Les attraits juridiques de la réduction de capital non motivée par des pertes


Au cours de la vie d’une société, les associés peuvent être amenés à effectuer diverses opérations sur le capital social, notamment une réduction de capital. Il en existe deux types : la réduction de capital motivée par des pertes et la réduction de capital non motivée par des pertes.

La réduction de capital non motivée par des pertes est une opération complexe, qui nécessite une modification statutaire, étant donné que le capital social est un élément inscrit au sein des statuts de la société. 

Les réductions de capital non motivées par des pertes peuvent emprunter deux voies alternatives. Elle peut prendre la forme soit d’une réduction du nombre de titres de capital, c’est-à-dire l’annulation d’un certain nombre d’actions ou de parts sociales, soit la réduction de la valeur nominale desdits titres de capital dont le nombre reste alors inchangé. 

Les deux opérations sont souvent de nature très proche, mais elles doivent être soigneusement distinguées, car il existe entre elles des différences notables du point de vue juridique. 

I) Le panorama des différents attraits juridique 

a) Attraits pour la société

Le rachat ou le remboursement d’actions en vue de réduire le capital social peut avoir pour la société d’innombrables utilités. 

Tout d’abord, elle peut lui permettre de dénouer des participations croisées, par exemple lorsque deux sociétés appartenant à un même groupe, ou à des groupes concurrents, procèdent au rachat réciproque de leurs propres actions. 

Elle peut en outre lui permettre de se protéger contre une offre au public d’achat (OPA). Elle constitue alors une mesure anti-OPA. 

Elle peut aussi permettre le départ d’un associé dont la société souhaite, d’un commun accord avec lui, faciliter le retrait. 

Surtout, dans la plupart des cas, la réduction de capital non motivé par des pertes est le moyen pour la société de gérer “à flux tendu” son capital social. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, la réduction de capital non motivée par des pertes constitue de longue date une séduisante alternative à la distribution de dividendes. Cette conception s’impose dans l’hexagone, en tant que technique de cash out

Le capital social a longtemps été conçu comme une source inépuisable de financement à bon compte de la société. Il est vrai que l’émission d’actions ou de parts sociales est à la société ce que l’émission de monnaie est à l’État. Il est tentant pour la société, comme pour l’État ou la banque centrale avec la planche à billets, de faire fonctionner la planche a actions. 

Cependant, de même que l’on reconnaît désormais les risques de perte de valeur d’une monnaie mal régulée, il a été souligné, plus récemment, que le capital social a en réalité un coût : émettre trop de titres de capital revient à le dévaloriser. Cette nécessité de gérer le capital social à flux tendu, longtemps occultée, a été développée par le rapport Ésambert de janvier 1998. Par exemple, en période de faibles taux d’intérêt, une société peut avoir utilité à emprunter pour substituer à sa dette de capital social, rémunérée moyennant dividendes, une dette ordinaire, rémunérée en intérêts : pour sa mise à disposition d’une somme identique, la société décaissera une somme moindre pour les intérêts que pour les dividendes. De plus, elle pourra déduire, sous certaines conditions et dans certaines limites, les intérêts en question de son résultat imposable. 

Même lorsqu’elle dispose d’une trésorerie excédentaire, une société peut choisir de la restituer à ses associés par le biais d’une réduction de capital. Ce mécanisme permet notamment d’alléger la charge future des dividendes, conformément à l’adage selon lequel “qui paie ses dettes s’enrichit”.

b) Attrait pour les associés

Une distinction doit être faite, dans les sociétés cotées, entre les attraits pour les associés retrayants et les attraits pour les associés non-retrayants. 

Dans les sociétés cotées, la réduction de capital non motivée par des pertes est généralement très prisée des associés. En effet, l’associé à généralement le profil d’un investisseur. Or, la réduction de capital non motivée par des pertes dope la valeur des actions, valeur dite actionnariale et ce, tant pour l’associé partant que pour l’associé restant. Ainsi, il peut y avoir des pressions plus ou moins amicales d’actionnaires influents, pour inciter les dirigeants à initier des rachats d’actions. 

Pour l’associé retrayant, le rachat de ses actions lui est en pratique proposé à un prix attractif afin de garantir le succès de l’opération. Le différentiel entre la valeur de marché des titres et la valeur de rachat est parfois qualifié en pratique de prime de rachat. 

Un arrêt de la Cour de cassation rendu le 22 juin 1998 illustre l’aubaine que peut représenter pour l’associé le rachat de ses titres par la société. Dans cette affaire, la haute juridiction a engagé la responsabilité d’une banque ayant empêché l’un de ses clients d’apporter ses actions lors d’une offre de rachat par la société de ses propres actions. Dans une autre affaire, la Cour de cassation a condamné une banque à payer l’un de ses clients la somme de 15 437,50 francs, pour avoir omis de céder ses actions à la société émettrice dans le cadre de l’offre publique de rachat, et de les avoir revendues ultérieurement à perte. 

Pour les associés non-retrayants, la réduction de capital non motivée par des pertes dope le cours de leurs actions, et ceux pour deux raisons : la loi de l’offre et de la demande (le fait que la société propose de racheter ou de rembourser ses droits sociaux) et l’effet dit relutif de l’opération, par opposition à l’effet dilutif constaté lors d’une augmentation de capital du fait de la réduction du nombre de titres en circulation, effet qui se traduit par l’augmentation du dividende pouvant être servi aux droits sociaux restants. On dit, pour les actions, que le bénéfice net par action, ou BNPA, est amélioré. Bien que l’expression ne soit pas usitée, on pourrait tout aussi bien dire que dans les sociétés émettant des parts sociales l’opération améliore le BNPS ou bénéfice net par part sociale. 

Une analyse sur les offres publiques de rachat d’actions (OPRA) de Vivendi doit être faite dans le cadre de ce sujet, le groupe breton familial Bolloré étant adepte de cette technique de réduction de capital non motivée par des pertes. Après avoir réalisé cette opération en 2012 par le biais de sa filiale Havas, il développe, depuis 2019, ce type de stratégie avec sa filiale Vivendi. En 2019 l’assemblée générale de Vivendi a autorisé un rachat jusqu’à 25% de ses actions pour les annuler et ainsi réduire son capital social. 

En 2021 et en 2022, cette autorisation a été réitérée et portée à 50 % du capital sur 18 mois. Les motivations de ces OPRA, présentées comme optionnelles, n’ont pas été clairement identifiées. L’idée de permettre à Vivendi de se défendre d’un actionnaire activiste a d’abord été évoquée pour expliquer l’annulation des actions restantes. Ce dernier aurait pu, par l’effet relutif de sa participation, franchir le seuil de 30 % du capital de Vivendi, l’obligeant de ce fait à lancer obligatoirement une offre au publique d’achat ou d’échange et de déposer un projet d’OPA obligatoire. 

La suite des événements a montré que telle n’était probablement pas l’intention du groupe Bolloré. Il semble que ce dernier ait fait autoriser l’OPRA de Vivendi sans avoir arrêté à l’avance sa propre stratégie : soit y participer et faire racheter une partie de ses actions Vivendi, soit ne pas y participer afin de renforcer, par effet relutif, sa participation au capital de la société. Il est vrai que les OPRA peuvent profiter à la fois aux associés qui y prennent part et à ceux qui n’y participent pas. C’est, en substance, ce que le groupe Bolloré a semblé vouloir exprimer dans un communiqué publié le 5 avril 2022.

En ce qui concerne les sociétés non cotées, et notamment les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire, la réduction de capital non motivée par des pertes présente trois types d’utilités : 

  • En premier lieu, elle permet de reluer les titres de capital des associés non-retrayants dont le bénéfice net par action ou par part sociale, comme dans les sociétés cotées, augmente de manière mécanique. 

L’effet relutif, de manière plus significative que dans les sociétés cotées, dans lesquelles l’actionnaire s’y intéresse rarement s’il est investisseur, accroît le poids politique des associés non-retrayants dans les prises de décisions collectives, en permettant un accroissement du pourcentage en droit de vote.  

  • En deuxième lieu, la réduction de capital non motivée par des pertes permet d’organiser dans les meilleures conditions le départ d’un associé, d’un commun accord avec ses coassociés, tout spécialement en cas de départ à la retraite, de mésentente ou de difficultés financières d’un associé souhaitant récupérer le produit de son investissement. 
  • En troisième lieu, la réduction de capital non motivée par des pertes constitue une remarquable technique de cash out, permettant à l’associé de se faire rembourser tout ou partie de son investissement, et ce, aux meilleures conditions fiscales. 

II) Les démarches à accomplir pour effectuer une réduction de capital non motivée par des pertes

  1. Les démarches à accomplir dans une SARL 

Le gérant de la société à responsabilité limitée (SARL) doit, le cas échéant, transmettre le projet de réduction de capital aux commissaires aux comptes de la société. Ces derniers sont alors tenus de rédiger un rapport exposant leur appréciation des motifs et des modalités de l’opération. Ce rapport doit être communiqué aux associés au moins 45 jours avant la tenue de l’assemblée générale extraordinaire appelée à statuer sur la réduction de capital.

Cette assemblée générale extraordinaire ne délibère valablement que si les associés présents ou représentés possèdent au moins, sur première convocation, le quart des parts et, sur deuxième convocation, le cinquième de celles-ci. Ensuite, la décision est prise à la majorité des deux tiers des parts sociales détenus par les associés présents ou représentés. 

Cette assemblée arrête le projet de réduction du capital social non motivée par des pertes.

Une fois la réduction de capital décidée, le gérant doit en assurer la publicité dans un support d’annonces légales, afin d’informer les tiers de la modification affectant la structure du capital.

La décision de réduction de capital doit ensuite être déposée au greffe.

Les associés de la SARL doivent joindre certains documents au dossier de modification. Les actes à produire sont les suivant : 

  • En premier lieu le dépôt au greffe du projet de réduction du capital social non motivée par des pertes. 

La société doit joindre un exemplaire du procès-verbal d’assemblée générale ayant arrêté le projet de réduction du capital social non motivée par des pertes, certifié conforme par le gérant ou par toute personne habilitée par les textes régissant la SARL. 

  • Dans un deuxième temps, la société doit effectuer un dépôt de la demande d’inscription modificative.

Lorsque la réduction de capital n’est pas motivée par des pertes, l’accomplissement de ces formalités fait courir le délai d’opposition des créanciers, qui est d’un mois. 

Après l’expiration du délai d’opposition d’un mois, les documents mentionnés ci-dessus doivent être produits pour modifier l’extrait du registre du commerce et des sociétés. Ce délai d’opposition court à compter de la date du dépôt au greffe du tribunal de commerce du procès-verbal de l’assemblée générale qui a décidé de la réduction de capital non motivée par des pertes. 

De plus, un exemplaire de l’acte constatant la décision de réduction du capital et la modification corrélative des statuts, certifié conforme par le gérant ou toute personne habilitée par les textes régissant la SARL, doit être fourni. Enfin, un exemplaire des statuts mis à jour, également certifié conforme, doit être joint au dossier

Pour finir, les associés doivent joindre au dossier des pièces justificatives, telles qu’une copie de l’attestation de parution de l’avis de modification.

  1. Les démarche à accomplir dans les sociétés par actions

Dans les sociétés anonymes (SA), tout comme dans les SARL, des démarches doivent être accomplies avant modification du dossier. En effet, une assemblée générale extraordinaire doit se tenir.

Elle ne délibère valablement que si les actionnaires présents ou représentés possèdent au moins, sur première convocation, le quart et, sur deuxième convocation, le cinquième des actions ayant le droit de vote.  

L’assemblée générale extraordinaire statue à la majorité des deux tiers des voix exprimés par les actionnaires présents ou représentés.

Elle a pour objectif d’arrêter le projet de réduction de capital social non motivée par des pertes.

Les démarches à accomplir sont ensuite les mêmes que celles évoquées ci-dessus pour les SARL, à l’exception que le délai d’opposition des créanciers est de vingt jours. 

Pour conclure, en ce qui concerne la SAS, la décision de réduction du capital non motivée par des pertes relève de la décision des associés, dans les formes déterminées dans les statuts. Une fois la décision prise, les formalités à accomplir sont les mêmes que pour la société anonyme. 

Christelle Daou – étudiante en Master 2 droit des affaires et fiscalité

Sources : 

  • Droit et professionnel “opérations sur Capital social”,4ème édition, Renaud Mortier- lexisnexis

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *