Le seuil d’importation du tabac en France contesté devant le Conseil d’État

Quel seuil est appliqué en France ?

Chaque année, une loi de finances proposée par le Gouvernement est adoptée par le Parlement afin de prévoir et d’autoriser l’ensemble des dépenses et des ressources du budget de l’État, dont les impositions de toute nature. On distingue la loi de finances initiale de la loi de finances rectificative qui modifie, en cours d’année, les dispositions de la loi de finances initiale. En 2020, année de la crise sanitaire due au Covid-19, quatre lois de finances rectificatives ont été adoptées.

Dans le cadre de l’examen de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, un amendement a été déposé par le Gouvernement qui visait à réduire le seuil d’importation de tabac pour les particuliers revenant d’un pays membre de l’Union européenne. Depuis la promulgation de ce texte, le 30 juillet 2020, il ne sera désormais possible de ramener, d’un pays de l’Union européenne, et pour ses besoins personnels, seulement :

  • 200 cigarettes (soit une cartouche)
  • 100 cigarillos
  • 50 cigares 
  • 250 grammes de tabac à rouler

Toute personne qui tenterait de transporter ces produits au-delà du seulil légal serait présumée comme les détenant à des fins commerciales. L’importation, l’introduction et la commercialisation en gros de tabac ne peuvent être effectuées que par des personnes ayant la qualité de fournisseurs. 

Cette réduction du seuil d’importation s’inscrit dans un objectif de « lutte contre la consommation de tabac », mais également de soutien aux buralistes puisqu’il limite les « achats de tabac manufacturés dans les pays voisins offrant une fiscalité plus légère sur les tabacs manufacturés » et renforce « les moyens juridiques de la lutte contre les trafics transfrontaliers. » Le gouvernement avançait le fait que les buralistes travaillant près des frontières étaient vulnérables face à la concurrence des pays voisins où le paquet de cigarettes est moins cher, comme en Espagne, en Belgique ou en Allemagne. Les personnes qui transporteraient ces produits dans une quantité supérieure s’exposeraient ainsi à des sanctions administratives et pénales.

Une mesure contraire au droit européen ?

Lors de l’examen de la loi, le ministre délégué chargé des Comptes publics, Olivier Dussopt, a été interrogé à l’Assemblée nationale sur la compatibilité de cette mesure avec le droit européen, et plus particulièrement, l’article 32 de la directive du 19 décembre 2019. En effet, cette directive prévoit que les États membres peuvent établir, ou non, un seuil minimum quatre fois plus élevé qu’en France, c’est-à-dire, un seuil fixé à :

  • 800 cigarettes (soit quatre cartouches)
  • 400 cigarillos
  • 200 cigares 
  • 1 kg de tabac à rouler.

Le ministre délégué a admis les difficultés juridiques que cela pouvait poser : « Nous avons conscience du caractère très offensif de notre proposition par rapport à la position européenne mais nou y voyons un moyen de faire vivre le débat sur l’harmonisation de la fiscalité… ». « Faute d’éléments permettant de pallier ce risque juridique », un rapport de la commission des finances du Sénat avait proposé de supprimer cette mesure. Un an plus tard, en octobre 2021, un rapport d’information déposé par la commission des finances de l’Assemblée nationale avait indiqué, que « l’instauration de seuils non conformes au droit de l’Union européenne génère […] un risque contentieux pour la France. ».

Il faut noter que la France avait déjà été épinglée par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), dans un arrêt du 14 mars 2013. La CJUE lui avait reproché l’utilisation du seul « critère quantitatif » pour apprécier « le caractère commercial de la détention par des particuliers de tabac manufacturé en provenance d’un autre État membre ». Ainsi, les pays de l’Union européenne doivent également tenir compte de « la nature de ces produits, l’activité professionnelle du détenteur des produits, le lieu où ces produits se trouvent, le mode de transports, ou les documents relatifs à ces produits ».

Qu’en dit le juge administratif ?

Dans une décision du 29 septembre 2023, le Conseil d’État a enjoint à la Première ministre, de prendre un décret pour fixer un seuil de conformité avec le droit européen dans un délai de six mois.

En l’espèce, dans un courrier adressé à la Première ministre, le requérant a demandé au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour fixer un seuil de conformité avec le droit européen. N’ayant pas eu de réponse après plus de deux mois, le requérant a saisi le Conseil d’État pour demander « l’annulation pour excès de pouvoir du refus implicite qui lui a été opposé, résultant du silence gardé… »

Face à la fin de non-recevoir opposée par le ministre, sa qualité pour agir lui a été reconnue dans la mesure où le requérant se prévalait de sa qualité de « consommateur de produits de tabac manufacturés ». 

Le Conseil d’État a ainsi reconnu que les seuils fixés par le Code général des impôts sont en contrariété avec le droit de l’Union européenne, et a enjoint la Première ministre de prendre un décret pour se mettre en conformité avec le droit de l’Union européenne, soit en fixant le même seuil que celui en vigueur au sein de l’Union européenne, soit en ne fixant aucun seuil.

Pierre-Maxime DUCA-DENEUVE – M2 Droit public approfondi

Sources. –

  • Conseil d’État, 3/8e, 29 septembre 2023, n°474580 l
  • Loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020
  • CJUE – C-216/11 du 14 mars 2013
  • Rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2020, adopté, par l’Assemblée nationale, pour 2020, de M. Albéric de Montgolfier n° 634
  • Rapport d’information déposé par la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, en conclusion des travaux d’une mission d’information relative à l’évolution de la consommation de tabac et du rendement de la fiscalité applicable aux produits du tabac pendant le confinement et aux enseignements pouvant en être tirés, 29 septembre 2021, n° 4498 ‘
  • La nouvelle réglementation limitant l’importation de tabac est-elle contraire au droit européen ?, Mélenn Gautier, 31 juillet 2020, Libération –
  • Tabac : le nombre de cartouches de cigarettes qu’il est possible de ramener en France pourrait augmenter, 05 octobre 2023, Le Parisien
  • « Ce n’est jamais simple de gagner un litige contre l’État » : un étudiant oblige le gouvernement à augmenter le nombre de cigarettes que les voyageurs peuvent rapporter en France, Sandrine Etoa-Andegue, 05 octobre 2023, Franceinfo

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