Cass. Civ. 1er, 18 janvier 2023, 19-24.671 : Impossibilité de paralysie du fonctionnement d’une société et de sa dissolution en cas de mésentente entre associés

L’article 1844-7 du code civil dispose que « La société prend fin : […] 5° Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ».

Dans le présent arrêt, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 18 janvier 2023, il s’agissait justement de statuer quant à la dissolution d’une société pour paralysie de son fonctionnement.

Quelles sont les causes de dissolution d’une société ?

  • Expiration du temps pour lequel elle a été constituée (article 1844-7 1°)
  • Réalisation ou extinction de son objet (article 1844-7 2°)
  • Nullité de la société (article 1844-7 3°)
  • Dissolution anticipée sur décision des associés (article 1844-7 4°)
  • Dissolution judiciaire à la demande de tout intéressé en cas de réunion de toutes les parts sociales en une seule main sans régularisation dans un délai d’un an (article 1844-7 6°)
  • Liquidation judiciaire (article 1844-7 7°)
  • Toute cause prévue par les associés (article 1844-7 8°)
  • Dissolution judiciaire à la demande d’un associé pour justes motifs (article 1844-7 5°)

Comment se caractérise la dissolution judiciaire à la demande d’un associé pour justes motifs ?

Cette disposition permet de ne pas contraindre des associés à rester dans une société dans laquelle ils ne s’entendent plus. A cet égard, la jurisprudence privilégie généralement le maintien de la société lorsque les circonstances de fait le permettent, bien que la Cour laisse à l’appréciation des juges du fond la dissolution judiciaire de la société[1].

  • Ce droit à agir de l’associé est d’ordre public
  • Cependant, l’associé qui exerce ce droit ne doit pas être à l’origine de la mésentente
  • S’il n’est pas possible d’imputer la mésentente à un associé déterminé, alors la dissolution anticipée peut être prononcée à la demande de tout associé[2]
  • La paralysie de la société ne peut se déduire des mêmes éléments ayant caractérisé la mésentente des associés[3]
  • Il doit donc y avoir constatation de l’existence d’une paralysie en tant que telle du fonctionnement de la société[4] ; autrement dit, la mésentente des associés ne saurait être à elle seule une cause de dissolution anticipée[5]
  • L’existence d’un droit de retrait pour les associés n’exclut pas que ceux-ci puissent demander la dissolution de la société pour mésentente[6]

Il en ressort que la mésentente des associés permet à l’un d’eux de demander la dissolution judiciaire de la société, pourvu que cette mésentente n’émane pas dudit associé. La paralysie s’entend davantage d’un point de vue organique, c’est-à-dire que les organes de la société doivent, du fait de la mésentente, être paralysé dans leur fonctionnement.

Qu’en est-il de l’espèce ?

Dans cet arrêt est présenté le cas d’une société dont les parts sont réparties en trois : 50% pour l’associé-gérant, 25% pour chacun des deux autres. Les statuts prévoient la prépondérance de la voix du gérant en cas de partage des voix en assemblée générale. Les deux associés minoritaires, invoquant la mésentente entre les associés paralysant le fonctionnement de la société, demandent la dissolution judiciaire de la société sur le fondement de l’article 1844-7 5° du code civil. La cour d’appel de renvoi[7] ayant rejeté cette demande, ils se pourvoient en cassation. Ils motivent leur pourvoi en trois points notamment :

  • L’absence de blocage ne serait qu’apparente : seule la considération de l’organisation statutaire prévoyant la prépondérance de la voix du gérant permet d’écarter la paralysie de la société
  • Le refus de faire droit à la demande de dissolution d’un associé ne peut résulter de la considération qu’il pourrait exercer son droit de retrait prévu par les statuts
  • L’existence d’une situation irrémédiablement compromise n’est pas une condition à l’application de l’article 1844-7 5°

La Cour rejette ce pourvoi en ce que malgré la répartition égalitaire des titres entre les associés :

  • Les dispositions statutaires permettaient d’adopter les résolutions nécessaires au bon fonctionnement de la société et de prévenir tout blocage en cas de désaccord
  • Ces mêmes dispositions permettaient aux associés de se retirer totalement ou partiellement de la société
  • L’activité de la société se poursuivait en dépit de la mésentente entre les associés, société qui pouvait continuer de fonctionner après un retrait des associés

Qu’en retenir ?

A travers cette solution, la Cour de cassation retient une interprétation factuelle de la paralysie. Pour que cette dernière soit caractérisée et entraîne la dissolution de la société, encore faut-il que le fonctionnement de ses organes ne soit plus permis du fait de la mésentente entre les associés. Quoique seules les dispositions statutaires permettent à l’un des associés d’assurer le bon fonctionnement des organes sociaux de la société en dépit des désaccords l’opposant au reste des associés, la paralysie de la société n’est pas caractérisée. En effet, dans d’autres cas de répartition égalitaire des titres entre les associés, faute de disposition statutaires semblable, la paralysie fût caractérisée[8].

En outre, si la Cour confirme sa jurisprudence antérieure en ce que l’existence d’un droit de retrait n’exclut pas que l’un des associés qui en bénéficie demande la dissolution judiciaire anticipée de la société en cas de mésentente, elle précise désormais que les juges du fond disposent de la faculté d’apprécier la nécessité d’une dissolution anticipée par le prisme de ce droit de retrait. Autrement dit, le droit de retrait des associés demandeurs de la dissolution peut être pris en compte par les juges du fond pour rejeter la demande de dissolution, ce dans l’optique constante de la jurisprudence qu’est le maintien de la société.

Si cette ambition jurisprudentielle est louable en termes d’économie et de stabilité sociétaire, il n’en reste pas moins qu’elle oblige les associés en désaccord à trouver d’autres solutions que la dissolution anticipée de la société. Ainsi l’associé subissant une mésentente dont l’un des autres associés est à l’origine se voit contraint de quitter la société par le biais de son droit de retrait, alors même que sa volonté de prendre part à la société est intacte. Aussi, une solution intermédiaire est-elle en cas de paralysie la désignation d’un administrateur provisoire.

Elliot MAZERES


[1] Cas de dissolution exceptionnellement sévère – Cass. Civ. 1er, 18 mai 1994, 93-15771 : Bull. Joly 1994, p. 841, note Prieto

[2] Cass. Com., 13 février 1996, 93-16238

[3] Cass. Civ. 3e, 27 avril 2011, 09-67.153

[4] Cass. Com., 24 juin 2014, 13-20044

[5] Cass. Com., 21 octobre 1997, 95-21.156

[6] Cass. Civ. 1er, 18 juillet 1995, 95-11.410

[7] Cour d’appel de Montpellier, 26 septembre 2019, n°18/03434

[8] Cour d’appel de Versailles, 30 septembre 1999, n°3108/98

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