L’obligation de déclaration des comptes à l’étranger s’étend-elle aux sociétés commerciales ? (CE, 8 mars 2023, n° 463267)

Dans une décision du 8 mars 2023, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le champ d’application de l’obligation de déclaration d’un compte à l’étranger, notamment lorsque son titulaire est une société commerciale.

Qu’est-ce que l’obligation de déclaration des comptes détenus à l’étranger ?

Dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale, l’article 1649 A du CGI prévoit en son deuxième alinéa une obligation de déclaration des comptes détenus à l’étranger par les particuliers, les associations et les sociétés n’ayant pas la forme commerciale.

Il existe par ailleurs une obligation de déclaration similaire à l’égard des comptes d’actifs numériques et des comptes d’assurance-vie.

Les modalités de l’obligation déclarative des comptes détenus à l’étranger sont précisées aux articles 344 A et 344 B de l’annexe III au CGI :

Les comptes concernés sont ceux ouverts, détenus, utilisés ou clos hors de France au cours de l’année. L’obligation vise les comptes ouverts auprès de toute personne recevant habituellement des valeurs mobilières, titres ou fonds, qu’il s’agisse d’établissements bancaires ou de tout autre organisme ou personne.

Les personnes concernées sont celles explicitement visées par le texte et considérées fiscalement comme domiciliées ou établies en France, c’est-à-dire :

  • D’une part, les associations ou sociétés n’ayant pas la forme commerciale et exerçant leur activité en France.

Cette notion recouvre notamment les sociétés de fait et les indivisions, les sociétés en participation, les sociétés civiles, les groupements d’intérêt économique (GIE) dont l’objet n’est pas commercial et les établissements de sociétés étrangères n’ayant pas la forme commerciale.

  • D’autre part, les personnes physiques domiciliées en France au sens de l’article 4 B CGI, à savoir celles qui ont en France leur foyer ou lieu de séjour principal, celles qui y exercent une activité professionnelle à titre principal et celles qui y ont le centre de leurs intérêts économiques.

L’obligation de déclaration concerne le titulaire du compte autant que le bénéficiaire d’une procuration sur celui-ci. C’est précisément cette situation que l’arrêt vient expliciter.

S’agissant des modalités déclaratives, elles consistent pour le contribuable à joindre un formulaire à sa déclaration de revenus annuelle, mentionnant distinctement chaque compte concerné ainsi que certains éléments d’identification.

S’agissant des sanctions, elles peuvent prendre la forme d’une majoration de 80 % des droits dus sur les sommes non déclarées en cas de défaut de production de la déclaration.

Lorsque ces sommes n’ont fait l’objet d’aucune autre imposition, la sanction consistera en une amende de 1500 € par compte non déclaré et de 10 000 € si le compte est situé dans un Etat n’ayant pas conclu de convention de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales avec la France.

Enfin, le troisième alinéa de l’article 1649 A du CGI instaure une présomption au bénéfice de l’Administration fiscale : les sommes, titres ou valeurs à destination de l’étranger ou qui en proviennent par l’intermédiaire de comptes non déclarés sont supposés constituer des revenus imposables. Cette présomption est simple, ce qui signifie que le contribuable peut apporter une preuve contraire en démontrant que les sommes ont déjà été imposées ou sont exonérées.

Qu’en est-il des faits d’espèce ?

En l’espèce, une société commerciale française avait fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2011 à 2013. Au cours de celle-ci, l’Administration fiscale avait constaté que le dirigeant avait créé avec son père une société basée à Chypre, présentée comme agent commercial et qui faisait office d’intermédiaire entre la société française et ses fournisseurs.

Deux points avaient été soulevés par les services fiscaux :

  • En tant qu’intermédiaire, la société chypriote refacturait ses achats à la société française, mais en appliquant une majoration de 30 % en moyenne qu’elle ne parvenait pas à justifier.
  • Les factures reçues par la société française étaient réglées par virement sur un compte ouvert en Lettonie au nom de la société chypriote, mais sur lequel le dirigeant détenait une procuration lui donnant tous pouvoirs. Par ailleurs, ce dernier avait par la suite transféré les sommes en question sur ses comptes bancaires personnels et ceux des membres de sa famille.

En se basant sur ces observations ainsi que sur un contrôle sur pièces du dirigeant datant des années 2009 et 2010, l’Administration avait procédé à deux rectifications :

  • D’une part, considérant que la prestation d’intermédiation de la société chypriote n’était justifiée ni dans son principe ni dans son montant, elle avait remis en cause la déduction pratiquée par la société française. Cette déduction correspondait à la différence entre le montant facturé par la société intermédiaire et le montant des marchandises effectivement reçues par la société française (en raison de la majoration de 30 %).

Or, en application de l’article 109, 1, 1° du CGI, les sommes réintégrées dans le résultat d’une société commerciale sont réputées distribuées au nom de leur bénéficiaire, en l’occurrence le dirigeant qui avait accès au compte de la société commerciale intermédiaire.

  • D’autre part, l’Administration avait considéré que le solde créditeur du compte letton détenu par la société intermédiaire aurait dû faire l’objet d’une déclaration par le dirigeant, en raison du fait que celui-ci détenait tous les pouvoirs sur le compte et l’avait utilisé.

En application de l’article 1649 A du CGI, les sommes non déclarées avaient été considérées comme revenu taxable entre les mains du dirigeant dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

À la suite de ces rectifications, le dirigeant et son épouse ont saisi le tribunal administratif de Paris en demandant la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils avaient été assujettis au titre des années 2009 à 2013, ainsi que des pénalités correspondantes. Le tribunal ayant rejeté leur demande, ils ont saisi la Cour administrative d’appel qui leur a donné tort à nouveau. Le couple a alors fait un recours devant le Conseil d’Etat.

Quelles sont les conclusions du Conseil d’Etat et leur portée ?

Le Conseil d’Etat rejette le pourvoi du dirigeant et confirme la position de l’Administration fiscale sur les deux fondements :

  • Sur la présomption de distribution des sommes non-admises en déduction, appliquée en vertu de l’article 109, 1, 1° du CGI, le Conseil d’Etat relève que la Cour d’appel a correctement retenu le fait que le dirigeant était seul à prendre les décisions conduisant à l’intermédiation, qu’il détenait 50 % du capital de la société intermédiaire, qu’il en était le mandataire et avait procuration sur le compte situé en Lettonie ; toutes ces circonstances faisant de lui le bénéficiaire des revenus réputés distribués.
  • Sur l’obligation de déclaration des comptes à l’étranger prévue par l’article 1649 A du CGI, le Conseil d’Etat rappelle qu’elle vise les comptes ouverts, utilisés ou clos par une des personnes mentionnées dans le texte, et ce quel que soit le titulaire du compte. Les juges précisent ensuite explicitement – et c’est là le principal apport de l’arrêt – que cette obligation trouve lieu à s’appliquer « y compris notamment si ce titulaire est une société commerciale ».

Autrement dit, si la société commerciale intermédiaire était dispensée de déclaration, le dirigeant personne physique ne pouvait en revanche y échapper, à partir du moment où il avait, en tant que bénéficiaire d’une procuration, utilisé le compte.

Il semble donc que cet arrêt n’ait pas vocation à étendre le champ d’application de l’article 1649 A CGI en introduisant à l’égard des sociétés commerciales une obligation de déclaration des comptes détenus à l’étranger. Sa portée est à circonscrire aux cas dans lesquels une personne éligible à l’obligation de déclaration a ouvert, utilisé ou clos le compte détenu par la société commerciale, notamment lorsque, comme c’était le cas en l’espèce, ces opérations témoignent d’une fraude.

Pour aller plus loin :

François-Xavier MARIE

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