L’articulation de l’exercice du droit à la preuve et du secret des affaires

« Si le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, c’est à la condition que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime, sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées, et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l’autre partie au regard de l’objectif poursuivi.”

Cour de cassation 2e Chambre Civile, 10 juin 2021 n°20-11.987

Dans un arrêt en date du 10 juin 2021, la Cour de cassation a opéré un contrôle de proportionnalité entre d’une part, les mesures in futurum engagées afin de prouver une concurrence déloyale et d’autre part, la protection du droit au secret des affaires.

En l’espèce, la société Neovia a saisi le tribunal du commerce sur le fondement de larticle 145 du Code de procédure civile (CPC) afin que les juges procèdent à des mesures d’instructions dans l’objectif d’établir la preuve de la concurrence déloyale des sociétés Thébaide et autres. Une ordonnance de mesures d’instruction a alors été prise et la société Thébaide en a demandé l’annulation. La cour d’appel de Lyon a alors rejeté cette demande en indiquant que les mesures ordonnées semblaient nécessaires et proportionnées à la protection des intérêts de la société Neovia. La Cour de cassation casse les dispositions de l’arrêt de cour d’appel.

Il paraît alors opportun de se demander de quelle manière la Cour entend concilier le droit à la preuve des sociétés victimes de concurrence déloyale et le droit au secret des affaires ?

Concernant le droit à la preuve :

Il convient de revenir sur ce que sont les mesures d’instructions in futurum prévues par l’article 145 du Code de procédure civile (CPC).

Cet article dispose que “S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.”

Ce sont alors des mesures conservatoires qui visent à établir la preuve et/ou à la conserver, avant tout procès, pour éviter des obstacles éventuels durant la procédure.

Concernant le droit au secret des affaires :

L’article L151-1 du Code de commerce, issu de la loi du 30 juillet 2018, a élargi l’étendue des informations protégées par ce droit. En effet, avant 2016, les mesures d’instructions in futurum n’étaient que très peu remises en question. Seul un motif légitime à agir – au sens de l’article 145 CPC – suffisait à justifier le recours à ces mesures conservatoires. Une directive européenne du 8 juin 2016 a alors renforcé la protection du secret des affaires et la France l’a transposée par une loi de 2018.

Auparavant, la Cour de cassation avait d’ores et déjà démontré sa volonté de renforcer la protection du secret des affaires. Ainsi, dans un arrêt de 2017, la Cour a mis en avant la nécessité d’avoir un équilibre entre la protection de la société victime de concurrence déloyale et la protection des données de la société mise en cause. En ce sens, l’arrêt récent de la Haute juridiction réitère sa position selon laquelle le droit à la preuve ne peut justifier la mise en oeuvre de mesures d’instruction portant atteinte au secret des affaires que si cette atteinte est proportionnée au but poursuivi.

La Cour de cassation vient alors imposer un contrôle de nécessité et de proportionnalité lorsque les documents sont protégés par le secret des affaires au sens de l’article L151-1 du Code de commerce.

Pour rappel, cet article dispose que “Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;

2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret.”

Toutefois, bien que la Cour exige un contrôle de proportionnalité et de nécessité, cela ne veut pas dire que le secret des affaires doit primer sur la protection d’une société victime mais seulement qu’il faut réussir à concilier deux intérêts afin qu’aucune de ces parties ne soient injustement lésée.

La Cour impose alors en l’espèce un contrôle renforcé, qui ne pourra être ignoré par les juges lorsqu’ils décideront d’user des mesures d’instruction de l’article 145 du CPC dans ce type d’affaires.

Rahma BEKKACH et Shauna BERSON

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