FUSION-ABSORPTION : RESPONSABILITÉ PÉNALE DE LA SOCIÉTÉ ABSORBANTE

La Cour de cassation a récemment rendu un arrêt le 25 novembre 2020 chambre criminelle n°2333 (18-86.955) dans lequel elle a opéré un revirement de jurisprudence s’agissant du transfert de la responsabilité pénale d’une personne morale dans le cadre d’une fusion-absorption. 

            Dans les faits, une société a été convoquée à l’audience du tribunal correctionnel du chef de destruction involontaire de biens appartenant à autrui par l’effet d’un incendie. Cependant, la société avait été absorbée par une autre société dans le cadre d’une fusion-absorption avant la convocation. La société absorbante a été citée à comparaître à l’audience pour être jugée. 

Qu’est-ce qu’une opération de fusion-absorption ?

La fusion-absorption est une opération par laquelle plusieurs sociétés commerciales confondent leurs actifs respectifs afin de ne former qu’une seule personne morale. La société absorbée transmet l’intégralité de son patrimoine à la société absorbante et voit sa personnalité morale disparaitre.  

  • Avant l’arrêt du 25 novembre 2020 :

 D’abord, il est nécessaire de rappeler l’article 121-1 du Code pénal qui dispose que : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait », ainsi que l’article 121-2 alinéa 1er du Code pénal qui prévoit qu’une personne morale peut voir sa responsabilité pénale engagée.  

La Cour de cassation, pendant des années, assimilait la dissolution de la société au décès d’une personne physique. Par cette conception anthropomorphique, la Cour de cassation refusait le transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante en appliquant strictement l’article 121-1 du Code pénal. De ce fait, la société absorbée était considérée comme étant dissoute et la société absorbante ne pouvait pas être poursuivie pour des faits commis par la société absorbée.

Notamment, par un arrêt rendu le 20 juin 2000, la chambre criminelle de la Cour de cassation (n°99-86.742) avait affirmé que l’opération de fusion-absorption n’entrainait pas la liquidation de la société absorbée, ainsi, sa personnalité morale subsistait. Par conséquent, la chambre criminelle considérait que la société absorbée devait répondre elle-même des faits qu’elle avait commis antérieurement à cette opération. 

I. Le contexte du revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation :

Le changement de la jurisprudence de la Cour de cassation a été inspiré, tout d’abord, par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) dans un arrêt du 5 mars 2015 qui a considéré que la responsabilité contraventionnelle peut être transmise à la société absorbante. 

Ensuite, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), dans une décision rendue le 24 octobre 2019, se fondant sur la continuité économique existant entre la société absorbante et la société absorbée, a considéré que l’application d’une amende civile à une société absorbante pour des faits commis avant la fusion par la société absorbée ne porte pas atteinte au principe de personnalité des peines. 

À la suite de cette décision, la Cour Européenne des Droits de l’Homme abandonne ainsi l’approche anthropomorphique de l’opération de fusion-absorption et surtout, donne la permission à ce que la société absorbante soit condamnée pénalement pour des infractions commises par la société absorbée avant l’opération de fusion-absorption.  

L’évolution tient aussi de l’ordre interne car la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 21 janvier 2014, avait admis l’application des amendes civiles à l’encontre d’une société absorbante à la suite d’infractions commises par la société absorbée, avant l’opération de fusion-absorption. 

Cette jurisprudence a été validée par le Conseil constitutionnel, dans une QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) du 18 mai 2016, qui a considéré qu’elle ne portait pas atteinte à l’article 121-1 du Code pénal, à condition que les amendes soient justifiées par la nature de la sanction et qu’elles soient proportionnées à l’objet poursuivi. 

La Cour de cassation a suivi l’évolution, tantôt externe, tantôt interne, et a rendu l’arrêt du 25 novembre 2020 dans lequel la chambre criminelle a changé de position et considère que la société qui absorbe pourra être condamnée pénalement pour une peine d’amende ou une confiscation s’agissant d’une infraction ayant été commise par la société absorbée antérieurement à la fusion-absorption. La société absorbante peut être considérée responsable pénalement pour des faits commis antérieurement à l’opération de fusion-absorption par la société qu’elle a absorbée. 

II. Après l’arrêt du 25 novembre 2020 (conditions et limites établies par la Cour de cassation) :

            La Cour de cassation, en effectuant ce revirement de jurisprudence, a posé des conditions et des limites.

 S’agissant des conditions : 

  • Le transfert de responsabilité ne s’applique qu’aux fusions concernant des sociétés anonymes ou des sociétés par actions simplifiées ; 
  • La société absorbante doit bénéficier des mêmes droits que la société absorbée. 

S’agissant des limites : 

  • En l’absence de fraude à la loi, l’arrêt ne s’appliquera qu’aux opérations de fusion-absorption qui interviendront postérieurement à cet arrêt. 

La Cour de cassation respecte ainsi le principe de sécurité juridique. Le transfert de la responsabilité pénale ne vaut que pour les fusions qui ont été effectuées après la date du 25 novembre 2020, à condition que l’opération de fusion-absorption ne résulte pas d’une fraude à la loi. 

Seulement des peines d’amendes et de confiscations peuvent être prononcées envers la société absorbante. 

III. Le transfert de la responsabilité pénale à la société absorbante en cas de fraude à la loi indépendamment de la fusion-opération intervenue après ou avant l’arrêt de 2020 :

Lorsque l’opération de fusion-absorption a eu pour but de faire échapper la société absorbée à des sanctions pénales, la société absorbante peut voir sa responsabilité engagée même si l’opération de fusion-absorption est intervenue avant l’arrêt du 25 novembre 2020. 

En cas de fraude à la loi, la société absorbante risque de voir sa responsabilité pénale, pleine et entière, engagée indépendamment de sa forme juridique et indépendamment des amendes et confiscations. 

Litos VAZ

Sofiane BOUDERROUAH

Adeline FENIRA

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