Entre volonté de participation au processus décisif et légitimation des décisions : la démocratie participative est-elle la solution optimale ?  

« Les démocraties sont hypocrites ; elles ne peuvent pas ne pas l’être ».

Raymond Aron

C’est en ces termes que, de manière quelque peu provocatrice, Raymond Aron dans ses Dix-huit leçons sur la société industrielle (1962) soulignait les profondes contradictions sous-jacentes à la notion de démocratie. La démocratie est un régime politique dans lequel le pouvoir est détenu ou contrôlé par le peuple (principe de souveraineté), sans qu’il y ait de distinctions dues à la naissance, la richesse, la compétence…  

La notion de démocratie participative fait partie de ces notions floues, dont le succès réside précisément dans l’ambivalence. Devenue un mantra politique pour les uns, déconsidérée par les autres, elle reste largement indéterminée et peut renvoyer tout autant à de petits exercices classiques de communication politique qu’à des tentatives de redistribution réelle de pouvoir au profit des citoyens. Elle ne s’en diffuse pas moins largement depuis maintenant une vingtaine d’années dans les vocabulaires politiques français et européen.  

S’il faut en fournir une définition provisoire, la locution renvoie à l’ensemble des dispositifs, politiques, démarches qui visent à associer les citoyens au processus de décision politique. Cette participation peut être plus ou moins directe, plus ou moins inclusive, plus ou moins structurée, mais elle vise globalement à renforcer la légitimité et l’efficacité de l’action publique.  

Elle s’inscrit dans le cadre d’un débat sur l’évolution de la démocratie et dans le cadre d’une crise de la représentation. C’est l’idée que la participation des citoyens doit renforcer la légitimité des décisions prises par les élus.  

Le terme de démocratie participative apparaît pour la première fois en 1962 aux États-Unis, dans le cadre des mouvements étudiants de lutte pour les droits civiques (« Déclaration de Port Huron »). Il donne lieu à plusieurs efforts de théorisation dans le monde anglo-saxon au cours de cette même décennie (1960). En revanche, ce terme n’est pas utilisé en Europe avant la fin des années 1990. Il faudra attendre la fin des années 1970 pour que cette thématique apparaisse dans le programme de certaines organisations internationales comme la Banque mondiale. 

Se pose alors la question de savoir si l’essor de la démocratie participative est optimale au regard de la volonté actuelle des citoyens de participer à la prise de décision. La démocratie participative est un mode d’exercice répondant aux besoins actuels de participation citoyenne qui connaît des limites.  

  • Le retour en grâce de la participation citoyenne au gré de l’évolution des mœurs sociétales 

L’essoufflement des démocraties représentatives et le mouvement de dé-construction des systèmes de démocratie actuelle (qui s’accélèrent de nos jours), ont impulsé l’idée de participation citoyenne à la décision.  

Plusieurs éléments ont contribué à renforcer la méfiance envers les gouvernants. Ceux-ci sont contraints désormais de recourir à d’autres modalités de prise de décision afin d’éviter, de contourner ou de canaliser les conflits avec leur population. 

En parallèle, l’élévation du niveau général d’éducation, l’affaiblissement des corps intermédiaires (groupes sociaux entre l’individu et l’État) et la montée en puissance des réseaux sociaux ont changé le contexte de la décision politique et obligent à penser différemment l’action publique.  

A titre d’exemple, à l’échelle locale, de nombreux projets d’aménagement rencontrent désormais l’opposition de riverains qui ne souhaitent pas être impacté négativement par des choix auxquels ils n’ont pas été associés.  

De plus, à l’échelle nationale, des mouvements sociaux récents ont soulevé la question du fonctionnement des institutions de la démocratie représentative à l’image des Gilets jaunes ou des mobilisations en faveur du climat.  

La participation des citoyens aux décisions nationales peut concrètement s’illustrer au travers du veto populaire pour lequel le peuple dispose du droit et des moyens de s’opposer à la mise en vigueur d’une loi votée par le parlement.  

De plus, les citoyens disposent d’un autre moyen qui est l’initiative populaire. En effet, ils ont la possibilité d’obliger le parlement à légiférer dans un domaine déterminé, la procédure s’enclenche aussi grâce à une pétition d’un certain nombre de citoyens.  

  • La remise en cause de l’efficacité de la démocratie participative concernant la légitimité des décisions prises  

Depuis quelques années, nous observons un désintérêt des citoyens au niveau national et des administrés au niveau local, pour la vie politique et la vie institutionnelle. Les chiffres des élections législatives en témoignent ; on compte 52,49% d’abstention aux dernières élections contre 35,6% en 2002 et 22,8% en 1958.  

Face à ce désintérêt grandissant des Français pour la vie publique, il est légitime de se demander l’utilité voire l’intérêt de tels mécanismes qui les sollicitent davantage et qui les mènent à prendre réellement part à la prise de décision. Il est possible de douter du fait que des citoyens qui ne se déplacent plus aux urnes participent naturellement à la prise de décisions, souvent initiée par des représentants qu’ils n’ont pas élus et qui ne leur permettent pas de se sentir représentés.  

Cet argument peut cependant être nuancé, puisque ces opportunités de participation à la prise de décision peuvent également être un moyen pour ces citoyens d’exprimer leurs désaccords et leurs envies. Cependant, dans les faits, nous observons que les personnes qui répondent présentes suite à ces sollicitations, sont généralement les personnes déjà engagées et intéressées par ces questions politiques.  

Certains spécialistes pointent du doigt le fait que ces procédés de démocratie participative sont souvent instrumentalisés. En effet, ces différents mécanismes peuvent être utilisés par les politiques pour faire accepter, pour légitimer une décision qu’ils ont finalement déjà prise. Présenter cette nouvelle politique publique sous la forme d’une décision prise en concertation avec les citoyens la rend effectivement beaucoup plus acceptable.  

Pour finir, ces mécanismes de démocratie participative peuvent parfois mener à une confusion, aussi bien du côté de l’électeur que du côté de l’élu, entre approbation/désapprobation de la réforme proposée et (approbation/désapprobation) de la personne, ou groupe politique qui propose cette réforme.  

En effet, la multiplication de ces mécanismes permet un accroissement des occasions pour les citoyens d’exprimer leur mécontentement envers les personnalités politiques. Certaines personnes peuvent être tentées de s’exprimer de manière très négative systématiquement sur des projets qu’elles valideraient potentiellement s’ils provenaient d’un groupe politique différent.  

D’ailleurs, même les politiques ont tendance à concevoir ces processus de démocratie participative comme des “validations de leur personne”. On peut notamment citer De Gaulle, qui a décidé de quitter ses fonctions suite à un référendum sur un projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat qui n’a pas reçu un accueil positif de la part des Français. 

  • La démocratie participative est soumise à la discrétion d’une volonté politique 

Il existe également des procédés participatifs, notamment au niveau local. Ils prennent des formes multiples : conseils de quartier, conseils des enfants, conseils des sages. Ils permettent aux citoyens de rester présents auprès des élus locaux.  

En revanche, la possibilité laissée aux administrés de prendre des décisions directement paraît très limitée. En effet, la loi du 16 janvier 2015 supprime la condition d’obtenir l’accord des électeurs lorsqu’on regroupe des régions ou des départements. La consultation n’est pas nécessaire sauf s’il s’agit de changer les limites territoriales.  

De plus, le référendum qui est également un dispositif de démocratie participative, n’est que peu utilisé. Depuis la Ve République, seulement 9 référendums ont été organisés. Une autre limite quant au référendum local est qu’il faut qu’au minimum la moitié des électeurs doit avoir pris part au scrutin. 

Concernant la fusion de communes, la consultation des électeurs n’est pas obligatoire et varie en fonction de l’origine de la demande. Une demande de fusion peut émaner des conseils municipaux mais la création peut également provenir d’une demande de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, du préfet et de deux tiers des conseils municipaux représentant les deux tiers de la population. 

Il semble donc difficile d’associer les administrés à la prise de décisions très techniques. En effet, il existe un sentiment d’illégitimité à participer aux décisions dans le sens où certaines personnes ne se sentent pas concernées puisque tout n’est pas toujours clair et limpide. Tout le monde ne peut pas comprendre et arbitrer de manière satisfaisante. 

Enfin, si l’avis du peuple était sollicité avant chaque adoption de texte important, le processus décisionnel serait alors fort ralenti

Lucile GODARD

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