Le contrôle du pluralisme médiatique par l’ARCOM

En 1981, après son élection à la présidence de la République, François Mitterrand tient ses promesses. Avec l’aide de Georges Fillioud, ministre de la Communication, il autorise les radios privées locales à émettre, ce qui conduit à un développement considérable du nombre de radios en France (loi n°81-994 du 9 novembre 1981 portant dérogation au monopole d’État de la radiodiffusion).

La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, portée par François Léotard, ministre de la Culture, a confirmé le passage d’un monopole d’État à un paysage audiovisuel ouvert et moderne, où coexistent des médias de service public et des médias privés. Cette avancée décisive a ainsi favorisé, dans l’intérêt du téléspectateur et du citoyen, la diversité des programmes et le pluralisme des courants de pensée et d’opinion sur les antennes.

La loi dite « Léotard » a également consacré la mise en place d’une régulation garante de la liberté de communication, assurée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et, depuis 2022, par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), issue de la fusion entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI). 

Avant cette nouvelle dénomination, HADOPI gérait les contrôles de la partie numérique, c’est-à-dire les plateformes en ligne et les réseaux sociaux. Le CSA, quant à lui, était chargé du contrôle des radios et de l’audiovisuel. L’ARCOM a fusionné ces deux missions pour garantir un audiovisuel toujours plus juste et pluraliste, tout en faisant face aux nouveaux défis imposés par les plateformes de streaming et les réseaux sociaux, un projet initié en 2019 par Franck Riester, ministre de la Culture. 

I. Le texte du 30 septembre 1986 : les contours du contrôle du pluralisme 

En 1986, le Conseil constitutionnel a déclaré dans sa décision DC n°86-217 du 18 septembre, que le pluralisme était un « objectif de valeur constitutionnelle ». Selon le dictionnaire de l’Académie française, le pluralisme correspond à la coexistence de plusieurs modes de pensée, courants ou opinions au sein d’une société, d’une collectivité, d’un système organisé. 

Pour rappel, ces objectifs, principes dégagés du bloc de constitutionnalité, visent à orienter le législateur dans la création de la loi, comme l’a rappelé la décision DC n°82-141 du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1982. 

Ainsi, l’article 13 de la loi du 30 septembre 1986, en son premier alinéa, énonce les missions de l’autorité de régulation, depuis 2022 l’ARCOM, concernant le pluralisme dans l’audiovisuel. La lecture du texte met en lumière le rôle joué par l’ARCOM, garante de la liberté d’expression vis-à-vis des courants de pensée qui seraient évoqués dans des émissions télévisuelles ou de radio. Le texte vise en particulier « les émissions d’information politique et générale »

L’ARCOM doit donc s’abstenir d’agir, d’une part, pour laisser des opinions s’exprimer, et d’autre part, elle doit intervenir quand la liberté d’expression est menacée ou que le cadre légal est enfreint. 

À titre d’exemple, l’ARCOM est intervenue au sujet de l’émission « Touche pas à mon poste » afin de mettre fin à diverses infractions (obligation de maîtrise à l’antenne, obligation de respect des droits de la personne…). Il s’agit des deux principales règles déontologiques édictées par l’ARCOM concernant l’audiovisuel et la radio.

Obligation de maîtrise à l’antenne = Celui qui produit le programme est garant de ce qu’il diffuse et s’assure que les propos tenus sont corrects et n’enfreignent pas les lois. Obligation de respect des droits de la personne = Il ne doit pas être porté atteinte à l’image, à la vie privée ou à l’honneur d’une personne.

Le second alinéa de l’article 13 ajoute les décomptes des temps de paroles des différentes personnalités politiques. Pour assurer cette prise de parole respectant le pluralisme, les médias de la radio et de la télévision transmettent, selon une périodicité définie, les données relatives aux temps de parole (les décomptes). Les données sont ensuite vérifiées par l’ARCOM et transmises chaque mois aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu’aux différents partis politiques. Pour garantir cette transparence, ce relevé des décomptes de temps de parole est publié sur le site Internet de l’ARCOM, donc accessible au grand public. 

En ce sens, le 4 juillet 2025, le Conseil d’État a été saisi pour répondre à une requête déposée par des associations contre plusieurs médias français et chaînes de télévision. Cette requête a été déposée dans le but d’obtenir un contrôle renforcé des intervenants amenés à apparaître sur la scène médiatique, tels que les chroniqueurs ou experts. 

II. Le contrôle de l’ARCOM : un regard différencié selon l’intervenant

Préalablement à cette analyse, nous devons considérer la séparation entre le décompte des temps de parole durant des périodes électives qui sont réglementées, et les périodes où il n’y a pas d’élections, où l’ARCOM émet un simple contrôle quand elle est saisie. 

Le Conseil d’État, le 13 février 2024, dans l’arrêt « Reporters sans frontières », définit les premiers éléments permettant de cadrer le pluralisme et les contours des pouvoirs d’action de l’ARCOM. Dans cet arrêt, l’association estimait qu’une chaîne de télévision ne respectait pas les exigences d’honnêteté, de pluralisme et d’indépendance qui lui incombent. S’agissant du pluralisme, pour le Conseil d’État, tout ne se résume pas au décompte du temps de parole des personnalités politiques invitées sur les chaînes de télévision ou à la radio. Il faut, qu’au-delà de ce décompte des temps de parole, l’ARCOM veille dans la ligne éditoriale à une libre expression des courants de pensée que ce soit pour les personnalités, invités et animateurs. Le média doit donc refléter une certaine liberté dans ce qui est diffusé et ne pas être figé dans une ligne idéologique unique.

Dans l’arrêt du 4 juillet 2025, le Conseil d’État apporte de nouvelles précisions sur le rôle de l’ARCOM et sur la manière dont elle contrôle le pluralisme dans les médias. En l’espèce, il s’agissait d’une association qui demandait que l’ARCOM adresse une mise en demeure à des stations de radio et à des chaînes de télévision. Cette mise en demeure visait à modifier la liste des intervenants dans les émissions diffusées par ces deux types de médias. L’association estimait que les chroniqueurs et experts intervenaient trop souvent, ce qui portait atteinte aux devoirs de l’ARCOM en matière de pluralisme.

Le Conseil d’État fixe d’abord les conditions dans lesquelles l’ARCOM peut être saisie. Dans la continuité de l’arrêt du 13 février 2024, lorsque la ligne éditoriale ne respecte pas la libre expression des courants de pensée et d’opinion, il est nécessaire de disposer d’une période d’observation suffisamment longue, « sauf circonstances particulières ». Par exemple, une seule émission réunissant deux personnalités politiques issues du même courant, de gauche ou de droite, ne suffit pas à caractériser une telle atteinte ; il faut une répétition dans le temps. Ainsi, l’ARCOM doit constater s’il n’existe pas, sur une période suffisamment longue, « aucun déséquilibre manifeste et durable au regard de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion ». 

Il est donc nécessaire de caractériser un aspect « manifeste », ce qui signifie qu’aux yeux ou à l’oreille du public doit pouvoir le percevoir. Par exemple, serait qualifiée de manifeste une interview trop longue accordée à une même personnalité invitée à plusieurs reprises.

Enfin, l’ARCOM doit, précise le Conseil d’État, porter « une appréciation globale » sur la diversité des programmes émis par la radio ou la chaîne de télévision. Cette appréciation ne consiste pas à classer les personnalités selon des courants de pensée précis.

Dans cette décision de 2025, il était question de chroniqueurs et non de personnalités politiques. Selon le dictionnaire de l’Académie française, un chroniqueur est une personne, dans un magazine ou une émission radiophonique ou télévisée, chargée d’un sujet spécifique. 

Le Conseil d’État opère ici une distinction claire entre le statut des personnalités politiques invitées sur un plateau télévisé ou radiophonique et celui des chroniqueurs.

Au point 13 de l’arrêt, le Conseil d’État rejette les extraits d’émissions produits par les associations, car ils proviennent de chroniqueurs et non de personnalités politiques. La brièveté des interventions et le manque d’ancienneté de certains intervenants n’amènent pas à caractériser un « déséquilibre manifeste ». En ce sens, les demandes sont rejetées. Le Conseil d’État estime que ce n’était pas dans les compétences de l’ARCOM de se prononcer sur les supposés courants de pensée des intervenants, ni sur un temps de parole qui n’aurait pas de sens, contrairement à celui des personnalités politiques.

Pour conclure, cet arrêt traduit la confiance que le Conseil d’État a envers l’ARCOM, car dans ses missions, elle ne peut pas agir sur tous les aspects de nos médias. Elle effectue des contrôles réguliers, habilitée par la loi, émet des avis et des sanctions seulement quand la situation le nécessite. 

Paul Boissière – étudiant en Master 1 Droit public

Sources : 

  • Légifrance :  Loi n°86-1067 du 30 septembre 1986, Décret n°92-805 du 19 août 1992 portant publication du traité entre la République Française et les Laender 

Les décisions : Décision du 4 juillet 2025 https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2025-07-04/494597, Décision du 13 février 2024 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000049143773

ARCOM : https://www.arcom.fr/nous-connaitre-nos-missions/garantir-le-pluralisme-et-la-cohesion-sociale/proteger-le-pluralisme-politique

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