« Il s’agit ainsi pour le tribunal de veiller à ce que les élus, comme tout justiciable, ne bénéficient pas d’un régime de faveur, incompatible avec la confiance recherchée par les citoyens dans la vie politique » (décision du tribunal correctionnel de Paris, 31 mars 2025).
Cette formule démontre la volonté des juges de responsabiliser les décideurs politiques face aux attentes de la société civile.
Lundi 31 mars 2025, Marine Le Pen a été condamnée à 4 ans de prison, dont deux ans fermes avec bracelet électronique et 5 ans d’inéligibilité. Cette décision, rendue par le tribunal correctionnel de Paris, prend effet immédiatement.
Ce jugement survient après l’affaire des contrats fictifs des assistants parlementaires du Front national rémunérés par les fonds publics détournés par le Front national entre 2004 et 2016.
Quelques jours plus tôt, le 27 mars, dans le cadre de l’affaire du financement libyen de la campagne présidentielle, une peine de 7 ans de prison, une amende et 5 ans d’inéligibilité ont été requis par le Parquet national financier à l’encontre de l’ancien Président Nicolas Sarkozy.
Ces deux affaires s’inscrivent dans un contexte visant à mieux identifier les fautes pour engager la responsabilité des auteurs et permettre leur sanction. La création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en 2013 témoigne de la poursuite d’une transparence plus engagée. L’Autorité a, par exemple, publié les déclarations d’intérêt de Gabriel Attal, à l’issue de son mandat en septembre 2024.
Cette tendance illustre le revirement de la formule « responsable mais pas coupable » (G. Dufoix), qui avait notamment trouvé à s’appliquer dans l’affaire du sang contaminé de 1999, pour caractériser le régime parlementaire.
Les citoyens recherchent une véritable exemplarité des décideurs politiques, à travers le renforcement de la transparence et de la responsabilisation, par la criminalisation de la sphère publique. La sanction pénale apparaît comme étant la solution pour remédier à cette mutation de la société marquée par le risque (la crise sanitaire, les guerres, les enjeux environnementaux) inhérent à l’action publique. À cette fin, plusieurs responsabilités peuvent être mises en œuvre.
Outre la responsabilité civile et pénale, la responsabilité politique des décideurs publics permet, dans une certaine mesure, de s’adapter à leur spécificité.
La responsabilité politique se définit comme étant « l’obligation pour les ministres, dans le régime parlementaire, de quitter le pouvoir lorsqu’ils n’ont plus la confiance du Parlement ». Cette responsabilité s’applique donc aux titulaires d’un mandat politique, qu’ils soient nommés ou élus.
La responsabilité protectrice des parlementaires
Concernant le régime des parlementaires, ceux-ci ne sont pas responsables politiquement. Néanmoins, le président de la République peut engager la dissolution de l’Assemblée nationale en vertu de l’article 12 de la Constitution. Cette faculté a d’ailleurs été actionnée par le président Emmanuel Macron le 9 juin 2024.
Il existe donc une forme de responsabilité collective des membres du Parlement.
Ils bénéficient alors d’une immunité politique perpétuelle et imprescriptible. Ce principe connaît tout de même deux exceptions en cas de « détournements de fonds publics » (Cass, 27 juin 2018, n°18-80.069) ou de poursuites qui relèvent de la compétence des juridictions internationales (Conseil constitutionnel, DC 22 janvier 1999, n° 98-408).
Ces exceptions représentent bien l’intention d’encadrer l’action des pouvoirs publics, l’immunité n’étant pas absolue.
La responsabilité pénale des décideurs publics se trouve elle aussi limitée. Les parlementaires disposent d’une inviolabilité pénale dans l’exercice de leur fonction. Toutefois, cette immunité est modérée puisqu’elle peut être levée depuis la loi constitutionnelle du 4 août 1995. Marine Le Pen a d’ailleurs vu son immunité parlementaire levée en novembre 2017, après avoir diffusé sur Twitter les photos d’une personne exécutée par Daech.
La responsabilité du président de la République et des membres du Gouvernement
Le président de la République jouit d’une immunité politique générale pour les actes accomplis dans le cadre de ses fonctions (article 67 de la Constitution). La seule sanction qu’il encourt se manifeste par le désaveu lors des élections présidentielles.
Par ailleurs, le président de la République ne peut en aucun cas être forcé à démissionner.
À l’image du régime des parlementaires, différents mécanismes permettent de remettre en cause le président de la République. La motion de censure (article 49 al. 2 de la Constitution) et la question de confiance du Premier ministre (article 49 al. 1 de la Constitution), autorisent à sanctionner le Gouvernement et donc indirectement le Président.
De ce fait, la motion de censure votée le 4 décembre 2024 a conduit à la démission de l’ancien Premier ministre Michel Barnier sur le projet de loi de finances de la sécurité sociale pour 2025, en actionnant l’article 49 al. 3 de la Constitution.
La destitution du président de la République peut être actée par le Parlement érigé en Haute Cour. Cette procédure semble pour l’heure peu envisageable, car elle trouve à s’appliquer en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » (article 68 de la Constitution).
La question de cette destitution s’est tout de même posée à l’encontre du président Emmanuel Macron dans le cadre de l’affaire Benalla en 2018 ainsi qu’à la suite de la nomination de Michel Barnier à la tête du gouvernement en septembre 2024.
Il n’existe donc pas vraiment une responsabilité politique du président de la République.
Caractéristique du régime parlementaire dualiste, les ministres sont quant à eux doublement responsables : individuellement devant le président de la République et collectivement devant l’Assemblée nationale.
Une immunité forte du président de la République
Contrairement à la responsabilité pénale des parlementaires, la responsabilité pénale du président de la République ne peut pas être levée. Cette immunité générale et perpétuelle s’applique dans l’exercice de ses fonctions, sauf en cas de haute trahison ou de poursuites devant la Cour pénale internationale.
Cependant, cette immunité ne s’applique que pendant la durée du mandat du président. C’est ainsi que Nicolas Sarkozy a pu être poursuivi dans différentes affaires (affaire Karachi, affaire Bettencourt, affaire Bismuth, affaire Bygmalion et plus récemment, l’affaire du financement libyen).
Les ministres sont pénalement responsables, mais protégés par le privilège de juridiction de la Cour de justice de la République.
Mais ces aménagements ont fait l’objet de critiques, notamment lors de la crise de la Covid-19 marquée par les nombreuses plaintes des justiciables qui ont cherché à identifier les responsables de la gestion de la pandémie.
Le manque d’une véritable responsabilité se fait sentir au vu des affaires que la France traverse.
Ce désir s’est illustré à travers différentes propositions de réformes. À titre d’exemple, lors de son premier mandat, le président Emmanuel Macron a souhaité supprimer la Cour de justice de la République, qui montre une certaine tolérance vis-à-vis des pouvoirs publics.
De même, une proposition de loi constitutionnelle avait été déposée en décembre 2011 visant à aménager l’inviolabilité pénale du président de la République en intégrant une responsabilité pénale et civile pour les actes antérieurs à l’exercice de ses fonctions ; celle-ci a été refusée.
Une autre proposition de loi constitutionnelle d’octobre 2014 proposait d’instituer une procédure de destitution à l’encontre des parlementaires, qui n’a pas abouti.
Les récentes condamnations de Nicolas Sarkozy et de Marine Le Pen montrent bien cette interprétation qui se veut plus juste et ferme de la responsabilité des décideurs politiques, répondant aux attentes de la société.
L’enjeu étant de concilier la responsabilisation des pouvoirs publics face à la protection de leur fonction, qui doit être garantie pour mener à bien leurs missions.
Marianne GERARD – étudiante en Master 2 Droit public, Services et Politiques Publics
Sources :
Cours de Mme. Sylvia BRUNET, professeure à l’UFR Droit, Economie et Science Politique