Le rôle du notaire dans la protection du patrimoine culturel et naturel

Il convient au préalable de donner la définition du mot patrimoine, qui en réalité, revêt plusieurs sens. Il s’agit d’abord des biens que l’on tient de son héritage, mais il s’agit aussi de « l’ensemble des biens publics ou privés, matériels ou immatériels qui présentent un intérêt artistique, esthétique, historique, scientifique ou technique » (article L1 du Code du patrimoine).
Il existe également un patrimoine naturel défini par l’UNESCO en 1972 dans la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel comme « des spécificités naturelles, […] qui constituent l!habitat d!espèces animales et végétales menacées, ainsi que les sites naturels qui présentent un intérêt sur le plan scientifique, dans le cadre de la conservation ou en termes de beauté naturelle. »

Lorsque la profession de notaire est évoquée, les domaines d’activité venant assez instinctivement en tête sont le droit de la famille avec les successions notamment ou encore les ventes. Toutefois, il ne faut pas oublier que le notaire exerce une profession au croisement du droit public et du droit privé. En tant qu’officier ministériel, il lui est donné compétence et pouvoir d’agir pour la protection du patrimoine culturel et naturel en authentifiant des actes. Son rôle de conseiller juridique occupe une grande partie de ses préoccupations.
Pour garantir la protection et la conservation de ces patrimoines, le notaire dispose de plusieurs moyens d’action.

I. La protection du patrimoine culturel

Différents mécanismes peuvent être utiles pour les particuliers ou les entreprises afin d’intervenir sur leur patrimoine privé, tout en agissant pour le patrimoine culturel.

L’accompagnement du notaire dans la création d’une structure philanthropique

• Le mécénat : fondation et fonds de dotation

Le mécénat est une pratique de plus en plus courante. Il s’agit d’un moyen pour les particuliers et les entreprises de soutenir financièrement des projets dans les domaines de l’art, de la culture, de l’éducation, de la recherche, de l’environnement, ou encore de l’action sociale. Pendant longtemps, pour s’engager dans la création d’une structure recevant du mécénat, la constitution d’une fondation était obligatoire. Le régime de la fondation est régi par la loi du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat. Plusieurs types de fondations existent mais toutes consistent en l’accomplissement d’une œuvre d’intérêt général par la mise en commun d’un capital. Toutefois, son régime est très lourd avec un contrôle de la Cour des comptes notamment. Il faut compter environ deux ans pour la créer. Très concrètement, ce régime bénéficiait surtout aux grandes entreprises, le capital minimal étant d’1,5 million d’euros.

Néanmoins, en 2008, est créé le dispositif de fonds de dotation par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie. Il y est défini à l’article 140 comme « une personne morale de droit privé à but non lucratif qui reçoit et gère, en les capitalisant, des biens et droits de toute nature qui lui sont apportés à titre gratuit et irrévocable et utilise les revenus de la capitalisation en vue de la réalisation d’une œuvre ou d’une mission d’intérêt général ou les redistribue pour assister une personne morale à but non lucratif dans l’accomplissement de ses œuvres et de ses missions d’intérêt général. » Il s’agit d’un régime juridique assoupli, avec un contrôle administratif moins strict. Il ne suffit, cette fois, plus que d’un mois pour le créer. Un fonds de dotation minimal de 15 000 euros a été imposé depuis 2014. Plus de 2000 fonds de dotation existent en France dans plusieurs domaines : la culture et l’environnement en particulier.

Le notaire peut alors jouer un rôle clé de conseiller dans le mécénat en aidant à la création d’une structure permettant la sauvegarde du patrimoine culturel notamment en respectant les règles juridiques et fiscales particulières.

Le conseil du notaire dans la gratification des établissements existants

• La donation

L’intérêt de la donation est multiple, en premier lieu fiscal. En effet, depuis le régime instauré par la loi du 1er aout 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite loi Aillagon, le don des personnes physiques permet une réduction de l’impôt sur le revenu s’élevant à 66% dans la limite annuelle de 20% du revenu imposable, reportable sur 5 ans (article 200 du Code général des impôts). Pour les personnes morales, la réduction est accordée selon qu’elles soient soumises à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés. Il y a pour ces dernières un double palier : la réduction est de 60% dans la limite de 20 000 euros ou 0,5% du chiffre d’affaires annuel hors taxe pour les dons jusqu’à 2 millions d’euros, et de 40% dans la limite du même plafond pour les dons au dessus de 2 millions d’euros, également reportable sur les 5 exercices suivants (article 238 bis CGI). Le seuil des 40% a été instauré suite aux lois de finances de 2019 et 2020 pour essayer de limiter la perte budgétaire engendrée par ce régime parmi les plus avantageux d’Europe, tout en gardant des mesures tendant à favoriser la donation.

La donation est un acte authentique rédigé et authentifié par le notaire. La sécurité de la transaction est alors assurée. Tout d’abord, le notaire peut aider les donateurs à choisir l’entité qui recevra leur donation. Les donateurs peuvent souhaiter donner à une fondation, une association, une institution culturelle ou un organisme de recherche, par exemple.

Mais l’intérêt peut être philanthropique aussi. En effet, le notaire doit jouer un rôle de conseil auprès des propriétaires de biens culturels en les informant sur les dispositifs de protection existants et en les aidant à choisir les mesures les plus adaptées pour préserver le patrimoine. Le patrimoine culturel est un héritage précieux qui appartient à tous les citoyens d’un pays et sa sauvegarde est un enjeu essentiel pour les générations à venir. Plusieurs types de donations sont possibles, selon le but désiré, le notaire apporte son conseil pour répondre aux besoins de son client de manière juridique, il peut par exemple s’agir d’une somme d’argent, d’un don en numéraire destiné à soutenir un projet particulier.

Enfin, le notaire peut jouer un rôle de conseil pour les bénéficiaires du don, appelés donataires. Ils peuvent en effet avoir besoin de préconisations juridiques pour comprendre les implications fiscales et réglementaires de ces dons.

Le patrimoine culturel peut donc être valorisé par le biais de fonds privés, voici deux exemples de partenariat public-privé :

  • –  Giverny pour la maison et les jardins de Claude Monet avec la gestion par l’État du domaine via l’Institut de France. Un mécène est à l’origine des fonds privés dans le but de restaurer le jardin et l’atelier.
  • –  Chantilly et son château. Le prince israélite Aga Khan présidait jusqu’en 2020 la Fondation pour la sauvegarde et le développement du domaine de Chantilly. Il avait financé ce bâtiment à hauteur de 70 millions d’euros.

• Le legs : un simple espoir pour le légataire

Le legs est une autre pratique envisageable, il s’agit d’une libéralité faite par testament, c’est à dire qu’il s’agit d’une transmission à titre gratuit d’un ou plusieurs biens du défunt, de son vivant. Elle ne prend effet qu’au décès. Le testament est un acte unilatéral et seule la volonté du testateur le lie. À tout moment la révocation de l’acte est possible, jusqu’au décès du testateur. Le testament peut être olographe ou authentique. Certes le testament peut être valable sans l’intervention d’un notaire, toutefois, pour éviter les erreurs il est conseillé de le lui faire certifier. La générosité dont font preuve les citoyens est un bon moyen pour les collections des musées de France de s’enrichir.

• La dation en paiement

La dation en paiement, instituée par la loi du 31 décembre 1968 tendant à favoriser la conservation du patrimoine artistique national, peut se définir comme un mode exceptionnel de paiement en nature de certains impôts (droits de succession ou de mutation notamment). On paie en remettant des œuvres au lieu de verser de l’argent en numéraire. La Direction générale des Finances publiques contrôle que tous les éléments sont bien réunis. Sont notamment contrôlés la nature de l’œuvre, l’auteur, l’époque, la valeur artistique, l’état de conservation. Une fois que la DGFIP a confirmé la recevabilité de l’œuvre, elle la transmet à la Commission des dations (Commission interministérielle d’agrément pour la Conservation du Patrimoine artistique national). Elle va formuler un avis sur l’intérêt patrimonial et la valeur proposée. Si la Commission rend un avis favorable, le ministre chargé du Budget est en charge d’accepter la dation ou pas. Si il accepte, l’État devient propriétaire et l’œuvre rejoint les collections nationales.

Cette technique a notamment permis l’entrée dans le patrimoine national de L’Origine du monde de Courbet ou encore la collection du musée Picasso.
Encore une fois, le conseil du notaire est important dans ce cas.

II. La protection du patrimoine naturel

Le patrimoine naturel est également un héritage précieux qui mérite d’être protégé et conservé pour les générations futures. Il comprend les aires naturelles protégées privées et publiques, les zoos, les aquariums et les jardins botaniques, les habitats naturels, les écosystèmes marins, les sanctuaires, les réserves, notamment (Convention de L’UNESCO pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, 1972).
Le notaire doit également jouer un rôle dans la protection et la conservation de ce patrimoine. Tout d’abord, il peut être impliqué dans la rédaction et la conservation des actes juridiques relatifs aux terrains et aux espaces naturels. Puis, les notaires peuvent aider les propriétaires de terres et d’espaces naturels à mettre en place des dispositions légales pour protéger ces espaces.

• Les obligations réelles environnementales et le cas des forêts

Il faut notamment citer les obligations réelles environnementales (ORE) prévues par l’article L132-3 du Code de l’environnement. Ce dispositif créé par la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016 permet à un propriétaire de mettre un bien au service d’une cause environnementale. Concrètement, le propriétaire d’un bien va pouvoir conclure un contrat avec une association ou collectivité publique et prévoir la possibilité pour l’association d’affecter ce bien à une cause environnementale. Une association peut alors gérer la forêt d’un propriétaire privé par exemple afin de préserver la biodiversité. Il s’agit d’une restriction sur le bien qui se transmet aux héritiers, c’est-à-dire que c’est une charge perpétuelle. Le principe est d’ouvrir la propriété privée pour servir et protéger l’intérêt commun.
Le notaire peut jouer un rôle de conseiller en matière de conservation de la nature. En étant informé des lois et des réglementations applicables, le notaire peut aider les propriétaires à comprendre les options qui s’offrent à eux pour protéger leur patrimoine naturel.

En outre, Maître Benoît HARTENSTEIN expliquait lors d’une conférence les contrastes rencontrés dans un acte de vente notarié entre la prise en compte détaillée du mobilier et sa valorisation (nombre d’éléments hauts et bas dans une cuisine par exemple) et l’absence d’interêt porté aux arbres situés sur le terrain. Précurseur dans ce domaine, Maître HARTENSTEIN inclut depuis un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation en 2019 (pourvoi n°17-31.771), dans certains de ses actes de vente une clause nommée « constitution d’engagement de conservation des arbres » moyennant notamment une stipulation de pénalité pour élagage de l’arbre dans des termes non prévus à l’acte de vente.

Par ailleurs, le notaire peut devenir un acteur majeur de la protection du patrimoine naturel, la combinaison de matière touchant à ces sites tels que le droit de l’urbanisme, le droit rural ou le droit de l’environnement font de lui un professionnel privilégié dans le conseil donné aux clients quant à la faisabilité des projets d’aménagement ou de construction à proximité de zones protégées comme les zones Natura 2000.

L’action par le biais du droit rural

Ce professionnel peut jouer un rôle important dans la protection de l’environnement grâce au droit rural, qui englobe l’ensemble des règles juridiques relatives à l’agriculture, à la forêt et à la pêche maritime notamment. En matière d’agriculture, le notaire peut conseiller les agriculteurs sur les différentes normes environnementales applicables à leur exploitation agricole (par exemple, les règles relatives à l’utilisation des produits phytosanitaires ou à la gestion des déchets agricoles). Son rôle de conseiller juridique prend alors tout son sens dans la protection du patrimoine culturel.

Par ailleurs, il peut également intervenir dans la rédaction de baux, en particulier ici ruraux, en y insérant des clauses de protection de l’environnement, il peut y imposer l’utilisation de pratiques agricoles durables par exemple.

• Le cas des constructions illégales et l’inefficacité du droit de l’urbanisme

Enfin, le droit de l’urbanisme constitue une part majeure dans le quotidien du notaire. Il faut évoquer notamment l’utilisation des sols, qui est régie par le plan local d’urbanisme (PLU) et se partage entre des zones urbaines, à urbaniser, naturelles, forestières et agricoles principalement. Cette utilisation peut être néfaste pour l’environnement, notamment à cause de l’artificialisation des sols (article L101-2-1 du code de l’urbanisme) qui conduit à la disparition

d!espèces à la fois animales et végétales du fait de la transformation de leur espace naturel, une perte de biodiversité s’en traduit. La lutte contre cette artificialisation exposée dans la loi Climat et résilience du 22 aout 2021 prévoit l’objectif Zéro Artificialisation Nette dans un but de limitation de l’étalement urbain. Il est possible d’établir un parallèle entre la lutte contre l’étalement et la diminution de la délivrance d’autorisation de permis de construire. De plus en plus, les demandes individuelles d’urbanisme (permis de construire, permis d’aménager par exemple) seront difficiles à satisfaire du fait de critères de plus en plus stricts. Ne risque-t-on pas alors de voir exploser le nombre de constructions irrégulières et illégales ? Le principe n’est pas l’inconstructibilité dans les zones N et A, toutefois, ne sont admises que les constructions nécessaires à l’activité agricole en zone A et des extensions ou réfection en zone N si elles ne portent pas atteinte à la préservation des sols. Il est à noter que les sanctions du droit de l’urbanisme sont rarement la destruction de l’édifice. Certains préfèrent alors prendre le risque d’avoir une sanction pécuniaire mais de construire l’ouvrage tout de même, en prenant très peu de risque de destruction.

Le rôle du notaire est d’éclairer les parties et de les conseiller, il devra notamment rappeler les limites à la constructibilité du terrain en zone N et A. Le notaire, en sa qualité d’officier public ministériel doit remplir son obligation d’information et son devoir de conseil, dès lors, en cas de vente d’une construction irrégulière, il se doit d’en informer le potentiel acquéreur. Toutefois, il se trouve dépourvu face à la situation dans laquelle la construction a déjà été réalisée. Il faut en outre renforcer la discussion entre ce professionnel du droit et les acteurs locaux et étatiques sur cette thématique afin de prévoir des mesures adaptées dans le but que chacun participe à cette protection du patrimoine naturel.

Tamara TELLIER

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