Le cumul des sanctions pénales et fiscales

L’article 1741 du Code général des impôts prévoit que quiconque se soustrait frauduleusement à l’établissement ou au paiement de l’impôt encourt, outre les sanctions fiscales prévues à l’article 1729, des poursuites pénales pour fraude fiscale. Le texte admet ainsi la possibilité d’une double répression : fiscale et pénale ; pour les mêmes faits.

Cependant, cette faculté de cumul interroge au regard des principes constitutionnels de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. 

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 24 juin 2016 (n° 2016-546 QPC), a jugé cette combinaison conforme à la Constitution, tout en l’assortissant de réserves visant à garantir un équilibre entre l’efficacité de la répression et la protection des droits fondamentaux.

Cette conciliation s’articule autour de trois exigences : la nécessité du cumul pour assurer une répression effective des infractions (I), la gravité des faits qui en justifie l’application (II), et la proportionnalité des peines qui en fixe les limites (III).

I. Le principe de nécessité des délits et des peines

Le principe de nécessité des peines est consacré à l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Ce principe interdit toute peine inutile ou excessive. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 24 juin 2016, traite la question et considère que ce principe ne fait pas obstacle au cumul de sanctions afin d’assurer une répression effective des infractions.

Cette situation entre cependant en conflit avec un principe du droit européen : non bis in idem, énoncé à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et d’autres textes européens. Ce principe interdit un cumul de poursuites et de sanctions présentant une nature pénale pour les mêmes faits et contre une même personne.

Mais il a été tempéré, notamment par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 20 mars 2018, Luca Menci. Dans cet arrêt, la Cour a rappelé l’interdiction du cumul posée par l’article 50, mais a admis qu’une réglementation nationale puisse y déroger sur le fondement de l’article 52 de la Charte, lequel autorise des restrictions aux droits fondamentaux lorsqu’elles sont prévues par la loi, qu’elles respectent leur substance et qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général

Ainsi, le cumul de poursuites et de sanctions est admis dès lors qu’il poursuit des buts complémentaires, que la sévérité globale demeure proportionnée et qu’il répond à un objectif d’intérêt général, tel que la lutte contre la fraude à la TVA dans l’affaire Luca Menci.

La Cour constitutionnelle française comme le juge européen valident la possibilité d’un cumul de peines sous réserve de deux éléments notables : la gravité des faits (II) et la proportionnalité (III).

II. La gravité des faits 

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 24 juin 2016, a concilié la nécessité des peines et le principe non bis in idem par le biais de réserves encadrant l’application de l’article 1741 sur le cumul des sanctions.

Il énonce expressément : « Les dispositions de l’article 1741 ne s’appliquent qu’aux cas les plus gravesde dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention ». 

Cette exigence de gravité constitue un premier filtre au cumul des peines. En pratique, celui-ci n’est plus la norme mais une exception, réservée aux cas d’une particulière gravité. Ces situations sont d’ailleurs visées par l’article 1741, tels que la soustraction ou tentative de soustraction frauduleuse au paiement de l’impôt, ou la dissimulation de sommes normalement soumises à l’impôt.

On notera cependant que le Conseil constitutionnel vise explicitement la dissimulation frauduleuse, volontaire comme « cas les plus graves » justifiant le cumul des sanctions fiscales et pénales prévues aux articles 1729 et 1741 du CGI. En revanche, il ne mentionne pas l’omission volontaire de souscrire une déclaration dans les délais prescrits : dès lors, la réserve d’interprétation ne trouve pas à s’appliquer aux procédures pénales engagées sur ce fondement ; cette solution a notamment été rendue par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation le 22 février 2017. En l’espèce, la Cour avait estimé qu’un contribuable ayant volontairement omis de réaliser sa déclaration de TVA, ne pouvait bénéficier des réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel.

Mais au-delà de la gravité des faits, demeure la question de la proportionnalité de la peine (III).

III. Le principe de proportionnalité 

Le principe de proportionnalité des peines, corollaire du principe de nécessité des peines, implique que la sanction infligée soit adaptée à la gravité des faits commis et à la situation du justiciable. En matière fiscale, il vise à éviter qu’un même comportement n’entraîne une répression excessive lorsque deux sanctions de nature différente – fiscale et pénale – sont combinées.

Si la gravité fonde la légitimité du cumul de sanctions, la proportionnalité en fixe les limites. Dans sa décision du 24 juin 2016, le Conseil constitutionnel a posé, dans le cadre d’une réserve d’interprétation, la règle suivante : « Le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues ».

Ainsi, le Conseil constitutionnel précise que, dans l’hypothèse où une sanction fiscale a déjà été définitivement prononcée, la sanction pénale issue de l’article 1741 ne pourra pas, en se cumulant à la sanction fiscale, excéder le montant maximal prévu par l’une des deux sanctions.

Pour illustrer, dans un arrêt de la Cour de cassation du 16 octobre 2024, ce contrôle par le juge pénal est d’ailleurs rappelé et précisé. La chambre criminelle a prononcé une cassation partielle de la décision de la Cour d’appel au motif que celle-ci avait statué « sans s’assurer que le montant cumulé des sanctions pénales et fiscales ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues ». Le juge pénal est donc bien tenu de motiver le montant de l’amende au vu des sanctions fiscales déjà prononcées.

Par symétrie, dans l’hypothèse où une sanction pénale est déjà définitive, on peut s’attendre à ce que la sanction fiscale qui se cumule soit également soumise au principe de proportionnalité. C’est ce qu’a confirmé le Conseil d’État dans un arrêt du 5 février 2024 : « Il appartient au juge de l’impôt, (…), de s’assurer, le cas échéant d’office, que le montant cumulé des sanctions de même nature prononcées à l’encontre de ce contribuable à raison de ces deux procédures n’excède pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues. ». Le juge administratif doit donc, comme le juge pénal, respecter le principe de proportionnalité des peines.

Par ailleurs, il faut noter que, dans l’hypothèse de deux procédures pénales et fiscales parallèles, si le contribuable est déchargé de l’impôt par le juge administratif, il ne peut plus être poursuivi sur le fondement de l’article 1741, comme l’a établi le Conseil constitutionnel : « Aucune poursuite pénale ne peut être exercée sur le fondement de l’article 1741 du CGI à l’encontre d’un contribuable ayant été déchargé de l’impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive. ».

En définitive, le cumul des sanctions pénales et fiscales, bien qu’admis, demeure strictement encadré. Le Conseil constitutionnel veille à ce qu’il ne s’applique qu’aux fraudes les plus graves et dans le respect du principe de proportionnalité. L’équilibre entre efficacité répressive et protection des droits fondamentaux constitue ainsi la clé de voûte du droit pénal – fiscal.

MEHEUST Aymeric – Étudiant M1 Droit des affaires et fiscalité 

Sources 

Gazette du Palais, « Fraude fiscale : cumul de poursuites et exigence globale de sanctions proportionnées » (https://www-labase-lextenso-fr.ezproxy.normandie-univ.fr/gazette-du-palais/2023-n30/fraude-fiscale-cumul-de-poursuites-et-exigence-globale-de-sanctions-proportionnees-GPL453y8?prod-recherche%5Bquery%5D=524%2F15)

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