La fiscalité des transactions intra-groupes : les prix de transfert

Selon l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), les prix de transfert sont « les prix auxquels une entreprise d’un même groupe transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées ».

Il est possible de définir les prix de transfert autrement, ils sont aussi qualifiés de « principe de pleine concurrence » en ce sens qu’ils sont une pratique, un dispositif fiscal visant à lutter contre les abus liés aux règlements de montants entre personnes morales d’un même groupe établies dans deux États distincts, dont un bénéficie d’une fiscalité privilégiée.

Comment fonctionne le principe des prix de transferts?

Le schéma est souvent le suivant : le montant en question est réglé par la société mère établie en France où elle est imposée normalement, à ses filiales qui sont établies dans d’autres États. Évidemment pour que le dispositif ait du sens et qu’il trouve à s’appliquer, il faut que l’État en question bénéficie d’une fiscalité privilégiée.
Cette notion est évoquée à l’alinéa 2 de l’article 238A du Code général des impôts (CGI) « (…) les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l’Etat ou le territoire considéré si elles n’y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de 40 % ou plus à celui de l’impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies. »

Comment se manifeste la fraude découlant de la pratique des prix de transfert?

L’abus découle du fait que les sociétés d’un même groupe peuvent manipuler les prix de transfert entre elles dans le but de dégager des avantages fiscaux. La manipulation peut se faire par une augmentation ou une diminution des prix d’achat ou de vente de marchandises et/ou de services ou encore par la déduction de certaines charges dues ou payées par la société située en France qui ne correspondraient pas forcément à la réalité, que ce soit dans la réalisation ou dans le montant. Sur ce dernier point, plusieurs charges sont visées par l’article 238A CGI dans son alinéa premier. Sont notamment cités les intérêts, les créances, les licences d’exploitation, etc.

Ce montage a pour conséquence de faire naitre plus de bénéfices imposables chez la société qui est soumise à une fiscalité privilégiée et/ou plus de charges déductibles chez la société soumise à la fiscalité française. La finalité étant de payer un impôt moindre.

La pratique des prix de transfert est-elle abusive ?

L’optimisation des prix de transfert n’est pas condamnable tant qu’elle ne tombe pas dans l’abus, par conséquent, un travail de recherche doit être fait par les entreprises afin de trouver la bonne méthode des prix de transfert et l’appliquer transaction par transaction car chaque catégorie est unique.

Le point le plus délicat concerne les opérations financières intra-groupe : quand une société mère se porte caution, octroi des prêts, effectue des avances à l’une de ses filiales ou encore abandonne une créance au profit de sa filiale, il est possible de se questionner sur la « légalité » de ces opérations.
On peut se poser plusieurs questions, notamment est-ce qu’elles sont réalisées à titre gratuit? Est-ce qu’il existe une contrepartie? S’il en existe une, est-elle suffisante? Est-ce que le montant de l’aide est normal ou dérisoire? Est-ce que le montant serait le même si l’opération était effectuée extra-groupe?
Toutes ces questions sont importantes afin de contrôler un éventuel abus et une manipulation des prix de transfert qui serait effectuée dans le but de diminuer le bénéfice imposable de la société située en France.

Quelles solutions se présentent afin de lutter contre la manipulation des prix de transfert?

Il existe plusieurs sortes de méthodes visant à encadrer la pratique des prix de transfert, certaines sont proposées par l’OCDE et visent à sécuriser les prix de transfert, d’autres visent plutôt à renforcer l’efficacité du contrôle fiscal, tandis que certaines sont plus répressives et ont pour objet de qualifier l’opération de transfert indirect de bénéfice.

Les méthodes sécurisant le prix de transfert :
La méthode du prix de pleine concurrence : il s’agit d’appliquer le prix du marché à la transaction en question, c’est-à-dire le prix qu’auraient pratiqué deux entreprises si elles étaient indépendantes l’une de l’autre. Elle est pratiquée pour les transactions courantes, mais moins pour les opérations spécifiques dont on ne peut trouver des références sur le marché.

La méthode du prix de revente minoré : le but est d’obtenir le prix normal d’achat d’un bien que l’entreprise liée aurait payé si elle était indépendante. Lorsque l’entreprise liée revendra le bien à une entreprise indépendante, le prix de la revente sera diminué d’une « marge bénéficiaire normale ». Cette méthode s’utilise généralement pour des produits finis et dont la marge bénéficiaire normale est trouvable sur le marché.

La méthode du prix de revient majoré : le point de départ est le prix de revient d’une marchandise, auquel on va ajouter une marge bénéficiaire normale afin de déterminer le prix auquel le bien serait vendu entre deux entreprises indépendantes, donc le prix normal que devrait payer une entreprise liée.

La méthode du partage des bénéfices : le but ici est d’identifier le bénéfice global d’un groupe et de le répartir entre les différentes entités du groupe en fonction de leur implication dans la réalisation de ce dernier. Cette méthode est applicable si les trois autres ne peuvent trouver à s’appliquer mais en pratique elle est peu populaire.

Les méthodes renforçant l’efficacité du contrôle fiscal :
La demande de renseignement, conformément à l’article L.13 B du Livre des procédures fiscales (LFP) si l’Administration fiscale considère qu’une entreprise se livre à des transferts indirects de bénéfices, elle peut demander des informations sur les relations entre les entreprises présumées coupables. Sans réponse, l’administration se fonde sur les éléments qu’elle a à sa disposition. Une amende par exercice contrôlé est possible.

L’obligation de documentation générale, conformément à l’article L.13 AA LPF, les groupes de sociétés et entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 400 millions d’euros doivent tenir à la disposition de l’administration, une documentation des prix de transfert qu’elles pratiquent dans les transactions réalisées avec leurs entreprises liées. Deux fichiers peuvent être demandés, un fichier principal retraçant l’activité mondiale des sociétés et un fichier local détaillant l’activité des sociétés liées établies en France. Une déclaration annuelle est également requise sur la base des mêmes données, concernant les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions d’euros. Le non respect de la déclaration est sanctionné (article 1729 CGI).

L’obligation de documentation pays par pays : les groupes dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros doivent effectuer une déclaration pays par pays comportant la répartition de leur bénéfice dans chaque pays et quelques informations comptables, économiques et fiscales ainsi que les activités auxquelles les filiales se livrent. Cette documentation doit être faite chaque année suivant la déclaration de l’impôt sur les sociétés. Le non respect est sanctionné par une amende à hauteur de 100 000 euros.

La présomption de transfert indirect de bénéfices :
Cette méthode plus répressive est fondée par l’article 57 du CGI qui autorise l’Administration fiscale à sanctionner le transfert indirect de bénéfices, si les prix ne sont pas justes, en rectifiant les résultats déclarés : il y aura soit une augmentation du bénéfice (= réintégration du manque à gagner), soit une diminution des charges déductibles (= refus de déduction). Cette présomption repose sur deux éléments de preuve : il faut prouver dans un premier lieu que les sociétés ont un lien de dépendance, soit juridique, soit direct, soit indirect, et prouver dans un second lieu que la transaction (= l’opération de prix de transfert) constitue un acte anormal de gestion, autrement dit, prouver que le prix n’est pas juste.

L’entreprise en retour a la possibilité de se défendre en prouvant que les transactions sont des actes de gestion normaux, par exemple concernant les charges déductibles, l’article 238 A du CGI énonce que « ne sont admis comme charges déductibles pour l’établissement de l’impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu’elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. ». Cette preuve peut passer par la délivrance de documents retraçant les transactions effectuées entre sociétés du même groupe, sans que l’Administration fiscale ne l’exige, contrairement aux méthodes évoquées précédemment.

Quelle est la sanction en cas de preuve contraire insuffisante? L’Administration fiscale aura l’avant dernier mot (car l’entreprise aura encore une chance d’échapper à la lourde sentence) et pourra réintégrer les sommes présumées transférées dans le bénéfice imposable de la société établie en France (sur la base de l’article 57 CGI) et une retenue à la source à hauteur de 25% pourra être appliquée en cas de revenus distribués à une société étrangère, par une société française (sur la base du 2. de l’article 119 bis CGI).

La société située en France dispose d’une dernière chance pour éviter la double imposition, cette chance est octroyée par l’article L. 62 A LPF qui exempte la société de la retenue à la source si deux conditions cumulatives sont réunies :
La société doit accepter les rectifications, pénalités et conséquences en découlant (supporter la charge de la preuve et renoncer à la saisine d’un organisme de médiation);
Les sommes qualifiées de revenus distribués doivent être reversées par l’entreprise étrangère.
Une troisième condition peut être ajoutée car elle concerne l’État dans lequel est établie la société étrangère, en effet cette dernière ne doit pas être établie dans un État ou territoire non coopératif. Si tel est le cas, le dispositif de l’article L. 62 A LPF ne pourra pas s’appliquer.

En conclusion, la pratique des prix de transfert, aussi utile qu’elle puisse être, n’est pas sans danger et peut être lourde de conséquences pour les entreprises l’utilisant de manière abusive. Le meilleur conseil à donner aux entreprises agissant en groupe et étant situées dans des États à fiscalité privilégiée est de s’entourer d’experts comptables qui seront vigilants à toute transaction présentant des risques afin qu’elles n’aient pas à affronter l’Administration fiscale.

Rahma BEKKACH

1 réaction sur “ La fiscalité des transactions intra-groupes : les prix de transfert ”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *