Il y a donc plusieurs raisons pour lesquelles il peut sembler primordial de conserver les œuvres d’art au sein des musées. Tout d’abord, les musées sont des lieux de conservation et de protection de ces dernières, qui sont souvent exposées de sorte à être accessibles au public. Ils peuvent ainsi offrir un accès au patrimoine culturel et artistique de manière organisée et sécurisée, permettant aux visiteurs de découvrir l’histoire et la culture de l’art. En conservant les œuvres d’art dans des conditions contrôlées, on peut préserver leur intégrité et leur qualité, afin qu’elles puissent être appréciées par les générations futures. Par ailleurs, les musées peuvent être des lieux de recherche et d’étude pour les historiens de l’art et les universitaires, qui peuvent y mener des recherches approfondies sur l’histoire et la signification des œuvres d’art. Cela peut contribuer à la compréhension de l’histoire de l’art, la culture et peut également permettre aux musées de mettre en valeur les œuvres d’art de manière éducative et informative.

         Depuis quand conserve-t-on les œuvres de l’esprit ? Quel est l’intérêt de les conserver au regard de la dématérialisation du patrimoine culturel ?

Il est difficile de donner une date précise à partir de laquelle les œuvres de l’esprit ont commencé à être conservées de manière organisée. Toutefois, il est possible de remonter de manière assez lointaine dans l’histoire pour y trouver des exemples. Il y a plus de 5000 ans, les Égyptiens anciens conservaient déjà des œuvres littéraires, musicales et artistiques sur papyrus ou autres supports et ont également construit des bibliothèques et des temples pour les conserver. De même pour les Grecs anciens. Au fil des siècles, les méthodes de conservation des œuvres de l’esprit ont évolué et se sont perfectionnées. Nombreuses sont les institutions ayant été créées dans le but de préserver et mettre en valeur ces œuvres. Les biens culturels ont souvent une signification particulière pour les communautés et les cultures auxquelles ils appartiennent, et leur préservation peut être considérée comme importante au regard de la mémoire collective et la continuité historique d’une culture. Ils peuvent aussi être sources d’inspiration et de créativité pour artistes et créateurs et peuvent contribuer au développement culturel ainsi qu’à la diversité artistique.

  • Activisme climatique, désobéissance civile, « écoterrorisme », de quoi s’agit-il ?

         L’activisme est un terme faisant référence à l’engagement politique et social d’individus ou de groupes en faveur de causes qu’ils considèrent comme justes. L’activisme peut prendre différentes formes, allant de la participation à des manifestations et à des rassemblements pacifiques, à la rédaction de pétitions et de lettres de protestation, en passant par la sensibilisation du public à des problèmes ciblés.

         L’histoire de l’activisme n’est pas récente. Des cas célèbres d’individus et de groupes ayant permis l’aboutissement de causes importantes grâce à leur engagement et leur détermination sont multiples. Par exemple, les nombreux mouvements de droits civiques et de lutte contre l’injustice, tels que le mouvement pour les droits des femmes (cf. le film anglo-saxon Les Suffragettes, 2015), le mouvement pour les droits des Africains-Américains aux États-Unis ainsi que le mouvement pour les droits des peuples autochtones. Le rôle de l’activisme a été constaté au sein d’autres mouvements sociaux et politiques tels que le mouvement pour le développement durable et le mouvement pour les droits des LGBT. L’activisme peut être mené tant niveau local que depuis des campagnes internationales et peut avoir un impact significatif sur les politiques et les pratiques en matière de justice sociale et d’égalité.

         Ici, ils revendiquent la mise en place de politiques publiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, l’accélération de la transition vers les énergies renouvelables et la démocratisation de l’accès à l’énergie propre, la protection des écosystèmes et la préservation de la biodiversité, en particulier dans les régions les plus vulnérables aux impacts du changement climatique telles que les populations autochtones et les communautés des pays en développement, la réduction de la consommation de produits issus de l’exploitation animale et de l’agriculture intensive ayant un impact négatif sur l’environnement et le climat par le biais de la désobéissance civile (liste non exhaustive).

         La désobéissance civile est un concept remontant à l’Antiquité allant de la simple protestation pacifique à la perturbation de l’ordre public, en passant par la non-participation à des élections ou à d’autres activités politiques. Elle peut être menée par des individus ou par des groupes et peut inclure des actions collectives telles que les manifestations ou les grèves de la faim. Elle a été utilisée à maintes reprises dans l’histoire en faveur de la défense de causes justes et la lutte contre des injustices. Un des premiers exemples de désobéissance civile : la révolte des esclaves de l’île de Rhodes (Grèce) ayant refusé de se conformer aux lois qui les maintenaient en esclavage ; ont choisi de se suicider plutôt que de continuer à subir l’oppression. En Inde, Mahatma Gandhi a eu recours à la désobéissance civile pour mener une campagne de non-coopération et de protestation pacifique contre la domination britannique, qui a finalement conduit à l’indépendance de l’Inde. Durant les années 1950 et 1960, la désobéissance civile a également été utilisée par les mouvements pour les droits civiques aux États-Unis par le biais de campagnes de protestations non violentes contre les discriminations raciales et les lois ségrégationnistes. Aujourd’hui, la désobéissance civile continue d’être utilisée par de nombreux groupes et individus dans le monde entier pour défendre leurs droits et lutter contre les injustices. Elle est inhérente à la démocratie et se veut pacifique.

         Militer en vandalisant des œuvres d’art s’est-il avéré utile ? Pas si les causes ne sont pas reliées entre l’acte et sa conséquence, selon certains auteurs. Philosophes de l’écologie et politiques se rejoignent en énonçant que, certes, ces méthodes attirent l’attention mais s’avèrent cependant inutiles envers les causes défendues par les activistes du climat et s’accordent notamment sur le fait que cela discréditerait l’image du combat en faveur de l’Écologie auprès des individus.

         Une autre notion semble être pertinente à évoquer. Le terme « écoterrorisme » est apparu dans les années 1970 et 1980, lorsque certains groupes écologistes ont commencé à utiliser des méthodes radicales pour défendre l’environnement et les droits des animaux. Ces groupes croyaient que les moyens pacifiques traditionnels, comme les manifestations et les campagnes de sensibilisation, ne suffisaient pas à protéger l’environnement et les animaux, d’où le recours à des méthodes plus radicales pour faire entendre leur voix. Les actions des groupes écologistes radicaux ont souvent été qualifiées d’écoterroristes par les gouvernements et les médias. Elles consistent en la destruction de biens privés ou publics, le sabotage de projets industriels, les menaces de violence et autres formes de délinquance.

         L’écoterrorisme est majoritairement condamné par la communauté internationale et la plupart des groupes environnementaux qui considèrent que la violence et la destruction de biens ne sont pas des moyens légitimes de défendre l’environnement. L’écoterrorisme est souvent utilisé comme un terme politique et peut être utilisé de manière à criminaliser et à discréditer les groupes environnementaux et les activistes pacifiques. Se montrer critique lorsque l’on entend parler d’écoterrorisme et s’assurer de disposer de preuves solides avant de faire des accusations est essentiel. Par exemple, dans le cadre des affrontements lors d’une manifestation contre la mégabassine de Saint-Soline (Deux-Sèvres), le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait dénoncé « […] des modes opératoires qui relèvent de l’écoterrorisme » alors même que le parquet national antiterroriste exprimait « […] n’avoir aucune procédure en cours » sous cette qualification péjorative.

  • La nature de la sanction de destruction de biens culturels : le vandalisme

En France, le vandalisme est puni par le code pénal et par la loi sur les dégradations volontaires. Selon cette même loi, le vandalisme consiste à détériorer, détruire ou dégrader volontairement des biens appartenant à autrui ou des biens publics et est puni de différentes manières en France, en fonction de la gravité de l’infraction. Les peines pour vandalisme peuvent inclure :

  • Des peines d’emprisonnement, allant jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende en cas de vandalisme aggravé (par exemple, si le vandalisme a été commis en réunion ou s’il a été suivi d’un incendie).
  • Des peines de travail d’intérêt général (TIG), consistant en un nombre d’heures de travail non rémunéré effectuées au profit de la collectivité. Des peines d’amende, allant jusqu’à 15 000 euros en cas de vandalisme simple (par exemple, si le vandalisme a été commis de manière isolée et n’a pas entraîné de dommages importants).
  • Des peines de restitution, consistant en l’obligation de rembourser le coût des réparations des dommages causés par le vandalisme.

Par exemple, jeter de la soupe sur une œuvre d’art protégée par du verre peut endommager ou détruire l’œuvre d’art, même si le verre la protège de l’humidité et de la lumière. Le verre peut protéger l’œuvre d’art contre les dommages causés par l’humidité et la lumière, mais il ne peut pas protéger l’œuvre contre les dommages causés par des substances chimiques ou abrasives. Si la soupe est acide ou contient des substances qui peuvent corroder ou altérer la surface de l’œuvre, elle peut endommager ou détruire l’œuvre malgré sa protection. De plus, le verre lui-même peut être endommagé ou brisé lorsqu’il est exposé à des substances chimiques ou abrasives, ce qui peut entraîner des dommages supplémentaires à l’œuvre d’art.

Deux objectifs sont donc mis en avant par la proposition de loi n°461 : dissuader les actes et tentatives de vandalisme commis à l’encontre du patrimoine culturel et des infrastructures permettant l’exposition des œuvres ainsi que leur conservation. Un alourdissement des peines encourues pour toute dégradation, destruction ou détérioration d’un bien culturel : passage de 7 à 10 voire 12 ans d’emprisonnement et de 50 000 voire 100 000 euros d’amende en plus :

  • 10 ans de prison et 150 000 euros d’amende en cas d’acte isolé ;
  • 12 ans de prison et 200 000 euros d’amende en réunion ;
  • Amende pouvant être portée jusqu’aux ⅔ de la valeur du bien.

Condamner les atteintes aux dispositifs de protection des biens culturels c’est-à-dire l’application des mêmes peines que pour les atteintes aux biens culturels eux-mêmes. Il est notable qu’avec cette proposition de loi, les gouvernants prennent à cœur la protection des biens culturels.

Bon à savoir

  • En Europe, le délit d’écoterrorisme n’existe pas. Ces actes de vandalisme politiques sont donc sanctionnés sous la notion de dégradation, destruction, d’où l’ambiguïté du terme.
  • Les tribunaux prononcent en réalité peu d’emprisonnement ferme lorsqu’il s’agit d’une première condamnation. En 2008, par exemple, une jeune femme qui avait laissé une trace de baiser rouge sur une toile blanche du peintre américain Crobly avait écopé de 100 heures de travail d’intérêt général.
  • Du côté de nos voisins, aux Pays-Bas, deux militants écologistes viennent d’être condamnés à deux mois de prison, dont un an avec sursis, pour avoir dégradé La Jeune fille à la perle de Vermeer. De même, en Allemagne, une vingtaine d’activistes écologistes, dont quatre Français, étaient en prison au début du mois de novembre. La justice fédérale allemande leur reproche d’envisager des actes de désobéissance civile.
  • La désobéissance civile n’est pas réprimée par la loi française.
  • Les petits musées régionaux ne pourront investir dans des dispositifs dissuasifs et ne seront plus éligibles aux prêts d’œuvres majeures si ces actes de vandalisme étaient amenés à se multiplier.

Prune EL DABI

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