Qu’en est-il du barème d’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse instauré par les ordonnances Macron ?

I. Présentation du mécanisme

L’ordonnance du 22 septembre 2017 a modifié le régime en matière d’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse, pour les licenciements notifiés à compter du 24 septembre 2017. L’indemnisation est faite en fonction de deux critères : 

  • L’ancienneté du salarié 
  • L’effectif de l’entreprise (moins ou plus de 11 salariés). 

L’article L.1235-3 du Code du travail prévoit donc deux tableaux fixant des montants minimums et maximums des indemnités pour les dommages et intérêts susceptibles d’être fixées par le juge prud’homal en cas de licenciement injustifié, sans cause réelle et sérieuse. L’indemnité pouvant varier entre un mois et vingt mois de salaire.

Pour donner un exemple, salarié dont l’ancienneté est d’une année complète pourra obtenir indemnisation comprise entre un et deux mois de salaire brut. Enfin, pour un salarié dont l’ancienneté est de quatorze années complètes, son indemnisation serait comprise entre trois et douze mois de salaire brut.

Mis en place pour sécuriser les relations de travail, les barèmes sont actuellement source de contentieux. L’objectif du gouvernement était d’homogénéiser les décisions des juridictions prud’homales pour assurer l’égalité des justiciables devant la loi sur l’ensemble du territoire français. De plus, ils sont un avantage considérable pour les employeurs, puisqu’ils permettent d’anticiper précisément le coût d’une éventuelle rupture du contrat de travail.

Le mécanisme incite les entreprises à embaucher sans crainte de payer des indemnités élevées en cas de contentieux. Toutefois, du point de vue des salariés, ces barèmes amoindrissent les indemnités pouvant être perçues, et pourraient avoir un effet pervers en facilitant les licenciements (car moins coûteux pour l’employeur). 

En revanche, le législateur a prévu des hypothèses spécifiques dans lesquelles le barème n’a pas lieu de s’appliquer, dans l’intérêt des salariés les plus vulnérables ou les plus injustement touchés par le licenciement. Dans ces cas, l’indemnité versée ne pourra pas être inférieure aux salaires des six derniers mois. Ce régime s’applique lorsque le juge estime que le licenciement est nul en raison:

  • de la violation d’une liberté fondamentale 
  • de faits de harcèlement moral ou sexuel 
  • d’une discrimination 
  • d’une mesure discriminatoire suite à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes
  • d’un licenciement d’un salarié protégé en raison de l’exercice de son mandat
  • de la violation des dispositions concernant les salariées enceintes, les salariés en congé pour naissance ou adoption, les salariés victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

II. Un avenir incertain

Actuellement, de nombreux conseils de prud’hommes ont décidé de ne pas appliquer le barème d’indemnisation prévu par le Code du travail en estimant ce mécanisme contraire aux normes européennes et internationales. 

A. Recours aux sources internationales

Au niveau européen, l’article 24 de la Charte sociale européenne prévoit que les travailleurs licenciés sans motif valable ont le droit à une « indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

Au niveau international, l’article 10 de la Convention OIT 158 dispose qu’en cas de licenciement injustifié, les juges devront être habilités à ordonner le « versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

Les dispositions de l’article 10 de la Convention OIT sont applicables directement dans l’ordre juridique interne mais elles se bornent à poser une exigence très vague et peu contraignante.

Ainsi, certains juges ont décidé d’écarter l’application du barème sur ces fondements. Cette problématique n’est toutefois pas nouvelle en Europe. En effet, la France n’est pas le seul État dans cette situation.

En Italie, il existe un barème similaire à celui qui a été mis en place en France. Cependant, cette disposition fut censurée par la Cour constitutionnelle italienne dans un arrêt n° 194, du 26 septembre 2018 (censure de l’article 3 du décret législatif n° 23/2015), en estimant qu’une indemnité croissante en raison de la seule ancienneté est contraire au principe d’égalité devant la loi.

De même en Finlande, la loi prévoyait que le juge fixe l’indemnité pour licenciement injustifié en fonction de plusieurs critères comme l’ancienneté, l’âge du salarié, les perspectives de retrouver un emploi équivalent, la durée de son inactivité, et la situation générale du salarié et de l’employeur avec un plancher à hauteur de 3 mois de salaire et un plafond à hauteur de 24 mois. Le Comité européen des droits sociaux (CEDS) avait été saisi sur le fondement de l’article 24 de la Charte sociale européenne.

A cette occasion, le CEDS, dans sa décision du 8 septembre 2016, n° 106/2014 Finnish Society of Social Rights c. Finlande avait conclu que la loi était contraire à la charte précitée et avait précisé qu’une réparation appropriée supposait « le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l’organe de recours, la possibilité de réintégration et des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime» En outre « tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne soient pas en rapport avec le préjudice subi et ne soient pas suffisamment dissuasives est en principe, contraire à la Charte».

Selon le Comité européen des droits sociaux, l’effet dissuasif des mesures de licenciement est essentiel. Afin de le garantir, les indemnités octroyées doivent être en rapport avec le préjudice subi. 

Or, si le critère de l’ancienneté du salarié est bien un critère subjectif en lien avec le préjudice, ce n’est pas le cas du critère de l’effectif de l’entreprise, qui lui, est purement objectif.

Ainsi, bien que le barème actuel ne s’applique pas aux licenciements nuls mais qu’aux licenciements injustifiés, il semble en contrariété avec cette décision. Or, dans la mesure où les décisions du Comité se réfèrent à des dispositions juridiques contraignantes et sont adoptées par un organisme de contrôle établi par la Charte sociale européenne et ses protocoles, ellesdoivent être respectées par les Etats concernés. Même si elles ne sont pas exécutoires dans les ordres juridiques nationaux, elles établissent le droit et peuvent servir de base à des développements positifs pour les droits sociaux au niveau national.

S’inspirant des Etats étrangers, les conseils de prud’hommes français ont écarté l’application du barème. 

B. La position des Conseils de prud’hommes français

Depuis fin 2018, des jugements parsemés refusent d’appliquer les ordonnances Macron de 2017 jugées contraires aux engagements internationaux de la France. Certains conseillers prud’homaux n’hésitaient pas à appliquer la jurisprudence antérieure qui laissait les juges user de leur pouvoir d’appréciation pour fixer les indemnités en cas de licenciement. 

C’est d’abord le conseil de prud’hommes d’Amiens, dans un jugement du 19 décembre 2018 qui a décidé de dépasser les plafonds d’indemnisation fixés par l’ordonnance Macron. En l’espèce, un employé d’un commerce d’alimentation générale a saisi les prud’hommes en février 2018 après avoir appris que son employeur voulait le licencier pour faute grave. Les juges ont considéré que la rupture du contrat de travail était infondée et qu’il fallait dès lors dédommager le salarié pour le préjudice subi. Le conseil d’Amiens s’est fondé sur l’article 10 de la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui prévoit une indemnité « adéquate » ou toute autre forme de réparation « appropriée ».

C’est ensuite le conseil de prud’hommes de Lyon qui s’est rallié à cette cause dans un jugement rendu le 21 décembre 2018. En l’espèce, une ex-salariée d’une association de familles de personnes handicapées travaillait en multipliant les CDD. Lorsqu’elle apprend que son dernier contrat ne sera pas renouvelé, elle demande sa requalification en CDI. Ce qu’elle n’obtient pas. Elle travaille alors une dernière journée, mais sans qu’un contrat ne soit édité. Les juges ont donc requalifié la relation contractuelle en CDI. Le contrat fut donc rompu unilatéralement, sans cause réelle et sérieuse. Les juges lui ont accordé une indemnité égale à trois mois de salaire, alors que les ordonnances ne lui octroyaient qu’un mois. Pour ce faire, le conseil de Lyon s’est fondé sur l’article 24 de la Charte sociale européenne qui exige qu’un salarié licencié sans motif valable a le droit à une « indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ». 

En 2019, à nouveau, c’est le Conseil de prud’hommes d’Angers, le 24 janvier 2019 qui se fonde sur le principe de hiérarchie des normes, plus précisément l’article 24 de la Charte sociale européenne. 

D’une manière générale, ce qui est reproché aux barèmes fixés par les ordonnances Macron est de ne prendre en compte que deux critères : celui de l’ancienneté du salarié et celui des effectifs de la société, et d’omettre la prise en compte d’autres critères tels que l’âge, la situation personnelle et familiale, le handicap, la difficulté à retrouver un emploi…

Toutefois, il convient de rappeler qu’il est toujours possible de déroger à ces plafonds d’indemnisation en usant d’un accord de conciliation. Ainsi, l’employeur et le salarié peuvent se mettre d’accord et fixer le montant des indemnités amiablement. 

Enfin, si déjà 15 juridictions prud’homales refusent d’appliquer ces barèmes, il est à noter que certaines l’ont jugé conforme au droit européen. Après les conseils de prud’hommes de Caen, du Mans et de Grenoble, le CPH du Havre dans un jugement du 15 janvier 2019 a estimé le barème « conforme aux principes d’indemnité adéquate et de réparation appropriée en cas de licenciement » fixés par la convention 158 de l’OIT et la Charte sociale européenne. Le CPH de Tours va dans le même sens le 29 janvier 2019 en rejetant l’applicabilité de la Charte sociale européenne qui n’est pas dotée d’effet direct. 

Pour conclure, on constate des décisions éparses et un manque d’harmonie de la jurisprudence sur le sujet qui instaurent une grande insécurité juridique. L’avenir reste incertain, il nous faut désormais attendre le positionnement de la Cour de cassation car il ne s’agit, pour le moment, que de jugements de première instance. En effet, le phénomène semble prendre de l’ampleur mais le gouvernement ne semble pas prêt à changer de direction.Face à cette rébellion, Nicole Belloubet, Garde des Sceaux a envoyé une circulaire de recadrage le 26 février 2019 (méthode assez exceptionnelle) aux magistrats et aux présidents des CPH leur demandant d’être informé des décisions rendues dans ce domaine, et la transmission des affaires ayant fait l’objet d’un appel. Le gouvernement tient donc à maintenir le dispositif, c’est donc une affaire qui ne fait que commencer…

Auteurs : Mathilde Lacointe, Marie Perrigaud, Melissa Albik et Clara Fizet

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