Contrairement à d’autres Etats qui ont accommodés la religion à leurs institutions, la France a exclut celle-ci des siennes par la loi du 9 décembre 1905 portant séparation des Eglises et de l’Etat.
Ainsi le projet de loi confortant le respect des principes de la République (ou loi visant à lutter contre le séparatisme et les atteintes à la citoyenneté) propose une adaptation de la laïcité dans un sens plus sécuritaire, impliquant un plus grand contrôle de l’Etat sur cette dernière. Le projet a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 16 février 2021. Il sera prochainement examiné par le Sénat le 30 mars.
Les principes traditionnels attachés à la conception française de la laïcité et les adaptations du projet de loi :
La liberté de culte :
D’une part, la laïcité assure la liberté de culte. De ce fait, la République ne reconnaît aucun culte ; cette affirmation de la loi de 1905 rompt avec le régime concordataire instauré en 1801, lequel distinguait entre les religions reconnues (religions catholique, judaïque et protestante) et les autres. Désormais toutes les religions sont placées sur un pied d’égalité : l’Etat n’entretient aucune relation spéciale ou privilégiée avec quelque religion que ce soit. Le fait religieux cesse d’être un fait public et le culte n’est plus un service public ; la religion ne peut plus bénéficier de financements publics, sauf à ce que certaines activités religieuses puissent être assimilées, du fait des conditions dans lesquelles elles s’exercent à des activités d’intérêt général. Ainsi, les services religieux assurés dans les services publics doivent faire l’objet d’une prise en charge financière (aumôneries, scolaires, militaires, pénitentiaires).
En contrepartie, les églises s’organisent comme elles le veulent. L’Etat ne doit ainsi porter aucune appréciation sur le bien-fondé de telle ou telle croyance. Ensuite, l’Etat n’a pas à interférer dans les modalités de fonctionnement des églises : ainsi ces règles d’organisation relèvent d’un droit qui n’est pas le leur ; il ne s’immiscent pas dans l’interprétation des règles canoniques (Conseil d’Etat, 8 février 1908, Abbé Déliard) ou d’autres cultes. D’autre part, une des conséquences de l’entrée en vigueur de la loi de 1905 a consisté en le fait que les édifices religieux existants à la date de la loi de 1905 sont entrés dans le patrimoine des personnes publiques (Etat, communes, départements), sauf en Guyane, Polynésie-Française, ainsi que dans les départements du Haut-Rhin, Bas-Rhin et de la Moselle qui sont restés soumis au Concordat de 1801.
Ainsi, l’entretien et la restauration de ces bâtiments sont à la charge des collectivités publiques. Or, comme il s’agit dans leur grande majorité d’édifices du culte catholique, seuls les édifices construits postérieurement à la loi de 1905 sont des biens privés, pour lesquels aucun financement public n’est en principe possible. Le Conseil d’Etat a pu rappelé que les collectivités publiques peuvent financer l’entretien et la conservation des édifices cultuels dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des Eglises et de l’Etat et accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation. Il leur est, en revanche, interdit d’apporter une aide à l’exercice d’un culte. Il s’agit d’une interdiction des subventions permanentes, régulières et données aux cultes en tant que cultes.
Projet : Désormais les conditions de création et de gouvernance des associations gérant un lieu de culte prévues par la loi de 1905 les protégeront des prises de contrôle malveillantes par des groupes radicaux. Elles devront pour cela procéder tous les cinq ans à une déclaration auprès du préfet du département, qui peut s’y opposer. Elles devront aussi effectuer cette même déclaration pour pouvoir bénéficier des avantages, notamment fiscaux, propres à ce type d’organismes. Les dons en provenance de l’étranger de plus de 10 000euros devront être autorisés par le préfet qui pourra s’y opposer lorsque l’ordre public entre en jeu. L’association devra aussi faire certifier ses comptes annuels par un commissaire aux comptes.
De plus, toute subvention publique accordée à une association est conditionnée au respect d’un « contrat d’engagement républicain » qui contiendra certains principes : liberté, égalité, fraternité, dignité de la personne, sauvegarde de l’ordre public. Le projet de loi élargit aussi les motifs de dissolution d’une association (agissement commis par leurs membres, agissant en cette qualité, ou des agissements directement liés à leurs activités) en conseil des ministres.
La neutralité religieuse des personnes publiques :
D’autre part, l’autre grande composante de la laïcité est la neutralité religieuse. Les personnes publiques doivent être absolument neutre, c’est-à-dire qu’elles ne doivent afficher aucune préférence pour une quelconque religion. Cette obligation s’applique aux bâtiments publics et une polémique a pu apparaître quand certains élus ont voulus installer des crèches de la nativité dans des halls de mairie ou d’hôtel de département. A ce propos, le Conseil d’Etat est intervenu en posant un cadre subtil et complexe (Conseil d’Etat, Section, 2016, Fédération départementale des libres- penseurs de Seine et Marne et Fédération de la libre pensée de Vendée). Il a concilié la liberté de culte et la neutralité du service public de sorte que, dans les bâtiments publics, une crèche ne peut en principe être installée, « sauf circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère cultuel, artistique ou festif », tandis que dans les autres emplacements publics, l’installation d’une crèche à l’occasion des fêtes de Noël est possible « dès lors qu’elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse. »
L’obligation de neutralité des fonctionnaires et agents publics a été consolidée par voie jurisprudentielle. Ainsi, « le principe de laïcité fait obstacle à ce que les agents publics disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses » (Conseil d’Etat, avis, 3 mai 2000, Mlle Marteaux). Toutefois, ceci n’affecte en rien la liberté de conscience reconnue à l’ensemble des fonctionnaires et agents publics, qui interdit notamment toute discrimination, dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondées sur leur religion (Conseil d’Etat, 10 avril 2009, El Haddioui c/ Ministre de l’Intérieur).
Projet : Il renforce les exigences de laïcité dans les services publics. Le respect des principes d’égalité, de neutralité et de laïcité par les salariés participant à une mission de service public a été étendu aux services de transport à la personne librement organisés ou non conventionnés ainsi qu’aux bailleurs sociaux privés ou publics.
La création d’un délit de séparatisme étend la procédure accélérée de suspension sur déféré préfectoral aux actes des collectivités territoriales portant atteinte au principe de neutralité des services publics. Le projet précise que les élus du conseil municipal sont tenus au respect des principes de neutralité du service public et de laïcité lorsqu’ils agissent au nom et pour le compte de l’Etat, par délégation du maire.
Ce délit concerne les menaces ou les violences envers les agents du service public (notamment les professeurs) ou les élus, dans le but de se soustraire aux règles du service public. Il est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Et avec le consentement de la victime, l’administration ou le délégataire de service public peuvent porter plainte.
La neutralité religieuse comprend également l’interdiction des discriminations fondées sur les convictions religieuses. Ce principe est consacré directement ou indirectement par plusieurs textes internationaux et trouve une affirmation solennelle dans le préambule de la Constitution de 1946. Cette affirmation des discriminations religieuses, générale, vaut aussi bien pour l’Etat que pour les personnes privées et est pénalement sanctionnée.
Elle trouve ainsi à s’appliquer à l’Etat et aux personnes publiques. Ainsi, en matière d’acquisition de la nationalité française, les convictions religieuses ne peuvent en l’absence d’éléments de nature à révéler un défaut d’assimilation, permettre de s’opposer à l’acquisition de la nationalité française. La neutralité religieuse compte aussi le principe de reconnaissance du sentiment religieux. Ainsi, la liberté religieuse justifie la mise en place d’un cadre légal permettant aux individus de vivre, et parfois mourrir, conformément aux prescriptions que leur foi leur commande.
Un principe sous tensions :
Par ailleurs, plus d’un siècle après sa formulation, la laïcité fait l’objet d’un nombre croissant de tensions. Ainsi, des questions telles que le port des signes religieux à l’école se sont posées. Par un avis rendu le 27 novembre 1989, le Conseil d’Etat a énoncé que le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses. Il y a aussi des limites puisque le port de signes d’appartenance religieuse ne doit pas constituer une forme de prosélytisme, d’atteinte à la dignité ou à la sécurité des élèves et de la communauté éducatives et encore moins causer des troubles dans le fonctionnement normal du service public.
Le législateur s’est aussi prononcé en faveur de l’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public par une loi dite « anti-burqa » du 11 octobre 2010. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel a jugé cette loi conforme à la Constitution car « les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d’exclusion et d’infériorisation manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité » (Conseil constitutionnel, décision n°2010-613 DC, 7 octobre 2010, Dissimulation du visage dans l’espace public).
Projet: En matière de protection de la dignité des personnes, il renforce la situation des héritiers réservataires sur des biens situés en France lorsque la succession relève d’une loi étrangère qui ne reconnaît pas l’égalité des enfants héritiers. Il traite aussi de la polygamie sous l’angle des titres de séjour et des pensions de réversion et renforce la lutte contre les mariages forcés (en cas de suspicion, l’officier de l’état civil devra s’entretenir individuellement avec les futurs époux). En cas de doute, il aura l’obligation de saisir le procureur de la République. La délivrance des certificats de virginité devient interdite et sera punie d’un an de prison et de 1500 euros d’amende.
Yasmine DHAOUADI, M2 Services et Politiques Publics