Un employeur peut-il se prévaloir d’éléments de preuve issus du compte Facebook privé d’une salariée pour fonder son licenciement ?

A l’aube d’une société numérique avec des réseaux sociaux de plus en plus présents tant dans notre vie professionnelle que personnelle, la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu une décision, le 30 septembre 2020, qui ne passera pas inaperçue. Dans cet arrêt promis à une large publicité, le juge autorise pour la première fois, à notre connaissance, la possibilité pour un employeur de recourir à des éléments de preuve provenant du compte Facebook privé de la salariée, portant alors atteinte à la vie privée de cette dernière.

  En l’espèce une salariée est licenciée pour faute grave (manquement à son obligation contractuelle de confidentialité) après près de 4 ans en qualité de chef de projet export. La salariée va alors saisir le juge prud’homale puis interjeter appel afin de contester son licenciement. Enfin elle forme un pourvoi en cassation. La demanderesse fonde ce pourvoi d’abord sur une atteinte disproportionnée et déloyale de sa vie privée par l’employeur, puis sur l’inopposabilité de la preuve extraite du compte Facebook privé.

  La question se pose alors de savoir dans quelles mesures un employeur peut, en vertu du droit à la preuve, produire des éléments de preuve portant atteinte à la vie privée d’une salariée, à l’occasion de son licenciement pour faute grave.

  La cour de cassation va d’abord caractériser cette atteinte puis l’autoriser en vertu du droit de la preuve. Toutefois elle pose un cadre et rappelle certaines limites.

 Avant tout elle énonce que l’employeur est soumis au principe de loyauté dans l’administration de la preuve et donc qu’il ne peut user de stratagèmes quelconques pour recueillir une preuve. Cela amène à penser que si l’employeur avait usé de stratagèmes, de manœuvres, pour obtenir ces preuves, la décision aurait probablement pris une autre tournure. Or l’employeur s’est trouvé informé de la situation par l’un des « amis » de la salariée, qui avait un accès autorisé aux publications de celle-ci ; aucun procédé déloyal d’obtention des éléments n’a donc été retenu par la cour à l’encontre de l’employeur.

La cour énonce de plus que la production, en tant qu’objets de preuve, de photographies ou d’éléments distinctifs de certains « amis Facebook » issus directement du compte privé de la salariée, caractérisait une atteinte à la vie privée de celle-ci. 

  Cependant l’atteinte du droit de la preuve sur la vie privée de la salariée va être autorisée sous certaines conditions, la cour se basant notamment sur la combinaison des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Dans un premier temps  la production de la preuve doit revêtir un caractère indispensable à l’exercice du droit de la preuve. Et ensuite il est nécessaire que l’atteinte soit « proportionnée au but poursuivi ».  Le but poursuivi en l’espèce est l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires.

  La Haute juridiction va ainsi retenir ces caractéristiques et rejeter le pourvoi formé en énonçant que « cette production d’éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi ».

  Cette décision est d’autant plus remarquable au vu de la jurisprudence antérieure, qui permet d’en mesurer la portée réelle.

  En effet, si pour la situation en l’espèce une faute grave a pu être caractérisée pour justifier le licenciement de la salariée, la cour se montrait d’ordinaire réticente à autoriser les preuves issues d’un compte personnel et privé pour justifier d’une faute.

  Dans un arrêt du 12 septembre 2018, la Cour de cassation avait établi qu’un licenciement pour faute grave ne pouvait être prononcé pour des propos tenu par un salarié sur un groupe fermé de 14 personnes, et était dépourvu de caractère réel et sérieux. Dans ce cas, c’est le caractère purement privé et limité à un cercle restreint de personnes qui avait été mis en avant par la juridiction, prenant une position ouvertement protectrice de l’intérêt et des droits des salariés.

  Le 20 décembre 2017, la chambre sociale de la Cour de cassation se prononçait cette fois sur les procédés d’obtention des éléments issus d’un compte Facebook privé d’un salarié par l’employeur. En l’espèce, un employeur avait eu accès au compte privé d’un salarié par l’usage du téléphone professionnel d’un autre salarié de l’entreprise. Cette obtention de la preuve à travers la mise en place d’un stratagème de l’employeur est un élément essentiel à la décision de la Cour de cassation. Cet arrêt fait écho à celui rendue en septembre 2020, la cour posant un principe de loyauté dans l’obtention  des éléments de preuve pour justifier le licenciement, de proportionnalité au but poursuivi, et de respect à la vie privée du salarié. Ces critères étaient alors posés pour mettre en échec le caractère réel et sérieux de la cause du licenciement. À l’inverse, l’arrêt rendu récemment reprend donc ces éléments en arguant le respect au droit de la preuve, et exceptionnellement admet le caractère indispensable et proportionné de l’atteinte à la vie privée du salarié.

  La décision rendue par la Cour de cassation au 30 septembre 2020 apporte donc une vraie nouveauté non pas dans les critères retenus pour se prévaloir d’éléments issus d’un compte privé sur un réseau social, mais la défense claire du droit de la preuve. Cette position favorable aux employeurs marque une fracture avec la tendance jurisprudentielle, qui se montrait au contraire plus favorable aux salariés dans des situations similaires.

Haroun CHTATAR- Martin BRUCKER

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