Les obligations des employeurs en matière d’entretiens individuels et les risques et conséquences en cas de défaut dans le respect de ses obligations

Au cours de la réalisation du contrat de travail, de nombreux entretiens peuvent réunir le salarié et l’employeur. Ils peuvent être à l’initiative de l’un ou de l’autre.

Cette veille juridique se cantonnera aux entretiens obligatoires relatifs au suivi et à la formation du salarié. Les entretiens inhérents au parcours syndical ou les entretiens disciplinaires sont donc écartés.

Nous évoquerons donc succinctement les obligations de l’employeur relatives à : l’entretien dit « professionnel » (1),  ainsi que les entretiens spécifiques aux salariés en forfaits jours (2) et en télétravail (3).

1/ Lentretien professionnel

 Le régime juridique de lentretien professionnel

            Depuis 2014 (loi n° 2014-288 du 5 mars 2014), l’employeur a l’obligation de convoquer, tous les deux ans, ses salariés à un entretien professionnel. Cette obligation s’applique indépendamment de la taille de l’entreprise. De surcroit,depuis la loi du 7 mars 2020, les employeurs doivent organiser un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié tous les six ans. 

L’entretien professionnel est régi à l’article L6315-1,I du Code du travail qui dispose que « A l’occasion de son embauche, le salarié est informé qu’il bénéficie tous les deux ans d’un entretien professionnel avec son employeur consacré à ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d’emploi. Cet entretien ne porte pas sur l’évaluation du travail du salarié. Cet entretien comporte également des informations relatives à la validation des acquis de l’expérience, à l’activation par le salarié de son compte personnel de formation, aux abondements de ce compte que l’employeur est susceptible de financer et au conseil en évolution professionnelle.

Cet entretien professionnel, qui donne lieu à la rédaction d’un document dont une copie est remise au salarié, est proposé systématiquement au salarié qui reprend son activité à l’issue d’un congé de maternité, d’un congé parental d’éducation, d’un congé de proche aidant, d’un congé d’adoption, d’un congé sabbatique, d’une période de mobilité volontaire sécurisée mentionnée à l’article L. 1222-12, d’une période d’activité à temps partiel au sens de l’article L. 1225-47 du présent code, d’un arrêt longue maladie prévu à l’article L. 324-1 du code de la sécurité sociale ou à l’issue d’un mandat syndical. Cet entretien peut avoir lieu, à l’initiative du salarié, à une date antérieure à la reprise de poste. »

Cet entretien biennal a donc pour objet de discuter des perspectives d’évolution professionnelle du salarié en mettant l’accent sur ses qualifications. L’entretien individuel est également l’occasion pour l’employeur de délivrer des informations relatives à la validation des acquis de l’expérience (VAE), et aux droits du salarié en ce qui concerne le compte personnel de formation (CPF). Lors de cet entretien, l’employeur est également susceptible de conseiller le salarié sur son évolution professionnelle.

En sus de ces éléments, l’employeur devra, tous les 6 ans de présence du salarié, réaliser un « état des lieux récapitulatif » permettant de vérifier que le salarié a bénéficié de ses entretiens professionnels et d’apprécier s’il a :

  • Suivi au moins une action de formation ;
  • Acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de son expérience (VAE) ;
  • Bénéficié d’une progression salariale ou professionnelle.

 Cet entretien récapitulatif donne lieu à l’élaboration d’un document dont l’employeur adresse une copie au salarié.

Par ailleurs rappelons que l’employeur doit proposer, tous les six ans, au moins une formation au salarié autre qu’une formation obligatoire. 

L’article L6321-2 du Code du travail définit les formations obligatoires comme « toute action de formation qui conditionne l’exercice d’une activité ou d’une fonction, en application d’une convention internationale ou de dispositions légales et règlementaires, constitue un temps de travail effectif et donne lieu pendant sa réalisation au maintien par l’entreprise de la rémunération ».

Les obligations formelles de l’employeur 

En vertu de l’article L6315-1,I du Code du travail, l’employeur est obligé d’informer le salarié, lors de son embauche, de la tenue des entretiens professionnels. L’employeur ne peut se contenter de délivrer cette information oralement, elle doit figurer dans une clause du contrat de travail, dans un courrier ou encore dans une note de service.

Le salarié doit donc être informé par écrit de cette obligation légale et doit, de surcroit, recevoir une convocation fixant le lieu, la date et l’heure de cet entretien. 

L’entretien professionnel individuel a lieu tous les deux à compter de la date d’entrée du salarié dans l’entreprise. Ensuite, ce délai de deux ans court à partir de la date du dernier entretien.

Si ce délai ne peut être prolongé, il peut, dans certaines situations, être réduit. Depuis le 1er janvier 2019 (Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel), l’entretien professionnel peut être anticipé s’il concerne un salarié dont le contrat de travail a été suspendu (congé de maternité, congé parental d’éducation, congé de proche aidant, congé d’adoption, congé sabbatique, période de mobilité volontaire sécurisée, période d’activité à temps partiel, arrêt longue maladie, mandat syndical). L’employeur doit proposer cet aménagement au salarié qui est en droit de refuser.

De surcroit, cette loi autorise, par accord collectif, d’aménager la périodicité de l’entretien professionnel biennal. 

La tenue de cet entretien est obligatoire pour les deux parties. Il doit avoir lieu pendant le temps de travail du salarié et dans les locaux de l’entreprise. Il est, de facto, assimilé à du temps de travail effectif et l’absence du salarié est constitutif d’une faute. L’employeur ne peut faire fi de cette obligation de tenue d’un entretien biennal et le salarié ne peut refuser de s’y rendre.

Les sanctions en cas de non-respect de la tenue de lentretien professionnel

Pour les entreprises d’au moins 50 salariés, en cas de non-respect des obligations (articles L. 6315-1 et L. 6323-13 du code du travail) relatives à la mise en place des entretiens professionnels et d’action de formation non-obligatoire (au moins une tous les 6 ans), l’employeur devra abonder le CPF du salarié dun montant de 3000.

Les dérogations dues à la pandémie de Covid-19

La pandémie de Covid-19 est venue atténuer les effets du non-respect de la tenue de ces entretiens obligatoires. 

Le décret n° 2021-1916 du 30 décembre 2021 prévoit que les entreprises qui n’ont pas effectué d’entretien professionnel ou proposé de formation au cours des 6 dernières années à leurs salariés devront s’acquitter d’un abondement correctif avant le 31 mars 2022.

De plus, la loi du 5 août 2021 ( loi n° 2021-1040 relative à la gestion de la crise sanitaire ), qui a pour objet d’étendre l’application du passe sanitaire à divers lieux et événements a maintenu l’obligation de mise en place d’un entretien dans l’hypothèse où le salarié voit son contrat de travail suspendu pour défaut de présentation d’un pass vaccinal valide alors que celui-ci est requis.

2/ Lentretien spécifique au salarié en forfait jours 

Régime juridique

            Dans ce cas de figure, le salarié est soumis à une convention individuelle de forfait en jours. Il s’agit d’un document écrit reprenant les conditions de travail du salarié fixées soit par accord collectif d’entreprise ou d’établissement soit par une convention ou un accord de branche.

Toujours dans le cadre de l’obligation de sécurité de l’employeur et afin de prendre conscience et de contrôler la charge de travail de son salarié, un salarié soumis au régime du forfait jours doit bénéficier d’un entretien individuel avec l’employeur. Cet entretien permet au salarié d’informer l’employeur sur sa charge de travail, sur l’organisation de celui-ci en fonction de sa vie privée, sur l’articulation entre la vie professionnelle et la vie privée et, enfin, sur la rémunération (L’article L3121-65 du Code du travail).

Cet entretien obligatoire doit se tenir annuellement afin d’obtenir un réel suivi du salarié, souvent qualifié de collaborateur dans ce régime juridique. Il s’ajoute à l’entretien professionnel évoqué précédemment ( Cass. soc 12 mars 2014 n°12-29.141).

Sanctions

Si l’employeur ne respecte pas son obligation alors la convention annuelle de forfait jours peut être privée deffet (Cass. soc., 29 juin 2011, n°09-71107)

Le juge a rappelé que l’employeur doit rapporter la preuve qu’il a respecté les stipulations de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait  jours et que le non respect par l’employeur de ses obligations privait d’effet la convention de forfait jours du salarié ( Cass. soc., 17 février 2021, n°19-15.215).

Si une convention de forfait jours est privée d’effet alors le salarié peut prétendre à ce que toutes ses heures de travail soient décomptées et rémunérées selon les règles classiques et, de ce fait, réclamer le paiement d’éventuelles heures supplémentaires. En contrepartie, les salariés ne pourront conserver le bénéfice des jours de RTT acquis au titre d’une convention de forfait privée d’effet. L’employeur procédera donc à une compensation entre les sommes dues par le salarié (notamment les éventuelles heures supplémentaires) et le remboursement des jours de RTT dont il a éventuellement pu bénéficier(Cass. soc. 6 janvier 21, n°17-28234). 

3/Le régime juridique de l’entretien obligatoire en télétravail :

            Par dérogation à l’organisation classique du travail, le télétravail n’est pas effectué dans les locaux de l’entreprise et permet donc au salarié d’effectuer ses missions à distance, souvent chez lui.

Avant la pandémie de Covid-19, cette pratique fut renforcée par la loi du 5 septembre 2018 (loi n°2018-771 pour la liberté de choisir son avenir professionnel).

L’article L1222-9 du Code du travail dispose que « le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication. ».

L’article suivant, L1222-10, impose un entretien obligatoire pour les salariés en télétravail « Outre ses obligations de droit commun vis-à-vis de ses salariés, l’employeur est tenu à l’égard du salarié en télétravail :

1° D’informer le salarié de toute restriction à l’usage d’équipements ou outils informatiques ou de services de communication électronique et des sanctions en cas de non-respect de telles restrictions ;

2° De lui donner priorité pour occuper ou reprendre un poste sans télétravail qui correspond à ses qualifications et compétences professionnelles et de porter à sa connaissance la disponibilité de tout poste de cette nature ;

3° D’organiser chaque année un entretien qui porte notamment sur les conditions d’activité du salarié et sa charge de travail. ».

Au delà de l’obligation légale stricto sensu, cet entretien permet à l’employeur de contrôler l’état d’avancement du travail du salarié et d’évaluer l’atteinte, ou non, de ses objectifs professionnels. Il s’agit d’un entretien annuel portant sur les conditions de travail du salarié mais également sur sa charge de travail.

Cette obligation de tenue d’un entretien annuel est rappelé à  l’article 3.1.3 de l’ANI (Accord National Interprofessionnel)  du 26 novembre 2020 relatif au télétravail.

Sanction en cas de non respect de cette obligation annuelle :

Si le Code du travail ne prévoit pas de sanction en cas de non respect de la tenue de cet entretien, qui s’additionne aux autres entretiens individuels obligatoires, l’employeur s’expose toutefois à des conséquences pécuniaires. 

En effet, l’article L3171-4 du Code du travail dispose notamment  que « En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. ».

Or, en l’absence de tels entretiens, l’employeur ne pourra démontrer que le salarié n’a pas fait d’heures supplémentaires et pourra se voir contraindre de les payer car le juge estime que la charge de la preuve des heures supplémentaires ne peut reposer uniquement sur le salarié ( Cass soc, 21 octobre 2020. 19-15.453). La solution adoptée par la Cour de cassation est ici fort semblable à celle relative aux entretiens obligatoires en matière de forfait jours.

Aliénor Le Jariel, Sami Wazdouz et Samir Haddad

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