La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) n’interdit pas nécessairement aux Etats de publier sur Internet, l’identité des contribuables qui ne respectent pas leurs obligations fiscales.
Dans un arrêt du 12 janvier 2020, la CEDH estime qu’un Etat publiant l’identité de ses fraudeurs fiscaux, ne porte pas nécessairement atteinte au droit à la vie privée prévu par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CvEDH).
En l’espèce, le 27 janvier 2016, l’administration fiscale hongroise avait publié sur son site une liste des contribuables ayant des arriérés d’impôts, en mentionnant certaines de leurs données personnelles (nom, adresse, numéro d’identification fiscale et montant des arriérés d’impôts). Cette liste était consultable par tout lecteur sur le site de l’administration fiscale hongroise.
Le 16 février 2016, cette liste a été reprise par un média en ligne afin d’établir une « carte nationale des contribuables défaillants ». L’adresse de ces derniers était indiquée par un point rouge sur la carte, ainsi que le détail de leurs renseignements personnels.
La Cour a donc tranché sur la question de savoir si l’administration fiscale pouvait publier sur Internet, une liste comportant les informations personnelles et l’identité des contribuables n’ayant pas rempli leurs obligations fiscales, sans pour autant porter atteinte à leur vie privée.
En effet, le requérant avait notamment soutenu devant la CEDH la violation de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme selon lequel « 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2)Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Au regard de sa jurisprudence, la Cour a d’abord constaté que les informations publiées constituaient bien des données personnelles et que celles-ci étaient relatives à la vie privée du contribuable. Après avoir rappelé que l’article 8 était donc bien recevable et pouvait être appliqué au cas d’espèce, en examinant si l’ingérence était justifiée à la lumière du paragraphe 2 de l’article 8, la Cour a estimé que les autorités avaient agi « conformément à la loi », conformément à un ou plusieurs objectifs légitimes, et que la mesure contestée était « nécessaire dans une société démocratique ».
En effet, premièrement, la mesure contestée avait bien un fondement juridique puisque cette mesure était prévue par le droit hongrois depuis 2003.
Deuxièmement, l’objectif poursuivi était légitime selon la Cour puisqu’au regard de la loi Hongroise, « les mesures contestées visaient à améliorer la discipline en ce qui concernait le paiement des impôts, et par conséquent, à protéger le bien-être économique du pays », ainsi que de protéger les intérêts particuliers des tiers en leur donnant un aperçu de la situation financière des personnes listées.
Il restait à savoir, si la mesure contestée était « nécessaire dans une société démocratique ». La Cour rappelle qu’une ingérence est considérée comme « nécessaire dans une société démocratique » pour la réalisation d’un objectif légitime, si elle répond à un « besoin social urgent », si elle est proportionnée à l’objectif légitime poursuivi, et si les raisons invoquées par les autorités nationales pour le justifier sont « pertinentes et suffisantes ».
En l’espèce, il convenait principalement pour la Cour de se demander si le juste équilibre entre les intérêts du demandeur à protéger son droit à la vie privée et l’intérêt de la collectivité était respecté.
« Compte tenu du contexte spécifique dans lequel les informations en cause ont été publiées, du fait que la publication visait à garantir la disponibilité et l’accessibilité de l’information dans l’intérêt public, et de l’effet limité de la publication sur la vie quotidienne du requérant, la Cour estime que la publication relève de la marge d’appréciation de l’État intimé ». La Cour a donc décidé de respecter le choix du législateur hongrois tant que celui-ci n’était pas « manifestement sans fondement raisonnable ».
La Cour conclut donc par la non-violation de l’article 8.
En France, le Conseil constitutionnel dans un arrêt du 27 décembre 2019 avait rappelé que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale était un objectif à valeur constitutionnelle, lors de la mise en place du dispositif, permettant à l’administration fiscale d’utiliser notamment les réseaux sociaux, aux fins de recherche de manquements et d’infractions en matière fiscale et douanière. Toutefois, lors de cette même décision, le Conseil constitutionnel avait également rappelé l’importance du respect au droit à la vie privée des contribuables.
Daanoun Hasna
C’est vraiment instructif. Je vous en remercie. Tout mon rêve c’est de fréquenter votre université dans le cadre des études du droit des affaires et fiscalité.