Marchés de travaux et adaptation à la conjoncture

Rappel de la définition des marchés de travaux

Selon l’article L1111-1 du code de la commande publique, les marchés publics se définissent comme : « Un marché est un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au présent code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent. » 

Ce sont des contrats passés par des personnes morales de droit public ou des personnes morales de droit privé, qui ont pour objet la construction neuve de bâtiments ou la réhabilitation de ces bâtiments. 

Chaque année, un grand nombre de contrats de marchés publics sont conclus en France. Cela peut concerner des opérations pouvant être parfois mineures, ou plus importantes. Aussi, il peut s’agir de prestations récurrentes comme d’autres plus ponctuelles. Toutefois, le cadre juridique de ce type de marchés publics de travaux est finalement sensiblement le même quelle que soit l’opération envisagée. 

Par son objet, le droit des marchés publics de travaux évolue de manière régulière. En effet, la passation est essentiellement soumise au droit communautaire. Le droit national en lui-même est également soumis à des modifications sur le droit des marchés publics, et donc par ricochet sur le droit des marchés publics de travaux. Avec la crise de COVID-19, ou encore le contexte d’inflation actuel, ce domaine se trouve inéluctablement impacté. 

Définition de la théorie de l’imprévision 

Cette théorie jurisprudentielle est issue du Conseil d’Etat dans un arrêt du 30 mars 1916 « Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux ». A cette occasion, la compagnie d’éclairage de Bordeaux souhaitait faire supporter à la ville le surcoût lié à l’augmentation exponentielle du charbon qui avait été multiplié par cinq entre la signature de la concession d’éclairage et 1916. Différents principes ont alors été dégagés.  

D’abord, le Conseil d’Etat a estimé qu’en principe, le contrat de concession répond définitivement aux obligations du concessionnaire et du concédant et que « la variation du prix des matières premières du fait des circonstances économiques constitue un aléa du marché que doit assumer le concessionnaire ».

Toutefois, en cas de bouleversement de l’économie du contrat du fait d’évènements que les parties ne pouvaient prévoir, le concessionnaire n’est plus tenu d’assurer le fonctionnement du service dans les conditions telles qu’elles étaient prévues à l’origine.  

Enfin, en l’espèce le Conseil d’Etat décida que la compagnie se devait de continuer d’assurer le service. En revanche, elle pouvait être indemnisée « de la part des conséquences pécuniaires de la situation de force majeure qui excédait l’aléa économique normal. » 

La théorie de l’imprévision a vu ses contours être définis au fil des décisions. Les conditions d’applications ont notamment été spécifiées. A propos des évènements impactant l’exécution du contrat, ils se doivent d’être : imprévisibles, extérieurs aux parties et doivent entraîner un bouleversement de l’économie du contrat. L’imprévision n’étant pas un cas de force majeure en elle-même, la partie lésée doit poursuivre l’exécution du contrat et l’inverse pourrait être considéré comme une faute. En revanche, il lui reste la possibilité d’une indemnité, à l’instar de l’arrêt du 30 mars 1916. 

Imprévision et conditions de modification des contrats publics 

Dans le contexte de forte inflation que connaît la France actuellement, le Conseil d’Etat a rendu un avis le 15 septembre 2022 sur les possibilités de modification du prix ou des tarifs des contrats de la commande publique et aux conditions d’application de la théorie de l’imprévision. 

Cet avis est à l’origine d’une demande émise par Bercy en juin dernier afin de savoir quelles marges de manœuvre l’administration et ses cocontractants disposent pour adapter leurs marchés publics ou leurs contrats de concession, en prenant en compte la conjoncture d’inflation.  

Il commence par énoncer le principe selon lequel ni le code de la commande publique, ni les directives européennes s’opposent à une modification des contrats portant sur la durée ou la seule cause financière.  

Puis, trois cas permettant un changement non prévu par les documents contractuels ont été envisagés.  

  • D’abord, la modification intervenue lors d’une « circonstance exceptionnelle » ne peut excéder 50% du contrat initial. Cependant, ce fondement n’est possible que si « l’augmentation des dépenses exposées par l’opérateur économique ou la diminution de ses recettes imputables à ces circonstances nouvelles ont dépassé les limites ayant pu raisonnablement être envisagées par les parties lors de la passation du contrat ». 
  • Aussi, les modifications doivent être directement assignables aux « circonstances exceptionnelles » et ne peuvent dépasser ce qui est nécessaire pour y répondre.  
  • Enfin, le Conseil d’Etat rappel le nécessaire attachement de l’autorité contractante aux principes généraux d’égalité devant les charges publiques, de bon usage du deniers publics et d’interdiction des libéralités. 

Finalement, deux grandes lignes de conduite ont été dégagées. La première est relative à l’équilibre économique du contrat qui ne doit pas être bousculé en faveur du titulaire. De plus, l’objet du marché ne doit pas « être changé considérablement ni le champ d’application du contrat de concession. »  

La seconde établit que la modification du contrat public n’est qu’une faculté, aussi bien pour le titulaire du contrat d’une part, que pour l’autorité publique d’autre part. Le Conseil d’Etat fini par ajouter qu’il n’y a « aucune obligation de conclure avec son cocontractant un nouveau contrat comportant notamment des prix plus élevés que le contrat initial » 

Cette faculté s’explique en raison du possible recours à la théorie de l’imprévision, prévoyant une éventuelle convention d’indemnisation afin de compenser les charges extracontractuelles subies par le titulaire ou le concessionnaire.  

 Néanmoins cela ne reste qu’une solution temporaire car si les éléments qui justifient son octroi perdurent, l’exécution du contrat se retrouve remise en question, de telle sorte que l’imprévision peut être qualifiée de cas de force majeur justifiant la résiliation de ce contrat. 

L’apport des premières assises du bâtiment et des travaux publics

Le 22 septembre dernier, les premières assises du bâtiment se sont tenues. A circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles. C’est le cas du seuil d’exemption d’appel d’offres des marchés de travaux, fixé à 100 000 euros lors de la crise sanitaire qui, en raison du contexte économique actuel est pérennisé. 

Bercy a par ailleurs prévu différentes mesures afin d’accompagner au mieux les acteurs du secteur. On y souligne l’importance accrue du rôle de médiateur d’entreprise afin de prévoir au mieux le prix des matières premières. Le délai inscrit dans le cahier des clauses administratives générales des marchés publics entre la notification d’un marché et l’ordre de démarrage des travaux est lui, ramené à quatre mois au lieu de six afin d’amortir le risque d’inflation des coûts.  

Sophia GOUMAUX 

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