L’agent commercial : indemnité de rupture du contrat ; la Cour de cassation modifie sa jurisprudence (Cass. com., 16 nov. 2022 n°21-10.126)

Le sénateur Jean Huchon, dans son rapport législatif n°268 au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi relatif aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants, apporte un élément de définition de l’agent commercial. D’après lui, « L’agent commercial opère au nom et pour le compte de son mandant. Il se distingue donc notamment des commissionnaires qui agissent pour le compte d’autrui mais en leur nom propre. »

Il ajoute, à propos de la cessation de son activité « En outre, l’agent n’agit pas pour son compte mais pour celui du mandant auquel il apporte le concours de son entreprise. Lorsque le mandat est rompu, il perd le bénéfice de son activité antérieure, et subit un préjudice important. »

Autrement dit, l’indemnité découlant de la rupture du contrat d’agence commerciale, vient compenser le préjudice subi dû à la perte de la clientèle qu’il exploitait par ce contrat. C’est sur cette indemnité, que la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation s’est penchée dans un arrêt du 16 novembre 2022. Il convient toutefois de rappeler ce qu’est un agent commercial, avant d’aborder la question de l’indemnité de rupture à laquelle il a droit (ou non) en cas de cessation des relations contractuelles.

  1. Qu’est-ce qu’un agent commercial ?

L’article L.134-1 du Code de commerce définit l’agent commercial comme étant « un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage ou de services, est chargé de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux »

Il s’agit d’une profession civile et indépendante dont l’objet est d’accomplir des mandats permanents. Du fait de son caractère civil, l’agent commercial agit au nom et pour le compte du mandant. Autrement dit, il n’agit pas pour son propre compte et n’a donc pas la qualité de commerçant.

  1. Quelle conséquence financière emporte la rupture du contrat pour l’agent commercial ?

La caractéristique de profession civile pour l’agent commercial emporte une autre conséquence qui n’est pas des moindres : l’agent commercial n’est pas « propriétaire » de sa clientèle. Par conséquent, lors de la rupture du contrat d’agence commerciale, l’agent bénéficie d’une indemnité de rupture, en vertu de l’article L.134-12 du Code de commerce.

Toutefois, l’article L.134-13 du même code prévoit des exceptions. En effet, cette indemnité n’est pas due dans trois cas. D’abord, lorsque l’agent commercial a commis une faute grave, ensuite en cas de rupture du contrat à l’initiative de l’agent (sauf circonstances imputables au mandant ou en raison de l’âge, la maladie, l’infirmité de l’agent), puis dans le cadre d’une cession de contrat.

  1.  Quid du mandant qui découvre une faute grave de l’agent après la rupture du contrat ?
  1. S’agissant de l’indemnité compensatrice de rupture du contrat
  • La position initiale de la Cour de cassation face à l’interprétation de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE)

Traditionnellement, la Cour de cassation considérait que, lorsque l’agent commercial avait commis une faute grave lors de l’exécution de son contrat avec le mandant, mais que celui-ci n’en prenait connaissance que postérieurement à la rupture des relations contractuelles, alors l’agent commercial était privé de son droit à l’indemnité compensatrice de rupture (Cass. com. 1er juin 2010 n° 09-14115, Cass. com. 19 juin 2019 n°18-11727).

Cependant, la CJUE dans un arrêt du 28 octobre 2010 Volvo Car Germany GmbH, a considéré que l’article 18 sous a), de la directive européenne 86/653/CEE du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, étant une exception à l’article 17 de la même directive, prévoyant l’indemnité de rupture au profit de l’agent commercial, devait faire l’objet d’une interprétation stricte (Exceptio est strictissimae interpretationis). Par conséquent, elle estime que le fait pour le mandant de découvrir un manquement grave commis par l’agent commercial, de nature à rendre impossible le maintien des relations contractuelles, postérieurement à la rupture desdites relations, ne pouvait pas constituer une énième exception au droit à l’indemnité de rupture. 

En d’autres termes, en raison de l’adage selon lequel les exceptions sont d’interprétations strictes, il ne convient pas de procéder à une extension de l’article 18 sous a) de la directive. En outre, lorsqu’un manquement grave a été commis par l’agent durant l’exécution du contrat d’agence commerciale, mais que la découverte s’est faite après la rupture du contrat, cela n’emporte pas privation de l’indemnité pour l’agent

De même, la Cour de Justice a également rendu un arrêt le 19 avril 2018 Conseil et Mise Relations c. Demeures terre et tradition SARL, en retenant que « l’interprétation de l’article 17 de la directive 86/653/CEE selon laquelle aucune indemnité ou réparation n’est due lorsque la rupture du contrat d’agence commerciale intervient pendant la période d’essai contreviendrait à l’objectif de cette directive ».

En l’espèce il s’agissait du cas d’une rupture durant la période d’essai, mais ce qu’il faut en retenir c’est la notion d’objectif poursuivi par la directive. En effet, la Cour de Justice interprète favorablement la directive de 1986 au profit des agents commerciaux, de sorte que le droit à l’indemnité de rupture se trouve généralisé à pratiquement toute rupture (excepté les cas visés par l’article 18 sous a). 

  • La modification de la position jurisprudentielle de la Cour de cassation

En raison de ces arrêts rendus par le juge de l’Union, la Haute juridiction a alors dû aligner sa jurisprudence. Par un arrêt du 16 novembre 2022, la chambre commerciale admet désormais que l’agent commercial qui a commis un manquement grave, de nature à rendre impossible le maintien des relations contractuelles, de sorte que cela porterait atteinte à l’intérêt commun du mandat (Cass. com., 29 juin 2022, n° 20-13.228 sur la définition de la faute grave), durant l’exécution du contrat d’agence commerciale, mais dont la découverte par le mandant s’est faite postérieurement à la rupture, n’emporte pas privation du droit à indemnité pour l’agent commercial.

La Cour de cassation opère alors un revirement de jurisprudence, de sorte que la généralisation du droit à l’indemnité pour l’agent commercial se trouve davantage renforcée. Il semblerait effectivement, que la découverte qui est postérieure à l’extinction du contrat, ne peut pas avoir un effet rétroactif sur l’indemnité qui découle de la rupture, de sorte que le droit à indemnité ne peut pas être remis en cause après la rupture. Il est également envisageable d’aller sur le terrain de la préservation d’un droit acquis, obtenu lors de la rupture des relations contractuelles, et que la découverte postérieure par l’employeur de la faute grave, ne peut pas remettre en cause ce droit.

Toutefois, il apparaît juridiquement curieux de protéger un agent commercial qui a le statut d’indépendant, tandis que le Voyageur Représentant Placier (VRP), voit son indemnité de clientèle limitée, notamment en cas de rupture des relations contractuelles durant la période d’essai. Ce VRP est également un intermédiaire dans les opérations de distribution simples et un représentant de commerce dont la mission est identique à celle d’un agent commercial, à la différence près que son régime est régi par les dispositions du Code du travail, (article L.7311-1 à L.7313-18) car il ne dispose d’aucune autonomie, et ce, en raison de son assimilation au statut de salarié. Quoique, les professionnels indépendants ne se plaindront probablement pas d’avoir une meilleure protection que celle d’un statut en théorie davantage protecteur (VRP).

  1. S’agissant du droit à commissions après l’extinction du contrat

Enfin, la chambre commerciale a censuré l’arrêt d’appel qui rejetait la demande de l’agent commercial, de la communication des documents comptables afin de vérifier les bons calculs des commissions qui lui sont dues. 

En effet, l’article L.134-7 du Code de commerce prévoit qu’à l’extinction du contrat d’agence commerciale, lorsqu’une opération est conclue postérieurement entre le mandant et un client, et sous réserve que cette conclusion soit intervenue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, est principalement due à l’activité de l’agent, donc avant l’extinction du contrat, il a alors le droit à une commission

La notion de délai raisonnable doit être entendue au sens du rythme habituel des commandes passées. Par conséquent, le juge doit opérer une analyse subjective pour apprécier le caractère raisonnable ou non du délai. Par exemple, un délai de six mois sera considéré comme raisonnable s’agissant de produits de béton, tandis qu’il ne le sera pas pour des produits de prêt-à-porter.

De même, l’article R.134-3 du même code prévoit que le mandant doit remettre à l’agent commercial un relevé des commissions dues mentionnant les éléments et la base sur lesquels la commission a été calculée. L’alinéa 2 de cet article prévoit également, que l’agent dispose d’un droit d’exiger de son mandant les documents nécessaires afin de vérifier le montant des commissions dues.

Nicolas GROSPERRIN–DOURLENS M2 DAF

Pour aller plus loin :

Arrêt Cass. com. 16 novembre 2022 (21-17.423) : https://www.courdecassation.fr/decision/63748df940f124dcd102fbe6?search_api_fulltext=21-17423+&op=Rechercher+sur+judilibre&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=all&previousdecisionpage=&previousdecisionindex=&nextdecisionpage=&nextdecisionindex=

Directive européenne 86/653/CEE sur les agents commerciaux : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:31986L0653&from=FR#d1e620-17-1

Arrêt CJUE 28/10/2010 Volvo Car Germany GmbH : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A62009CJ0203

Chapitre IV : Des agents commerciaux : article L.134-1 à L.134-17 du Code de commerce : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000005634379/LEGISCTA000006146035/#LEGISCTA000006146035

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