Affaire Mennesson : quand la filiation traverse les frontières et bouscule les lois françaises

Jean Carbonnier nous invite à réfléchir sur les transformations profondes du droit de la famille, lorsqu’il affirme que  « Le droit de la famille est en quête de son avenir », dans son ouvrage Essais sur les lois, publié en 1996. 

Cette phrase prend tout son sens dans l’arrêt Mennesson contre France rendu le 26 juin 2014 par la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Cet arrêt soulève la question délicate de la retranscription de la filiation légalement établie à l’étranger par gestation pour autrui (GPA) sur les registres d’état civil français. 

Cet arrêt s’inscrit dans un contexte juridique tendu entre la protection de l’ordre public français et le respect des droits fondamentaux garantis par la CEDH.  

I. Les faits

En l’an 2000, le couple Mennesson, de nationalité française, confronté à des problèmes d’infertilité, décide de se rendre aux États-Unis afin de recourir à une mère porteuse. Bien que la GPA soit autorisée dans ce pays, sa légalité varie d’un État à l’autre. À l’issue de cette démarche, deux jumelles voient le jour.

Aux États-Unis, les juridictions reconnaissent la filiation entre les parents d’intention et les enfants. Un acte de naissance est donc établi, confirmant ce lien pour le couple Mennesson.

Cependant, lorsque le couple demande au consulat français de Los Angeles de transcrire les actes de naissance dans les registres de l’état civil français, leur requête est refusée. Ce refus s’appuie sur le fait que Madame Mennesson n’a pas donné naissance aux jumelles, et que la convention de GPA est interdite par le droit français, car elle est jugée contraire à l’ordre public et méconnait l’article 16-7 du code civil. Malgré ce refus, la filiation reste reconnue aux États-Unis.

En 2002, les époux parviennent finalement à faire transcrire les actes de naissance auprès de l’état civil de Nantes. Cependant, en 2003, le ministère public entame une procédure visant à annuler ces actes, au motif qu’ils enfreignent les règles de l’ordre public international français.

II. La procédure

  • En 2003, le tribunal de grande instance de Creil déclare la demande irrecevable estimant que l’erreur est imputable à l’administration.  
  • En 2009, la cour d’appel prononce l’annulation des actes de naissance au motif que la filiation repose sur une convention de GPA, considérée comme contraire à l’ordre public.  
  • En 2011, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les époux et confirme la nullité des actes de naissance pour contrariété à l’ordre public international français.  
  • En 2014, la CEDH condamne la France pour violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette décision repose sur l’atteinte au droit au respect de la vie privée des enfants, privilégiant leur intérêt supérieur. Toutefois, la CEDH estime que le droit des requérants au respect de leur vie familiale n’a pas été violé.
  • En 2015, une nouvelle décision de la Cour de cassation admet la transcription partielle des actes de naissance, reconnaissant la filiation avec le père biologique, mais pas avec la mère d’intention. Cette décision reflète le refus de la Cour de se plier à la décision de la CEDH.
  • En 2017, dans une affaire similaire, la CEDH condamne à nouveau la France pour violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette décision, connue sous le nom de Laborie contre France, souligne une atteinte au droit au respect de la vie privée des enfants nés par GPA à l’étranger. 

La CEDH permet aux États membres de formuler une question préjudicielle. Cette démarche, initiée par une juridiction nationale auprès d’une juridiction supérieure, vise souvent à obtenir une interprétation ou une clarification concernant l’application ou la validité d’une règle de droit. Cet outil contribue à assurer une application uniforme des lois, notamment du droit européen, au sein des différents États membres.

En suivant cette procédure, la Cour de cassation a adressé une question préjudicielle à la CEDH. En 2019, cette dernière rend un avis consultatif, concluant que le droit au respect de la vie privée exige la reconnaissance de la filiation, y compris avec la mère d’intention. Toutefois, la Cour laisse aux États la liberté de déterminer le moyen de reconnaissance, que ce soit par adoption ou par transcription.

III. Problème de droit

Dans quelle mesure la France doit-elle reconnaître, au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la filiation d’enfants nés par GPA à l’étranger, malgré l’interdiction de cette pratique en droit interne pour des motifs d’ordre public ? 

IV. Syllogisme 

En droit français, l’article 16-7 du code civil dispose que « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. » 

Cette interdiction repose sur des principes fondamentaux destinés à protéger les valeurs essentielles de la société et de l’ordre juridique. Parmi ces principes, on retrouve la protection de l’état des personnes, qui établit l’indisponibilité des liens de filiation et de la dignité humaine, ainsi que le principe de l’indisponibilité du corps humain, interdisant toute marchandisation de celui-ci. Ces règles visent à prévenir la « marchandisation des relations familiales ».

Cependant, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit le droit au respect de la vie privée et familiale, apportant des réponses aux défis posés par la reconnaissance de la filiation des enfants nés par GPA à l’étranger. 

Dans des affaires telles que Mennesson contre France, et à travers son avis consultatif de 2019, la CEDH a affirmé que ce respect impose la reconnaissance juridique du lien entre l’enfant et ses parents d’intention, tout en laissant aux États la liberté de choisir le moyen de reconnaissance, par adoption ou transcription des actes de naissance.

La CEDH considère que le fait de refuser la transcription des actes de naissance, porte atteinte au droit des enfants à une identité juridique stable, en violation de l’article 8 de la Convention. Dans l’affaire Mennesson, les enfants étaient reconnus aux États-Unis, où la GPA est autorisée, mais en France, aucune reconnaissance juridique ne leur était accordée pour leur lien avec leur mère d’intention, créant un clivage identitaire, contraire à leur intérêt supérieur.

À la suite de l’avis consultatif de 2019, la Cour de cassation a conclu que l’interdiction de reconnaître la filiation entre l’enfant et la mère d’intention allait à l’encontre de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a ainsi ouvert la voie à une reconnaissance partielle par transcription ou par adoption, rétablissant les droits des enfants tout en respectant leur intérêt supérieur.

Malgré ces avancées au niveau européen, la position du droit français reste sujette à débat. L’absence de reconnaissance plénière des parents d’intention, justifiée par des considérations d’ordre public ou des cas de fraude à la loi, continue de diviser. La loi du 2 août 2021 a introduit la mention suivante : « la réalité appréciée au regard de la loi française ». Dès lors, en droit français, la seule option pour les parents d’intention reste la filiation adoptive. 

Conclusion

Bien que la GPA reste interdite en droit interne pour des motifs liés à l’ordre public, les exigences de la CEDH en matière de respect des droits fondamentaux contraignent les États à trouver un équilibre entre leurs principes juridiques nationaux et les droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme. Cette tension met en évidence les défis inhérents à l’interprétation et à l’application de ces normes dans un contexte transnational.

La jurisprudence de la CEDH, renforcée par son avis consultatif de 2019, impose à la France de reconnaître la filiation des enfants nés par GPA malgré l’interdiction de principe. Cette reconnaissance vise avant tout à protéger les droits fondamentaux des enfants tout en laissant aux États membres une marge de manœuvre quant aux moyens juridiques à adopter, tels que l’adoption ou la transcription.

Cependant, cet avis soulève plusieurs questions, car il entérine une réalité juridique que le droit positif français ne reconnaît pas encore entièrement, alimentant ainsi les débats. Il apparaît essentiel de s’interroger sur la pérennité de cette solution ou sur la nécessité d’une évolution législative, permettant de clarifier et d’encadrer la situation des enfants nés de GPA à l’étranger.

Majda BELKADI – étudiante en Master 1 Droit international, parcours douanes et transport et Djeneba SANOGO –  étudiante en Master 1 Droit international et européen

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *