Droits des détenus : le droit à affirmer une définition sexuelle

La pensée de Michel Foucault, dans son ouvrage Surveiller et punir : Naissance de la prison de 1975, a grandement influencé la réflexion autour du système pénitentiaire. En découle l’idée que les détenus doivent retrouver leurs droits fondamentaux de citoyens et conserver leur dignité humaine, même en étant incarcérés.

Dans ce contexte, il est question d’analyser un jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 31 août 2023 (n°2100430), dans lequel le juge statue sur un recours pour excès de pouvoir formé par un détenu. Ce dernier, incarcéré à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, a demandé à l’administration pénitentiaire l’autorisation de porter des vêtements féminins à l’intérieur de sa cellule. Il se dit atteint d’une dysphorie de genre. L’administration refuse et le détenu conteste cette décision devant le tribunal. 

  • Une mesure d’ordre intérieur 

Le ministre de la Justice, en défense, soutient que le refus de l’administration pénitentiaire n’est qu’une mesure d’ordre intérieur, et qu’elle est donc insusceptible de faire l’objet d’un recours. 

Les mesures d’ordre intérieur sont des actes décisoires insusceptibles de recours en raison de leur faible importance. Cette catégorie de mesures concerne principalement l’armée, les écoles et les prisons. Dans certains cas, l’impossibilité de contester a été perçue comme une atteinte au droit de recours. 

C’est dans cet esprit que les décisions du Conseil d’État de 1995, Marie et Hardouin, ont réduit le champ de ces mesures. Il est désormais possible de les contester si celles-ci « entraînent soit une atteinte sensible à des droits ou libertés protégés, soit une atteinte substantielle à la situation statutaire ou administrative de l’intéressé ». En 2007, trois autres décisions renforcent cette logique de réduction, en assouplissant les critères pour contester les mesures prises dans le milieu carcéral. (CE, 2007, Planchenault, Boussouar, Payet)

En effet, le troisième considérant du jugement rappelle que la décision de l’administration ne constitue pas un acte administratif susceptible de recours « sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et droits fondamentaux des détenus.»

  • Une nouvelle liberté fondamentale pour les détenus  

Pour déterminer si cette mesure est contestable, le juge doit regarder si elle porte atteinte à une liberté fondamentale. Dans le quatrième considérant, il affirme que « le droit à affirmer une définition sexuelle de la personne, entre autres par la tenue vestimentaire, doit être regardé comme une liberté fondamentale ».

Les libertés fondamentales des détenus sont devenues une préoccupation politique récente. De nos jours, les détenus jouissent de droits fondamentaux pendant la durée de détention, sous réserve des contraintes liées aux établissements pénitentiaires. L’effectivité de ces droits pose alors question car il est possible de restreindre l’affirmation de l’identité sexuelle d’un détenu en raison des risques d’agression.

C’est d’ailleurs l’objet d’un avis de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) le 6 juillet 2021, relatif aux détenus transgenres et leur prise en charge dans les lieux de privation de liberté. Il est fait état de conditions propices aux discriminations et aux violences dans le milieu carcéral, notamment en raison de l’hébergement non mixte. Les établissements choisissent d’affecter le détenu soit en fonction du sexe de l’état civil, soit du sexe anatomique. 

Le risque d’agression semble être un des arguments avancés par la directrice de la maison centrale en l’espèce : « le port de ces vêtements dans l’établissement serait de nature à troubler le bon ordre et à engendrer des incidents. ». En outre, il est fait mention des « menaces et insultes » et du « sentiment d’insécurité » du requérant. 

Les détenus transgenres sont considérés comme des personnes vulnérables. La Contrôleure met en lumière que le principe de séparation sexuée en prison et la problématique de la transidentité sont mal encadrés par le droit français. D’après elle, il est alors nécessaire de modifier les dispositions législatives et réglementaires, et notamment la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe, qui ne permettent pas de protéger suffisamment les personnes vulnérables dans le milieu carcéral.

  • La question du genre en droit 

Le premier considérant, reprenant les faits de l’espèce, mentionne que le requérant « indique être atteint d’une dysphorie de genre ». 

Le genre est un concept tiré de l’anglais « gender », qui est défini comme le sexe social par John Money en 1955. La théorie de l’identité de genre, développée par Robert Stoller en 1960, se définit comme la conviction d’appartenir à l’un ou l’autre sexe. Cette théorie est proche de l’identité sexuelle. De ces notions découle le transsexualisme, qui est la volonté d’appartenir à l’autre sexe que celui attribué à la naissance. 

Lors des débats parlementaires relatifs à la loi du 6 août 2012, le concept d’identité sexuelle est préféré à celui d’identité de genre dans l’article 225-1 du Code pénal, comme motif de discrimination. Certains parlementaires de l’époque craignent que l’introduction du genre entraîne une indifférenciation des sexes ainsi qu’une « remise en cause du mariage, de la famille et de la maternité fondée sur l’altérité sexuelle ». 

Pourtant, sous l’influence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 25 mars 1992, B. c/ France et CEDH, 11 juillet 2002, Goodwin c/ Royaume-Uni) et de l’ONU (Recommandation générale n°28), la théorie du genre intègre indirectement le droit français, à travers la simplification de la procédure pour la modification de l’état civil par exemple. 

Le juge mentionne en l’espèce la dysphorie de genre dont est atteint le détenu : il s’agit d’un « sentiment de détresse ou de souffrance qui peut être exprimé parfois par les personnes dont l’identité de genre ne correspond pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance. » (consultation GHU Paris psychiatrie & neurosciences)

Ainsi, la formulation de la liberté fondamentale sous l’angle de la « définition sexuelle du détenu » renvoie à cette théorie particulière. Le détenu devrait pouvoir affirmer ce choix par le port de certains vêtements. Encore faut-il que cela soit possible pour l’administration pénitentiaire, qui a également l’obligation de protéger les détenus vulnérables. 

Lorsque le juge statue sur les conclusions aux fins d’injonction, il précise qu’en raison du contexte délicat de la maison centrale, il ne peut pas enjoindre à l’administration pénitentiaire de procéder à l’autorisation du port des vêtements féminins. Il va alors simplement enjoindre à celle-ci de réexaminer la demande du détenu. 

Perrine CAMILLERAPP – M2 Droit public approfondi

Sources 

  • Surveiller et punir : Naissance de la prison, Michel Foucault, 1975
  • TA Poitiers, 31 août 2023, n°2100430
  • CE, ass, 17 février 1995 Hardouin et Marie, n°107766 et n°97754
  • CE, ass, 14 décembre 2007, Planchenault, n°290420
  • CE, ass, 14 décembre 2007, Garde des sceaux ministre de la justice c/ Boussouar, n°290730
  • CE, ass, 14 décembre 2007 Payet, n°306432.
  • CEDH, 25 mars 1992, B. c/ France, n° 13343/87
  • CEDH, 11 juillet 2002, Goodwin c/ Royaume-Uni, n° 28957/95.
  • Avis du 25 mai 2021 relatif à la prise en charge des personnes transgenres dans les lieux de privation de liberté, Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL)
  • Loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe, n° 2016-1547
  • Proposition de résolution n° 482 tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’introduction et la diffusion de la théorie du gender en France, enregistrée à la présidence de l’Assemblée Nationale le 7 décembre 2012
  • Elsa Fondimare, « Le genre, un concept utile pour repenser le droit de la non-discrimination », La Revue des droits de l’homme, 2014.

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