La criminalité visant les biens culturels

Selon la Commission européenne, le trafic de biens culturels correspond à « l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites de biens culturels, c’est-à-dire d’objets présentant un intérêt archéologique, historique, préhistorique, littéraire, artistique ou scientifique ». Ce trafic peut prendre différentes formes : vols dans des institutions du patrimoine culturel ou dans des collections privées, pillage de sites archéologiques, déplacement d’objets d’art en temps de guerre. Il peut mener à l’altération voire à la destruction d’objets culturels, de sites culturels et archéologiques. La criminalité visant les biens culturels est souvent liée au crime organisé, au blanchiment d’argent ou au terrorisme. C’est un phénomène transnational qui nécessite une mobilisation internationale.

Les différends relatifs aux biens culturels sont apparus dès l’époque romaine. Hugo Grotius, dans son œuvre Le droit de la guerre et de la paix (p.327), qualifie la destruction inutile d’objets tels que les portiques, temples, statues et tout autre monument et œuvre d’art, même en temps de guerre, de « rage brutale » et de « folie destructrice ». En effet, l’instabilité politique et les conflits armés créent un environnement favorable à la contrebande massive et à la destruction du patrimoine culturel des États concernés. L’Assemblée Parlementaire de la Méditerranée explique le 23 février 2017, à Porto, que « La culture se trouve au premier rang de la guerre alors qu’elle devrait être au premier rang de la paix ». En effet tous les pays n’ont pas le même attachement au patrimoine culturel et n’ont pas tous ratifié les textes qui protègent les biens culturels en temps de guerre, ce qui fait parfois du patrimoine une cible des puissances occupantes.

Les principaux acteurs en matière de protection des biens culturels sont l’UNESCO, l’Union européenne, le Conseil de l’Europe, et l’ONU. Cette imbrication d’institutions appelle à la coopération des États qui participent à l’élaboration et veillent à l’application des normes juridiques sur leur territoire.

Malgré une mobilisation internationale et une spécialisation normative, il n’existe toujours pas d’unité de police spécialisée en la matière alors que des propositions ont été soumises à plusieurs reprises par l’ONU (Conseil de sécurité résolution 2347/2017), Assemblée générale (résolution 73/130/2018), Conférence des Parties à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée de 2020). Dès lors, l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) demeure la plus grande organisation de police au monde en matière de protection des biens culturels, sa plus grande contribution est la base de données mondiale sur les œuvres d’art volées, accessible pour tous via l’application ID-Art.

• Les rouages de la criminalité visant le patrimoine culturel en Europe

Avec l’essor de la mondialisation, permettant le développement de nouveaux moyens de transport et de communication, les volumes et les valeurs des transactions ont augmenté. Le trafic provient soit d’un vol, d’une fouille illégale ou de la production d’un faux. En général, les criminels ont recours à des faux documents de provenance et à des fausses autorisations d’exportation ou des déclarations de douane falsifiées.

Selon une évaluation d’INTERPOL sur la criminalité des biens culturels en 2020, en Europe, 27 710 biens culturels ont été volés, pour un total de 6 251 infractions et seulement 342 arrestations. La majorité des biens dérobés sont des biens numismatiques (9 675), archéologiques (4 013) et des ouvrages précieux (3 591). Le trafic de peintures représente 7% du nombre total d’objets volés, les pièces d’artisanat d’art 5%, et les sculptures 4%. La même année, plus de 80 000 fouilles ont été effectuées illégalement afin de dérober des biens numismatiques et archéologiques.

Majoritairement, les infractions sont commises au domicile des particuliers (22%), sur les sites archéologiques (16%), dans les édifices religieux (12%), dans les boutiques d’antiquité (12%) et dans les galeries d’art (9%). Le trafic de biens culturels ne connaît aucun limite puisque certains acteurs vont jusqu’à piller des cimetières (7%).

Les acteurs du trafic de biens culturels sont les voleurs, les fouilleurs et les groupes criminels organisés, qui travaillent souvent à l’échelon national ou au sein d’un réseau organisé. Ensuite, au milieu de la chaîne, avec un rayonnement d’action régional ou international, le trafic se poursuit aux mains d’intermédiaires (souvent des transporteurs). Enfin, les œuvres et objets dérobés sont mis aux mains de marchands d’art, de salles de ventes, de collectionneurs et de musées par le receleur, au cours de ventes privées et publiques. La plupart des objets culturels volés sur les autres continents entrent en Europe, faisant de notre territoire un lieu de transit ou un lieu de destination pour la revente de ces objets. La majorité des biens dérobés en Europe restent sur le continent et sont expédiés à l’est du territoire ou transitent entre les pays de l’Ouest.

• La protection juridique des biens culturels en droit international

En 1919, le Traité de Versailles et le Traité de Saint-Germain-en-Laye instaurent, pour la première fois, des mesures concernant la réparation des pertes en objets d’art et donnent lieu à des demandes de restitution d’œuvres d’art, d’archives et de souvenirs historiques. Puis, en 1935, la première Convention internationale consacrée à la protection des biens culturels en temps de guerre comme en temps de paix voit le jour au États-Unis, sous le nom de Pacte de Washington.

La Convention de La Haye de 1954 est le premier instrument international sur la protection du patrimoine culturel qui est ouvert à la ratification de tous les États. Ce texte encadre les premières dispositions relatives à la protection de biens culturels en cas de conflits armés et devient le plus complet en la matière. Son préambule dispose que « Les atteintes portées aux biens culturels, à quelque peuple qu’ils appartiennent, constituent des atteintes au patrimoine culturel de l’humanité entière, étant donné que chaque peuple apporte sa contribution à la culture mondiale ». Elle a été complétée par deux protocoles en 1999.

Ce texte impose l’obligation aux États parties de respecter les biens culturels situés sur leur territoire ou sur celui des Hautes Parties contractantes et de ne pas les exposer à une destruction ou à une détérioration en cas de conflit armé. Si un pays en occupe un autre, il a l’obligation de concourir à la sauvegarde et à la conservation des biens culturels. En outre, les États doivent adopter des mesures préventives et des mesures spéciales pour les biens culturels de très haute importance, ainsi que fournir des lieux de refuge, créer des unités spéciales militaires pour les biens culturels, établir des sanctions en violation de ce texte et promouvoir son application. Ces dispositions ont permis, sous l’injonction d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies (le 2 mars 1991), d’assurer la restitution d’objets culturels dérobés par l’Iraq au Koweït pendant la guerre du Golfe.

La Russie et l’Ukraine ont adhéré à ce texte et pourtant, depuis l’émergence des conflits armés, le trafic de biens culturels ukrainiens s’est renforcé et une liste rouge d’urgence de biens culturels en péril a été créée par le Conseil international des musées (ICOM). Depuis le début de l’invasion plus de 40 musées ukrainiens ont été pillés et plus de 207 sites culturels ont été détruits ou endommagés. En Pologne, en janvier 2023, l’UNESCO a formé des professionnels du domaine judiciaire et du patrimoine culturel à la lutte contre ce trafic. Le programme a permis de présenter les éléments de la liste rouge, les spécificités du patrimoine ukrainien et de traduire le guide pratique pour les autorités judiciaires et les forces de l’ordre européennes (infra), outil de référence en la matière. L’UNESCO soutient financièrement cette lutte par le biais de son Fonds d’urgence pour le patrimoine.

Par ailleurs, l’UNESCO a adopté une convention le 14 novembre 1970 qui prévoit des mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels en toutes circonstances. Pour que ce texte soit exécutoire, les États signataires doivent coopérer entre eux, intégrer les dispositions de la Convention dans leur législation et effectuer des contrôles renforcés. Les États parties sont tenus de veiller à ce que l’origine des collections des musées ne soit pas entachée d’irrégularités en prenant les mesures nécessaires lors des phases d’acquisition.

Sur le fondement de ce texte, l’Union Européenne a adopté le règlement (CE) n°116/2009 prévoyant 3 types d’autorisation d’exportation en fonction de l’origine et de l’affectation des biens culturels : une autorisation normale pour chaque exportation, une autorisation ouverte spécifique pour les exportations temporaires répétées d’un bien spécifique et une autorisation ouverte générale pour les exportations de biens culturels qui font partie d’une collection permanente.

La Convention d’UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, du 24 juin 1995, complète la Convention de l’UNESCO de 1970 en imposant un régime juridique uniforme concernant la restitution des biens culturels. Elle instaure un délai de prescription commun de trois ans à compter du moment où le demandeur découvre l’emplacement du bien culturel ou du site archéologique et cinquante ans à compter du moment du vol. Le possesseur de bonne foi d’un bien culturel volé a le droit à une indemnité s’il est contraint de le restituer. Il faut toutefois qu’il prouve qu’il a agi avec diligence lors de l’acquisition.

• La protection juridique des biens culturels transposée en droit interne

En France, le Code du patrimoine et le Code pénal reprennent les mesures édictées en droit régional et international. Concernant la circulation des biens culturels, l’article L114-1 du Code du patrimoine (modifié par la loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 – art. 56) prévoit une peine de deux années d’emprisonnement et une amende de 450 000 € pour toute personne qui exporte ou tente d’exporter, qui importe ou tente d’importer, de transiter, de vendre, d’acquérir ou d’échanger des biens culturels pour lesquels elle n’a pas obtenu de certificat ou d’autorisation d’exportation ou d’importation. Les auteurs de cette infraction encourent également la confiscation des biens culturels litigieux.

L’article 311-4-2 du Code pénal (crée par la loi n°2008-696 du 15 juillet 2008 – art. 34) punit le vol d’objets mobiliers classés ou inscrits, de découvertes archéologiques, de biens culturels relevant du domaine public mobilier ou exposé dans un lieu relevant d’une personne publique ou d’une personne privée assurant une mission d’intérêt général, ou dans un lieu de culte, de sept années d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende. Les peines d’amende peuvent être élevées jusqu’à la moitié de la valeur du bien volé. Dans certaines circonstances énumérées à l’article 311-4 du Code pénal (modifié par la loi n°2021-1539 du 30 novembre 2021) les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende.

L’intrusion dans des lieux historiques, culturels ou d’opérations archéologiques est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe (article R645-1 modifié par le Décret n°2010-671 du 18 juin 2010) et la destruction, la dégradation et la détérioration de biens culturels sont punies de sept années d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende (article 322-3-1 modifié par la loi n°2016-925 du 7 juillet 2016).

Le cadre législatif est complété par des actions symboliques. Le 1er février 2022 a eu lieu la Conférence pour le renforcement de la coopération européenne contre le trafic illicite de biens culturels, au Louvre, avec la participation de l’UNESCO. Trois enjeux ont été soulevés, utiliser les nouvelles technologies au service de la lutte contre ce trafic, assurer un dialogue avec des professionnels de la régulation du marché de l’art au sein de l’Union européenne, sensibiliser le grand public et surtout la jeunesse à la protection du patrimoine culturel. Ainsi, en guise d’action de solidarité et de sensibilisation, le Louvre a exposé des sculptures antiques de Libye et de Syrie issues du trafic et saisies par les douanes françaises afin de sensibiliser son public. Le rôle majeur des acheteurs a été rappelé lors de la conférence, considérant qu’ils n’ont parfois pas conscience qu’ils participent au blanchiment d’argent ou au financement d’activités criminelles et terroristes.

Pour aller plus loin :

– Télécharger l’application ID-ART sur App Store ou Google play
– Guide pratique pour les autorités judiciaires et les forces de l’ordre européennes: https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000367471.locale=fr

Marion ZIANI

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