Le 20 Septembre 2022, le juge des référés du Conseil d’Etat a rendu une décision très importante1 en matière de droit de l’environnement. En effet, cette décision a été l’occasion de consacrer une nouvelle liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 du Code de Justice Administrative : le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
Cette décision s’inscrit plus largement dans la logique jurisprudentielle suivie par le Conseil d’Etat depuis le début des années 2000, se montrant très protectrice des enjeux environnementaux. Le droit de l’environnement a d’ailleurs été largement façonné par le juge administratif suprême, qui a régulièrement contribué à préciser l’application des principaux textes en la matière.
En effet, un nombre croissant de litiges relatifs au droit de l’environnement sont portés devant le Conseil d’Etat. Il s’agit d’un contentieux en plein essor qui a vocation à s’étendre de plus en plus dans les années à venir. Le droit de l’environnement est un droit relativement récent et celui-ci s’enrichit au gré des nouvelles problématiques qui ne cessent de se multiplier concernant la protection et la gestion de l’environnement. En raison de la nature spécifique de ce droit, celui-ci s’applique tant aux particuliers qu’aux personnes publiques, et a donc le caractère de droit « mixte ». Cela explique donc l’importance du rôle du juge administratif qui intervient pour faire respecter le droit de l’environnement dans la sphère publique.
Or, le 20 septembre 2022, c’est un pas supplémentaire qui a été franchi par le Conseil d’Etat en la matière, en renforçant la protection du droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, droit justement consacré par la Charte de l’environnement.
Qu’est-ce que le « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » ?
Le « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » est un droit consacré à l’article 1er de la Charte de l’environnement, ce qui lui confère une valeur à la fois juridique et symbolique particulière.
Concernant la valeur juridique de ce droit, celui-ci a une valeur constitutionnelle, ce qui lui confère le rang le plus élevé dans la hiérarchie des normes en France. En effet, ce droit est consacré par la Charte de l’environnement qui est l’une des normes composant ce que l’on appelle le « bloc de constitutionnalité », et ce, depuis la révision constitutionnelle du 1er Mars 20052. Les normes figurant dans le bloc de constitutionnalité ont une valeur dite « suprême », ce qui signifie qu’elles s’imposent à toutes les autres normes (lois, décrets, règlements…). Cela confère donc une force juridique extrêmement importante à la Charte de l’environnement ainsi qu’à toutes ses dispositions. La valeur constitutionnelle de l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement a d’ailleurs été reconnue par le Conseil d’Etat en 2008, et celui-ci a alors estimé que ces droits et devoirs s’imposaient notamment à tous les pouvoirs publics3.
Mais au-delà du rang constitutionnel de la Charte de l’environnement, le « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » qu’elle consacre présente une valeur symbolique. D’une part, ce droit figure dans le tout premier article de la Charte de l’environnement, il s’agit donc d’un droit qui est symboliquement mis en avant, et semble donc revêtir une importance particulière en droit de l’environnement. D’autre part, la valeur symbolique de ce droit transparait dans la manière dont il est formulé, car celui-ci garantit une double protection : il semble à la fois consacrer une protection bénéficiant à toute personne, quelle qu’elle soit, consistant dans le fait de pouvoir vivre dans un environnement respectueux de la santé, mais également une protection de l’environnement lui-même, qui doit être maintenu « équilibré ». Il s’agit donc d’un droit consacré à la fois en faveur des personnes et en faveur de l’environnement.
Mais encore faut-il comprendre en quoi le fait d’ériger ce droit en liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 du Code de Justice Administrative est novateur.
Qu’entend-on par « liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 du Code de Justice Administrative » ?
Il existe, devant les juridictions administratives, des procédures d’urgence permettant le prononcé rapide de mesures visant à protéger les droits des administrés. Ces procédures entrent dans le cadre des référés, et il existe trois sortes de référés urgents ayant chacun leurs caractéristiques propres : le référé conservatoire, le référé suspension, et enfin le référé liberté qui est précisément celui qui va nous intéresser ici.
Le référé liberté a été créé par la loi du 30 juin 2000. Il s’agit d’une procédure d’urgence qui permet de mettre fin à une mesure administrative qui porterait une atteinte grave à l’exercice d’une liberté fondamentale. Cette procédure est aujourd’hui codifiée à l’article L521-2 du Code de Justice Administrative. Pour avoir recours à cette procédure, trois conditions doivent être réunies :
- Il faut tout d’abord démontrer l’urgence de la situation ;
- Il faut ensuite qu’une liberté fondamentale soit en jeu ;
- Il faut enfin qu’une atteinte grave et manifestement illégale soit portée à cette liberté fondamentale par l’administration dans l’exercice de ses pouvoirs.
Si ces conditions sont réunies, le juge des référés statue en 48 heures. Cependant, précisons que la condition relative à l’existence d’une liberté fondamentale est très particulière, car la notion même de « liberté fondamentale » est en réalité définie au fur et à mesure par la jurisprudence du Conseil d’Etat. Dès lors qu’un droit ou une liberté est érigé par le Conseil d’Etat en « liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 du Code de Justice Administrative », cela signifie simplement qu’il peut être invoqué à l’appui d’un référé liberté devant une juridiction administrative. Par conséquent, la liste de libertés fondamentales invocables est limitée.
Depuis la création du référé-liberté en 2000, la juridiction administrative suprême a consacré au total trente-neuf libertés fondamentales susceptibles de faire l’objet de cette procédure. La première liberté fondamentale jamais consacrée par le Conseil d’Etat au sens de l’article L521-2 du Code de Justice Administrative est la liberté d’aller et venir4. Aujourd’hui, la liste de ces libertés fondamentales comprend notamment la liberté d’expression5, le droit de grève6, ou encore plus récemment le droit à la protection des données personnelles7.
Le 20 septembre 2022, c’est donc la 39ème liberté fondamentale que le Conseil d’Etat a consacré avec le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
Qu’en est-il de la décision du 20 septembre 2022 intégrant le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé dans le champ du référé-liberté ?
Si l’on se penche plus précisément sur le contenu de la décision du Conseil d’Etat du 20 septembre 2022, il est possible de constater que celui-ci appréhende les conditions du référé liberté de manière très stricte.
En l’espèce, une délibération du conseil départemental du Var en date du 27 octobre 2016 était contestée dans le cadre d’un référé liberté devant le tribunal administratif de Toulon, en ce que cette délibération autorisait la réalisation de travaux pouvant porter atteinte à des espèces protégées. Le tribunal administratif a rejeté la demande des requérants qui ont alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat. Ce dernier a estimé qu’était bien en cause une liberté fondamentale, consistant dans le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, ce qui est donc l’apport majeur de sa décision.
En revanche, en l’espèce le Conseil d’Etat a estimé que les deux autres conditions nécessaires au référé liberté n’étaient pas remplies, rejetant par conséquent la demande des requérants. En effet, le Conseil d’Etat a estimé que la condition de l’urgence n’était pas remplie, et qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale n’était caractérisée.
Ainsi, malgré l’avancée majeure que constitue cette décision en reconnaissant le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé comme étant une liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 du Code de Justice Administrative, le Conseil d’Etat n’a cependant pas retenu d’atteinte à cette liberté fondamentale en l’espèce. Néanmoins, en créant une telle liberté fondamentale, il élargit les possibilités des particuliers à recourir au référé liberté face à l’Administration, et par là même, renforce la protection juridictionnelle du droit de l’environnement. Dans un avenir proche, il est donc tout à fait probable que les juridictions administratives fassent droit à des référés libertés visant à protéger le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
Eléa DECKER