La participation à l’élection à la présidence de l’Assemblée nationale par le député-ministre démissionnaire : l’exploitation des règles constitutionnelles

Le vote du 18 juillet 2024 pour l’élection à la présidence de l’Assemblée nationale fut certainement l’un des scrutins ayant fait le plus couler d’encre, non pas pour son résultat, mais pour ses participants. En effet, la réélection de Yaël Braun-Pivet au perchoir a suscité de vives réactions, du fait de la participation au scrutin de 17 ministres, élus députés à l’occasion des législatives anticipées.

Beaucoup se sont indignés d’un tel cumul de fonctions, en ce qu’il irait à l’encontre de la séparation des pouvoirs que garantit la Constitution1. De fait, l’article 23 de la Constitution du 4 octobre 1958 prohibe explicitement le fait pour quiconque d’occuper à la fois des fonctions gouvernementales et des fonctions parlementaires.

Toutefois, l’article LO 153 du Code électoral précise que cette incompatibilité ne prend pas effet si le gouvernement est démissionnaire. En l’espèce, Gabriel Attal avait remis la démission de son gouvernement au président de la République deux jours avant le scrutin. 

Dès lors, les ministres élus députés ont pu bénéficier de la dérogation précitée afin de participer à l’élection de la présidence de l’Assemblée nationale, et plus largement, du Bureau2 de celle-ci. 

Il convient cependant de préciser que le conflit tiré de cette situation est propre à la Ve République, qui a voulu rompre avec certains principes coutumiers des régimes parlementaires. En effet, dans les régimes parlementaires traditionnels, les ministres sont issus du Parlement et conservent leur mandat législatif. Ainsi, les ministres britanniques, australiens ou français sous la IIIe République sont des membres actifs du Parlement et font un usage régulier de leur droit de vote.

Or, la tradition de la Ve République veut qu’un ministre ne puisse pas être un membre actif du Parlement3. Mais comme cela a été rappelé, les ministres ayant voté lors de la séance du 18 juillet 2024 avaient démissionné de leurs fonctions, profitant ainsi d’un statut aux contours juridiques encore flous ; et qui n’a pas manqué de donner lieu à différents contentieux. 

A titre d’exemple – et puisque nous ne traiterons pas ici des conséquences du statut de député-ministre sur les fonctions gouvernementales de l’intéressé – le Conseil d’État a notamment pu préciser qu’il était possible pour un ministre dans cette situation d’édicter des textes réglementaires, selon le principe d’expédition des affaires courantes 4.

Quant aux conséquences de ce statut particulier sur les fonctions parlementaires des personnes concernées, bien que des précédents aient pu légitimer la situation (I), certains députés de l’opposition ont souhaité contester en justice cette participation à des scrutins (II).

I. La participation à l’élection à la présidence de l’Assemblée nationale par le député-ministre démissionnaire : la règle juridique détournée par le politique.

Si la situation qui s’est présentée le 18 juillet 2024 est tout à fait exceptionnelle, elle n’est pourtant pas unique dans l’histoire constitutionnelle de la Ve République. 

Par exemple, en 1988, Laurent Fabius est élu président de l’Assemblée nationale par un scrutin ayant vu participer plusieurs ministres démissionnaires qui avaient alors été élus députés à l’occasion des législatives de 19885. À l’époque, Jean Gicquel et Pierre Avril avaient décrit cet événement comme relevant d’une ‘’fiction juridique’’ ou d’une “convention constitutionnelle’’6

La situation, bien qu’elle ne soit pas prévue par les textes, paraît alors admise juridiquement. En effet, l’art. LO 153 précité a été prévu pour le cas où un parlementaire devient ministre, mais rien n’empêche son application dans le cas inverse7.      

Toutefois, le fait, pour les différents gouvernements, d’avoir démissionnés précisément quelques jours avant le scrutin interroge sur la moralité de cette pratique. 

Car en effet, même si le résultat final ne le montre pas toujours, l’exécutif use de cette pratique lorsqu’il n’est pas assuré de voir son candidat élu à la présidence de l’Assemblée nationale. À cet égard, la situation de 2024 diffère de celle de 1988. A l’époque, Laurent Fabius avait été élu avec une avance de 33 voix sur son principal concurrent. En 2024, cependant, Yaël Braun-Pivet a été élue avec une avance de 13 voix sur son principal concurrent. Ainsi, le vote des 17 députés démissionnaires a eu une influence sur le résultat de scrutin. 

II. La participation à l’élection à la présidence de l’Assemblée nationale par le député-ministre démissionnaire : le politique en dehors de la règle juridique.

Afin de contester la participation de ministres démissionnaires à l’élection de la présidente de l’Assemblée nationale, des recours ont été intentés par des députés, à la fois devant le Conseil d’État8 et devant le Conseil constitutionnel9.

Les deux juridictions ont rejeté les recours du fait de leur incompétence pour juger en la matière. Le Conseil d’État s’est fondé pour cela, et selon ses anciennes jurisprudences10, sur la séparation des pouvoirs entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif11. Quant au Conseil constitutionnel, celui-ci s’est appuyé sur sa jurisprudence constante selon laquelle il ne dispose que d’une compétence d’attribution et que la Constitution ne permettait pas de contester devant lui les élections internes à l’Assemblée nationale. On notera d’ailleurs sur ce point que dans les cas où le Conseil constitutionnel est en situation d’incompétence, il a aujourd’hui substitué la formule de “rejet’’ de la requête à celle de “non-lieu à statuer’’ qu’il a pu utiliser par le passé12 ; marquant ainsi son refus de statuer en telle matière.

Certains ont alors émis la possibilité pour les membres du Conseil constitutionnel d’étendre leur compétence presque ex nihilo, comme cela a pu être fait par le passé en matière référendaire13. Cependant, comme il a été précisé précédemment, le vote des ministres démissionnaires en 2024 était tout à fait possible juridiquement. Le Conseil constitutionnel n’aurait alors pas intérêt à “s’immiscer dans la chambre conjugale’14 si ce n’est en cas de violation flagrante des règles constitutionnelles. 

Toutefois, en 1986, alors même que des suppléants de députés ayant été appelés à participer au Gouvernement avaient participé au vote sans attendre le délai constitutionnel d’un mois15, le Conseil constitutionnel s’est déclaré incompétent, sans même que ses membres ne s’interrogent sur le fond de la requête16

Il faudrait alors, pour que le Conseil constitutionnel se prononce en la matière, que l’élection comporte des irrégularités constitutionnelles flagrantes et que celles-ci exercent une influence déterminante sur le résultat du scrutin.

Paul FRANÇOIS – Master 1 Métiers de l’Administration Publique Territoriale

  • 1. Cons. Const., Décision n° 79-104 DC du 23 mai 1979.
  • 2. Le Bureau de l’Assemblée Nationale est l’organe exécutif de la chambre basse, composé du Président, de 6 vice-présidents, 3 questeurs et 12 secrétaires, tous élus à l’occasion de la 1ère séance.
  • 3. Ils peuvent néanmoins être choisis parmi les membres du Parlement, auquel cas leur remplacement est effectué par leur suppléant, qui leur restituera le siège en cas de démission du gouvernement.
  • 4. CE, 18 octobre 2024, N°s 496362,496532.
  • 5. Il s’agissait, entre autres, de Pierre Bérégovoy et Roland Dumas, qui ont d’ailleurs été immédiatement reconduits à leur précédent ministère, qu’ils n’ont alors théoriquement jamais quitté malgré leur participation à un scrutin parlementaire.
  • 6. Chroniques constitutionnelles française, n° 47, p. 99.
  • 7. Chroniques constitutionnelles française, n° 192, p.139.
  • 8. CE, 18 octobre 2024, n° 496622.
  • 9. Cons. Const., Décision n° 2024-57 ELEC du 12 septembre 2024, Décision n° 2024-60 ELEC du 12 septembre 2024, Décision n° 2024-58/59 ELEC du 31 juillet 2024.
  • 10. Dans l’arrêt Papon du 4 juillet 2004, le Conseil d’Etat refuse de trancher un litige concernant des actes relatifs aux pensions de retraite des anciens députés, au motif que ces actes ne présentent pas une nature administrative mais sont directement rattachés à l’exercice de la souveraineté nationale.
  • 11. ‘’En vertu de la tradition constitutionnelle française de séparation des pouvoirs, il n’appartient pas au juge administratif de connaître des litiges relatifs à ces désignations. La circonstance qu’aucune juridiction ne puisse être saisie de tels litiges ne saurait avoir pour conséquence d’autoriser le juge administratif à se déclarer compétent’’.
  • 12. Ce fut le cas en 1961, à l’occasion de la décision n° 61-1 AUTR du 14 septembre 1961, concernant la demande faite par le président de l’Assemblée nationale sur la recevabilité d’une motion de censure.
  • 13. Voir notamment la Décision n° 2000-26 REF du 6 sept. 2000, Hauchemaille, par laquelle le Conseil constitutionnel s’est octroyé la possibilité, dans une certaine mesure, de contrôler les actes préparatoires aux référendums.
  • 14. Expression utilisée par le doyen Vedel à l’occasion de la séance du 13 juillet 1988 relative à la décision n° 88-7 ELEC du 13 juillet 1988.
  • 15. L’art. LO 176 du Code électoral précise que les parlementaires acceptant des fonctions gouvernementales ne sont remplacés par leur suppléant qu’à l’expiration d’un délai d’un mois. En l’espèce, les députés ayant remis leur démission le 1er avril se sont vus remplacés dès le lendemain.
  • 16. La séance du 16 avril 1986 ne fut à aucun moment consacrée au fond de la requête de Mme Yannick Piat, qui était pourtant fondée. Il est néanmoins intéressant de noter qu’à l’occasion de la séance du 13 juillet 1988, le doyen Vedel avait tenté, en vain, de débattre sur le fond de la requête.

Sources :

  • Michel Verpeaux, « ‘’Madame A.’’ devant les juridictions suprêmes, ou les limites du contentieux, AJDA 2025 n° 1 p. 51 
  • Mathilde Heitzmann-Patin, « Compétence pour compétence, qui les Conseils aiment-ils à travers leurs décisions ? », RFDA 2024 n° 6 p.1153 
  • Eloi Krebs, « La compatibilité des fonctions de Premier ministre démissionnaire et de parlementaire – Conseil d’Etat 18 octobre 2024 », AJDA 2025 p.156
  • « Traditionnellement un ministre qui est député ne siège pas au Parlement », rappelle le constitutionnaliste Benjamin Morel, Public Sénat, 30/08/2024
  • Jean Gicquel, Jean-Éric Gicquel, Pierre Avril, Chroniques constitutionnelles françaises
  • Jean Gicquel, Jean-Éric Gicquel, Pierre Avril, Droit parlementaire, 6e édition, 2021

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