En 2024 en France, 53,5 tonnes de cocaïne ont été saisies d’après les chiffres du ministère de l’Intérieur. En outre, 110 personnes sont mortes et 341 ont été blessées dans des violences liées au narcotrafic.
Il n’existe pas en France de définition juridique du narcotrafic. Le Robert le définit toutefois comme le trafic de stupéfiants.
Alors que d’autres pays ont choisi la voie de la légalisation, comme le Canada en Amérique du Nord ou l’Allemagne en Europe, la France intensifie la lutte contre le narcotrafic. Une étude de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) nous apprend que « la demande n’a jamais été aussi forte ». Par ailleurs, 21 millions de personnes en France ont déjà consommé du cannabis dans leur vie.
Le narcotrafic est donc devenu un sujet de société avec des conséquences sur l’ordre public et la santé publique. L’ordre public est défini comme impliquant la préservation du bon ordre, de la sûreté, de la sécurité et de la salubrité publiques et plus récemment du respect de la dignité de la personne humaine. L’Organisation mondiale de la santé définit la santé publique comme l’art et la science de prévenir les maladies, d’améliorer la santé physique et mentale d’un individu et d’une collectivité.
Des moyens de lutte contre le narcotrafic ont été mis en place, comme l’Office anti-stupéfiants, agence française chargée de coordonner la lutte contre le trafic de stupéfiants sur le territoire français. Elle est notamment compétente en matière de lutte contre la production, la fabrication, l’importation, l’exportation, le transport ou encore la détention de stupéfiants. Annoncée en septembre 2019, elle est opérationnelle depuis le 1ᵉʳ janvier 2020 et succède à l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants.
Cependant, de nouveaux moyens relatifs aux trafics de stupéfiants émergent, tels que les livraisons à domicile, appelé « Ubershit » et les techniques de publicité par le biais des boîtes aux lettres, utilisées en février 2025 près de Grenoble.
Ce constat de l’augmentation de la consommation et de ses conséquences sur l’ordre public ainsi que la santé publique (I) ont donc amené le législateur et les pouvoirs publics à prendre des mesures pour endiguer le phénomène. (II)
Le Sénat a adopté le 4 février 2025, en première lecture et après modification à l’unanimité, la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, déposée en juillet 2024.
I. Constat et enjeux de la lutte contre le narcotrafic
Un rapport d’information du 17 février 2025, visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants, montre qu’en France les saisies de cannabis ont été multipliées par deux en 10 ans. À Dunkerque, le 1er mars 2025, près de 10 tonnes de cocaïne ont été saisies, témoignant du développement du narcotrafic.
Le narcotrafic impacte différents enjeux de la société.
- L’enjeu économique : l’INSEE a estimé en 2018 que le trafic de stupéfiants générait une activité économique de l’ordre de 2,7 milliards d’euros, soit 0,1 point de produit intérieur brut, dont 1 milliard d’euros engendré par le trafic de cannabis et 800 millions d’euros par le trafic de cocaïne.
Cependant, deux autres enjeux vont nous intéresser tout particulièrement.
- Les enjeux d’ordre public : le rapport fait état de « groupes criminels à la violence débridée », et « aux fins de conquête territoriale et d’affirmation d’une ascendance par l’intimidation et le recours à l’ultra violence ». En chiffre, cela représente 42 décès sur les six premiers mois de 2024 dans des homicides liés au trafic de drogues, soit une augmentation de 22 % par rapport à l’année 2022.
Le rapport nous explique que cette violence est liée aux importants profits générés par le trafic de stupéfiants, comme à Marseille. En effet, en 2023, une guerre entre deux réseaux de trafiquants de drogues s’est engagée. Le rapport reprend des informations de la DACG, la Direction des affaires criminelles et des grâces, rapportant que « Les mineurs peuvent faire l’objet d’actes de torture et de barbarie s’ils sortent du réseau, et même l’éloignement géographique ne suffit pas à les protéger. » Cela se traduit par une implication de plus en plus élevée des mineurs dans les trafics, ainsi que des victimes et des auteurs d’homicide de plus en plus jeunes.
- Les enjeux de santé publique : Le site du ministère de la Santé nous informe que la consommation de substances psychoactives est responsable en France de plus de 100 000 décès évitables dus à des accidents et à des maladies, dont près de 40 000 par cancer. Le rapport constate une insuffisance globale de la politique de prévention en matière d’usage de produits stupéfiants.
Comme l’OFDT le souligne, les difficultés d’accès aux soins pour les usagers de stupéfiants présentant un problème d’addiction sont particulièrement prégnantes. Ces difficultés sont d’autant plus importantes pour les usagers de drogues en grande précarité.
II. La proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic
Le 4 février 2025, le Sénat a adopté, en première lecture et après modification à l’unanimité, une proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
Cette loi se découpe en trois grands axes :
- La lutte contre la criminalité organisée et le blanchiment d’argent tout d’abord : la proposition de loi prévoit la création d’un état-major criminalité organisée pour coordonner la lutte contre le narcotrafic ainsi qu’un parquet national anti-criminalité organisée qui « traitera les phénomènes criminels du haut du spectre et coordonnera l’action judiciaire ». Plusieurs propositions cherchent à « frapper les narcotrafiquants au portefeuille » avec la possibilité pour les préfets de fermer des commerces qui blanchissent de l’argent temporairement. Il est aussi proposé de faciliter le gel des avoirs des trafiquants.
- De nouvelles techniques d’enquête ont également été proposées : L’accès aux messageries cryptées des narcotrafiquants par les services de renseignement devra être assuré (comme WhatsApp ou Télégram). La proposition de loi permet aux services de renseignement, à titre expérimental jusqu’à fin 2028 « d’utiliser la technique algorithmique pour détecter des connexions pouvant révéler des menaces liées à la délinquance et à la criminalité organisées ».
L’Assemblée nationale a cependant voté pour le maintien de la confidentialité des messageries cryptées ce jeudi 20 mars 2025 pour éviter une atteinte au droit au respect de la vie privée.
- Enfin, des mesures de répression et des mesures pénitentiaires : La prolongation de la garde à vue jusqu’à 120 heures pour les passeurs de drogues et l’interdiction administrative de paraître sur les points de vente figurent dans la proposition de loi. La proposition de loi prévoit également la création de quartier de lutte contre la criminalité organisée au sein de plusieurs établissements pénitentiaires. Ces quartiers comprennent plusieurs mesures de surveillance comme une fouille systématique des personnes détenues qui ont été en contact avec une personne sans surveillance constante ou encore des restrictions d’accès au parloir et des correspondances téléphoniques.
Cependant, un avis du défenseur des droits du 13 mars 2025 vient nuancer ces propositions en alertant sur de potentielles atteintes aux libertés et droits fondamentaux. Sur les fouilles systématiques, le défenseur des droits alerte sur une violation potentielle de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales portant sur les traitements inhumains et dégradants. Il alerte également sur les restrictions de parloirs avec le risque d’atteinte à l’article 8 de la Convention portant sur le droit au respect de la vie privée et familiale.
Cependant, le rapport du 17 février 2025, visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants, apporte une conclusion différente pour lutter contre le narcotrafic. En effet, les députés Antoine Léaument et Ludovic Mendes proposent de légaliser la consommation récréative du cannabis en se fondant sur le constat que la stratégie répressive n’a pas réussi à endiguer le trafic. Un des arguments en faveur de la légalisation est de montrer que les trafiquants ont tout intérêt à pousser les consommateurs vers des drogues plus dures et plus rentables pour eux. L’OFDT nous rapporte qu’au Canada, après la légalisation en 2018, la proportion de consommateurs qui s’approvisionnent sur le marché légal est passée de 37 % en 2019 à 73 % en 2023. En ce qui concerne la consommation, elle n’a pas augmenté chez les mineurs, en revanche, elle a augmenté chez les majeurs. À noter que la consommation de cannabis était déjà en augmentation avant la légalisation.
Julien DENISE – étudiant en Master 1 Droit public, Métiers des contentieux publics et du droit public général
Sources :
Proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic : https://www.senat.fr/tableau historique/ppl23-735.html
https://www.vie-publique.fr/loi/297230-narcotrafic-proposition-de-loi-sortir-du-piege-du trafic-de-drogue#
Rapport d’information du 17 février 2025 : https://www.assemblee nationale.fr/dyn/17/rapports/cion_lois/l17b0974_rapport-information#_Toc256000117
Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives : https://www.ofdt.fr/
Le Figaro : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/trafic-de-drogue-53-5-tonnes-de-cocaine saisies-en-2024-plus-du-double-par-rapport-a-2023-20250206
Dossier de presse du ministère de l’Intérieur : https://www.interieur.gouv.fr/Contre-le narcotrafic