L’État français a décidé, le 2 février 2024, d’initier des mesures de contrôle relatives à l’ordinateur quantique en tant que bien à double usage. Ces biens sont soumis au règlement (UE) n° 2021/821 instituant un régime de l’Union de contrôle des exportations, du courtage, de l’assistance technique, du transit et des transferts en ce qui concerne les biens à double usage. L’arrêté du 2 février 2024 prévoit que toute question relative à une exportation ayant une relation directe ou non avec l’utilisation d’une telle technologie est soumise à un contrôle et à la condition d’obtention d’une licence bien à double usage (BDU).
Il est légitime de s’interroger sur le contenu du règlement n° 2021/821, ainsi que sur les obligations qu’il impose.
Les biens à double usage sont définis comme étant des produits, technologies, ou même des équipements qui peuvent être utilisés à la fois pour des activités civiles, mais aussi à des fins militaires ou sécuritaires. Ainsi, les biens visés par cette réglementation peuvent avoir des utilisations parfaitement légitimes dans des secteurs communs, tels que le commerce, la médecine ou encore dans le cadre de recherches scientifiques.
Cependant, par leur spécificité, qui tient au fait de pouvoir aussi être utilisés dans des activités militaires, de surveillance ou encore de prolifération d’armes de destruction massive, ces biens font l’objet d’une réglementation particulière. Ainsi, par exemple, sont considérés comme des biens à double usage les jeux 3D de simulation ou les logiciels de guidage. De même, des tissus de fibres de carbone peuvent être considérés comme tels, dans la mesure où ils peuvent servir à fabriquer des clubs de golf, mais aussi des pales d’hélicoptères ou encore des vecteurs d’armes de destruction massive.
Cependant, si caractériser un BDU sur un bien tangible semble être complexe, cette caractérisation ne l’est en réalité moins que pour les biens intangibles. De fait, des résultats de tests, des lignes de code, des formations, ou même le savoir-faire d’une chaîne de production sur des produits militaires sont concernés par la réglementation des BDU, alors même qu’il ne s’agit pas de biens matériels à proprement parler. Ainsi, un bien à double usage peut être caractérisé dans un drone, des matériaux, mais aussi dans le cadre d’informations ou encore de photographies.
1. Quelle institution est chargée de l’encadrement d’une telle réglementation ?
Le Service des biens à double usage (SBDU), rattaché au ministère de l’Économie, est compétent pour examiner les demandes d’exportation de biens à double usage. Il est également chargé de classer ces biens.
Le rôle du SBDU est de lutter contre la dissémination des armes conventionnelles (définies négativement par rapport aux armes de destruction massive), contre la prolifération des armes de destruction massive dans le monde et, enfin, contre l’accumulation d’armes dans certaines régions du monde.
La Commission interministérielle des biens à double usage (CIBDU), également rattachée au ministère de l’Économie, est chargée d’approuver ou non la production d’une licence d’exportation pour les biens en question. Elle est chargée d’examiner les dossiers les plus sensibles.
2. Quelle est l’origine de cette réglementation spécifique ?
La réglementation des BDU est constituée par les « arrangements de Wassenaar », mis en place en 1996 et qui imposent aux États parties de notifier aux autres États parties à la convention les cas de transfert d’armes entre eux. Ainsi, pour honorer ces arrangements, l’Union a décidé d’adopter un règlement communautaire (n° 2021/821) qui impose un contrôle aux exportations de biens et technologies à double usage.
Le rôle du règlement européen de mai 2021 est de lutter contre la prolifération illégitime des armes (entre autres, le commerce souterrain), de constituer un levier pour faire respecter les embargos mis en place et, enfin, de lutter contre les violations graves envers les droits de l’Homme.
Une liste exhaustive des biens concernés par le contrôle à l’export est détaillée en dix catégories différentes dans ledit règlement. Cependant, même si l’exhaustivité de la liste reste reconnue, une clause « attrape-tout » a été insérée dans l’article 4 des arrangements de Wassenaar. Ce dernier dispose expressément que, dès lors que les autorités compétentes établissent que la propriété d’un bien (qu’il soit matériel ou immatériel) le rend utilisable à des fins non seulement civiles, mais aussi militaires et stratégiques, ledit bien sera soumis aux restrictions des biens listés au règlement.
Le moyen le plus rapide, bien que très approximatif, de savoir si un bien est impacté ou non par ladite réglementation est de se rendre sur le téléservice de la douane RITA et de sélectionner l’onglet « prohibitions / restrictions », lequel recense l’ensemble des mesures applicables selon la position tarifaire.
3. Quelles diligences en cas d’exportation de BDU ?
Pour pouvoir exporter un BDU, il est nécessaire de demander l’obtention d’une licence d’exportation, que la douane réclame au moment de dédouaner la marchandise. Il existe ainsi trois types de licences :
Les licences individuelles : Elles sont requises dans le cadre d’une opération unique avec un destinataire déterminé. La licence n’est effective et valable que pour cette seule opération, dans la limite d’une quantité définie, et la valeur de la marchandise devra impérativement y être précisée. Ladite licence ne sera valable que pour une durée de deux ans à compter de sa date de réception.
Les licences globales : Ces licences sont les plus adaptées aux flux plus conséquents et réguliers, car elles ne comportent aucune limite de quantité ni de valeur. La licence est valable pour deux ans à compter de son obtention et est tacitement reconductible. Cependant, le bénéficiaire de la licence est tenu de mettre en place une comptabilité-matière interne de contrôle des flux, afin de garder une trace des opérations effectuées sous couvert de la licence.
Les licences générales : Comme leur nom le laisse présumer, ces licences permettent de couvrir de manière générale une catégorie spécifique de biens. Ainsi, sur une durée d’un an, le bénéficiaire va disposer d’une licence d’autorisation d’exportation pour tout bien faisant partie d’une catégorie de marchandises (par exemple, pour du matériel aéronautique, des produits biologiques). Ce sont généralement les licences qui s’obtiennent le plus rapidement. Elles sont ainsi souvent sollicitées dans le cadre de salons d’expositions ou autres événements.
4. Quid d’une exportation en l’absence de licence ?
En application du code des douanes, les bureaux de douane peuvent effectuer des contrôles, qu’ils soient physiques ou documentaires. Ainsi, l’exportation sans licence d’un bien figurant sur la liste annexée au règlement 2021/821, de même que toute manœuvre frauduleuse assimilable à une exportation sans déclaration de marchandises prohibées au sens de l’article 426 du code des douanes national, constitue un délit douanier réprimé par l’article 414 du même code. Une telle infraction est passible de la saisie des marchandises concernées, du moyen de transport utilisé, d’amendes pouvant atteindre trois fois la valeur des marchandises, ainsi que d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans.
Victor Flament – étudiant en Master 2 Droit international, douanes et transports.
Principales sources :