Loi PACTE et droit des sociétés – Partie 1 : La raison d’être

La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, a inséré à l’article 1835 du code civil (ci-après « C.Civ ») la notion de « raison d’être » d’une société. En effet, ce dernier énonce que « Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».

Face à cette nouvelle notion pour le droit français, plusieurs questions peuvent se poser :

  • Qu’est-ce que la « raison d’être » ? (I)
  • Quel est son régime ainsi que ses effets juridiques ? (II)

I. La définition de la raison d’être

Afin de mieux déterminer les contours de la raison d’être, il est pertinent de la rapprocher à d’autres notions inhérentes et fondamentales de la société, afin d’avoir une définition négative (A) et positive (B) de la raison d’être.

A. Ce que n’est pas la raison d’être

Il est intéressant de distinguer la raison d’être de l’objet social (1) ainsi que de l’intérêt social (2).

1.La raison d’être et l’objet social

L’objet social et la raison d’être sont doués d’une certaine proximité. 

En effet, l’objet social se définit comme le champ des actes possibles de la société, conformément au principe de spécialité des personnes morales. Il s’agit donc de la nature de l’activité que la société déploie pour partager un bénéfice ou profiter d’une économie. 

En parallèle, la raison d’être, selon l’article 1835 2ème alinéa nouveau, ne définit pas un champ d’actes possibles, mais décrit une direction, une orientation, que la société, l’entreprise devrait prendre dans la réalisation de son objet social. Il s’agit donc d’une ambition poursuivie par les fondateurs de la société dans le cadre de son activité économique.

Plus juridiquement, plusieurs différences existent entre l’objet social et la raison d’être : 

  • (1) La violation de l’objet social peut emporter des conséquences sur le non-engagement contractuel de la société notamment dans les sociétés à risque illimité, a contrario le non-respect de la raison d’être n’aura pas de tels effets.
  •  (2) L’extinction de l’objet social est une cause de dissolution de la société selon l’article   1844-7 du Code civil ; là où l’extinction de la raison d’être n’emporte aucune conséquence de cette sorte pour la société.

En réalité, il semble que l’objet social et la raison d’être soient complémentaires, l’une est fondamentale recouvrant l’activité économique que la société exerce, l’autre peu contraignante, servant en interne, de boussole, d’étoile polaire, à la société dans l’exercice de son objet social. 

2. La raison d’être et l’intérêt social

L’intérêt social est l’intérêt de la société en tant que personne morale, dans ses aspects patrimoniaux. Il correspond à l’intérêt pour la société à avoir une viabilité économique, être pérenne, à fonctionner normalement, et ne pas faire faillite. 

En ce qu’il s’agit de la relation entre l’intérêt social et la raison d’être. Selon l’étude d’impact relatif à la croissance et à la transformation des entreprises de l’Assemblée nationale (ci-après « L’étude d’impact »), la raison d’être est « l’intérêt accessoire, éventuellement non patrimonial, qui ne contredit pas l’intérêt social mais que l’activité de la société doit contribuer à satisfaire ». Il y aurait une relation de principal à accessoire mais si tel est le cas, il semble curieux que la raison d’être soit logée dans une disposition distincte de l’intérêt social. 

Néanmoins, l’étude d’impact fait preuve d’un certain pragmatisme, en rappelant que la raison d’être ne doit pas contredire l’intérêt social. Celle-ci accorde à la raison d’être de coexister avec l’intérêt social sans pour autant lui donner le pouvoir de l’affecter. 

En effet, sacrifier l’intérêt social au bénéfice de la raison d’être est un risque ; les moyens mis en œuvre pour la réaliser ne doivent pas mettre en péril l’exploitation, ni faire l’objet d’abus pour justifier des actes de gestions nuisibles au bon fonctionnement de la société. 

Une métaphore partagée par l’Observatoire Nationale de la Responsabilité sociétale des Entreprises permet de bien distinguer les deux notions en comparant la personne morale à la personne humaine : « l’intérêt social correspondrait à l’ensemble des fonctions qui permettent au corps de se maintenir en vie, et la raison d’être à ce qui donne un sens à la vie. »

A cet égard, l’intérêt social est une composante vitale de la société, dès lors que la raison d’être n’est qu’une composante accessoire de celle-ci. 

A la somme de ces éléments, il serait intéressant, désormais, de déterminer ce qu’est la raison d’être.

B. Ce qu’est la raison d’être

1.Théoriquement

Selon le rapport Notat-Senard, « la raison d’être est à l’entreprise ce que l’affectio societatis […] est aux associés : une volonté réelle et partagée » rajoutant qu’il s’agit d’un « guide pour déterminer les orientations stratégiques de l’entreprise et les actions qui en découlent. »

De la même manière le gouvernement au sujet du projet de la loi Pacte, expliquait que cette loi incite « les sociétés à ne plus être guidées par une seule « raison d’avoir » mais également par une raison d’être […] permettant de l’orienter vers une recherche du long terme ».

La raison d’être s’inscrit donc, dans une complémentarité de l’objet social, afin de lui donner une force, un fondement lui servant de guide, mais devant toujours servir l’intérêt social. 

C’est à cet égard qu’il a été donné à la société la possibilité de manière facultative d’intégrer une raison d’être. 

En effet, en vertu de l’article 1835 du code civil nouveau, les statuts « peuvent préciser une raison d’être ». Cet aspect facultatif s’accompagne également de la faculté de modifier la raison d’être à tout moment de la société, voire de la supprimer ; ce qui la rend fragile. 

Au regard, des personnes concernées, la liberté d’insérer une raison d’être dans les statuts ne se cantonne pas uniquement aux sociétés : les groupements d’intérêt économique et les associations peuvent tout à fait stipuler une raison d’être dans leurs statuts. 

Quant au contenu, la raison d’être a été créée afin d’intégrer dans les orientations des entreprises de plus fortes considérations sociales et environnementales. Néanmoins, son contenu reste libre et non cantonné à ces dernières. 

2.En pratique

Afin d’avoir une idée plus concrète, il peut être intéressant de donner quelques exemples de raison d’être : 

  • Michelin : « Offrir une meilleure façon d’avancer »
  • Atos : « Contribuer à façonner l’espace informationnel »
  • SNCF : « Apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement en préservant la planète »
  • Veolia : « Contribuer au progrès humain, en s’inscrivant résolument dans les Objectifs de Développement Durable définis par l’ONU, afin de parvenir à un avenir meilleur et plus durable pour tous »

En parallèle, certaine de ces sociétés accompagnent leurs raisons d’être par des engagements concrets s’inscrivant dans le temps. 

Par exemple, Michelin a fait l’engagement qu’en 2048, 80% de ses pneus seront fabriqués par des matériaux durables et 100% d’entre eux seront recyclés. 

La SNCF, elle, prévoit de réduire son empreinte carbone de 25% entre 2015 et 2025, notamment par le développement des trains hybrides ou des trains à hydrogène prévus en 2022. 

Mais à cet égard, la raison d’être n’est elle pas qu’une simple couverture marketing ? En effet, de tels engagements ont-ils des effets juridiques pratiques, contraignant les sociétés à s’y soumettre ?  

Le rapport Notat-Senard exposait que « la raison d’être pour une entreprise est une indication, qui mérite d’être explicitée, sans pour autant que des effets juridiques y soient attachés ». Cela n’est pourtant pas si simple. 

Dès lors que la raison d’être apparaitrait dans les statuts d’une société, cela pourrait engendrer de nombreux effets juridiques : 

  • (1) Si des tiers venaient à être lésés par une transgression de la raison d’être, la responsabilité de la société pourrait être recherché. 
  • (2) Les dirigeants pourront aussi être affectés par la mention de la raison d’être dans les statuts :
  • (a) S’il violent la raison d’être statutaire, ceux-ci pourraient être révoqués, même dans les sociétés où il se trouve nécessaire de caractériser une cause légitime ou un juste motif. 
  • (b) Au même titre, en cas de violation de la raison d’être, ils pourraient engager leurs responsabilités, si la société atteste d’un préjudice. 
  • (3) En revanche, l’annulation des actes pris en violation de la raison d’être ne pourrait être recherchée : 
  • (a) L’article 1844-10 du Code civil ne permettant pas une telle annulation sur la violation des dispositions relatives à la raison d’être ; 
  • (b) Appuyé lui-même par l’arrêt Larzul de la Cour de cassation du 18 Mai 2010, considérant que les actes ou délibérations n’encourent pas la nullité en cas de violation d’une clause statutaire. 

Enfin, au regard des exemples de raisons d’être citées ci-dessus, celles-ci se bornent souvent à des généralités, sans nécessairement y intégrer d’objectifs chiffrés. C’est notamment sur cet aspect qu’une action en responsabilité peut être compliqué à caractériser, dès lors que la plupart des raisons d’être sont bien trop imprécises pour déterminer une faute, un préjudice et un lien de causalité. 

Ainsi la raison d’être, ne pourrait servir que d’outil marketing et promotionnel à l’entreprise. 

C’est pourquoi, pour lui donner toute sa force, la raison d’être se doit d’être intégrée dans un projet plus global et plus contraignant, notamment dans le cadre d’une « entreprise à mission ». Ce qui fera l’objet de la partie 2 du présent article. 

SINAPIN Thibault

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