Le Conseil d’État, dans un arrêt rendu le 17 octobre 2022 (n°460113), met en lumière l’impossibilité pour un contribuable de déduire de ses revenus fonciers le prix des travaux réalisés sur un immeuble acquis dans le cadre d’un contrat de vente d’immeuble à rénover.
En l’espèce, des contribuables ont acquis un immeuble dans le cadre d’un contrat d’immeuble à rénover conclu le 28 novembre 2014. Au titre de leurs déclarations d’impôt sur le revenu des années 2014 et 2015, ils ont déduit le prix des travaux réalisés sur cet immeuble de leurs revenus fonciers.
L’Administration fiscale a remis en cause cette déduction et a procédé à un rehaussement d’impôt sur le revenu et de contributions sociales.
Les contribuables ont contesté le rehaussement devant le tribunal administratif, puis devant la cour administrative d’appel. Tous deux ayant rejeté leur demande, les contribuables ont formé un pourvoi en cassation, demandant l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 4 novembre 2021 n°19BX03720.
Le Conseil d’État relève que « dans le cadre d’un contrat de vente d’immeuble à rénover régi par les articles L. 262-1 à L. 262-11 du code de la construction et de l’habitation, le prix des travaux devant être réalisés par le vendeur est un élément du prix d’acquisition de l’immeuble. Dès lors, le coût de ces travaux, qui ne sont pas des charges de propriété, ne peut, pour la détermination du revenu net défini à l’article 28 du code général des impôts, être déduit, sur le fondement de l’article 31 du même code, des revenus fonciers provenant de la location du bien ainsi acquis ». Le Conseil d’État rejette donc le pourvoi au motif que celui-ci n’est pas fondé.
Le Conseil d’État a rendu sa décision au visa des articles 13, 28 et 31 du Code général des impôts relatifs aux revenus fonciers et au visa des articles L. 262-1, R. 262-9, L. 262-4 et L. 262-2 du Code de la construction et de l’habitation relatifs à la vente d’immeuble à rénover.
Le régime juridique de la vente d’immeuble à rénover
Institué par l’article 80 de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, le régime de la vente d’immeuble à rénover est régi par le Code de la construction et de l’habitation. En effet, la mise en place du régime de la vente d’immeuble à rénover vise à obvier l’inadaptation du régime de droit commun de la vente d’immeuble et du régime de la vente en l’état futur d’achèvement s’agissant des opérations de vente d’immeuble à rénover. Auparavant, il était nécessaire de conclure à la fois un contrat de vente de l’immeuble et un contrat portant sur les travaux.
Depuis 2006, le régime de la vente d’immeuble à rénover prévoit la conclusion d’un contrat unique, dès lors qu’à la suite d’une vente d’immeuble bâti, à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation, le vendeur s’engage à réaliser des travaux en contrepartie du versement de sommes d’argent de l’acquéreur avant la livraison desdits travaux. Les termes du contrat doivent stipuler le prix de l’immeuble et distinguer celui des travaux devant être réalisés par le vendeur (Code de la construction et de l’habitation, art. L. 262-4 et R. 262-9). Toutefois, sur le plan fiscal, l’article 150 VB du Code général des impôts dispose que « le prix d’acquisition est le prix effectivement acquitté par le cédant, tel qu’il est stipulé dans l’acte, étant précisé que ce prix s’entend de l’existant et des travaux dans le cas d’une acquisition réalisée selon le régime juridique de la vente d’immeuble à rénover ».
La propriété du sol et des constructions existantes relatives à l’immeuble est immédiatement transférée à l’acquéreur, puis celle des ouvrages l’est au fur et à mesure de leur exécution. L’acquéreur est toutefois tenu d’en payer le prix à mesure de l’avancement des travaux.
Notons que ce régime ne s’applique pas aux travaux d’agrandissement ou de restructuration complète de l’immeuble, assimilables à une reconstruction.
Le législateur est par ailleurs resté silencieux quant aux conséquences fiscales de ce régime, laissant le champ libre à la doctrine administrative et à la jurisprudence. D’une part, l’Administration fiscale considère que ces dépenses constituent un élément du prix d’acquisition de l’immeuble qui ne saurait être considérés comme une charge déductible des revenus fonciers imposables à l’impôt sur le revenu (BOI-RFPI-BASE-20-30-30 n° 25, 28 déc. 2015). D’autre part, les juges du fond se sont, quant à eux, divisés sur cette question. Le Conseil d’État a alors mis un terme aux controverses et s’est prononcé pour la première fois sur ce sujet.
Le régime fiscal des revenus fonciers
Les dispositions relatives aux revenus fonciers sont insérées dans le Code général des impôts. Les revenus fonciers sont des revenus tirés de la location nue, c’est-à-dire des biens immobiliers loués non meublés. Les immeubles loués nus peuvent avoir un usage d’habitation ou un usage professionnel et d’habitation. Un contribuable ayant acheté un immeuble dans le cadre d’un contrat de vente d’immeuble à rénover pourra percevoir des revenus fonciers sur les revenus issus de la location de ce bien, sous réserve qu’il soit loué nu.
Ensemble, les articles 28 et 31 du Code général des impôts déterminent la déductibilité des charges relatives aux revenus fonciers. L’article 28 du Code général des impôts dispose que « le revenu net foncier est égal à la différence entre le montant du revenu brut et le total des charges de la propriété. » L’article 31 du Code général des impôts définit les charges admises en déduction. Celui-ci dispose « Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent : 1° Pour les propriétés urbaines : a) Les dépenses de réparation et d’entretien effectivement supportées par le propriétaire ; (…) ; b) Les dépenses d’amélioration afférentes aux locaux d’habitation, à l’exclusion des frais correspondant à des travaux de construction, de reconstruction ou d’agrandissement, (…) ».
Les charges sont déductibles des revenus fonciers à la condition d’avoir été effectivement supportées par le propriétaire. Or, en l’espèce, les dépenses de travaux étaient supportées par le vendeur.
Les contribuables n’étaient pas fondés à déduire le prix des travaux de leurs revenus fonciers car même s’ils étaient les propriétaires de l’immeuble en vertu de l’article L. 262-1 du Code de la construction et de l’habitation, c’est le vendeur qui supporte effectivement le prix des travaux dans le cadre d’un contrat de vente d’immeuble à rénover.
C’est pourquoi, le Conseil d’État confirme les énonciations de la cour administrative d’appel de Bordeaux qui a relevé que les travaux effectués sur l’immeuble « avaient été menés dans le cadre d’un contrat de vente d’un immeuble à rénover, souscrit le 28 novembre 2014, dont le prix d’acquisition, comprenant celui des travaux, constituait une dépense en capital qui ne pouvait être considérée comme une charge déductible des revenus fonciers des acquéreurs».
Bon à savoir : Un contribuable peut user de la procédure de rescrit général. Il s’agit d’une garantie contre les changements de position de l'Administration fiscale. En vertu des articles L. 80 A et L. 80 B du Livre des procédures fiscales, un contribuable peut demander à l’Administration fiscale de prendre formellement position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal. La réponse de l’Administration fiscale lui est opposable. En l’espèce, devant la cour administrative d’appel de Bordeaux, les requérants se sont prévalus de la réponse écrite du 25 mars 2013 de l’Administration fiscale relative à leur question sur la déductibilité du prix des travaux dans le cadre d'une vente d'immeuble à rénover. Le Conseil d'État a écarté ce moyen au motif que l’Administration fiscale « n'a pas été interrogée spécifiquement sur la vente d'immeuble à rénover conclue le 28 novembre 2014 » et donc qu’elle n’avait pas pris formellement position sur la situation personnelle des contribuables. Les commentaires de la doctrine administrative disponibles sur le Bulletin Officiel des Finances Publiques donnent des éclaircissements sur la solution rendue par le Conseil d’État.
Pour aller plus loin : https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/631-PGP.html/identifiant%3DBOI-SJ-RES-10-20-10-20200304
Agnès MAGON et Maxime ROGER