Manque d’intimité, insalubrité des lieux de détention, absence de soins et d’activités… L’indignité des conditions de détention dans les prisons françaises continue d’alerter la Cour européenne des droits de l’homme.
Il y a 3 ans, la France se voyait condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme dans le fameux arrêt J.M.B et autres c/ France, en date du 30 janvier 2020 (CEDH 30 janv. 2020, J.M.B. et autres c. France, n° 9671/15 et 31 autres). L’État français était condamné sur le fondement de l’article 3 de la Convention, car les détenus ne disposaient pas, notamment, d’un espace personnel au moins égal à 3m2, la présence de nuisibles tels que des rats, le manque d’aération au sein des cellules, ou encore, le non-cloisonnement, dans la cellule, entre l’espace personnel et les sanitaires. L’État français était également condamné sur le fondement de l’article 13 de la Convention puisque la Cour relevait qu’il n’était pas démontré que les voies de recours établies par le Gouvernement étaient effectives en pratique. Les détenus ne disposaient d’aucun moyen effectif de mettre fin à leurs conditions indignes.
Cet arrêt exhortait la France à remédier à la surpopulation et à l’indignité grandissante des prisons françaises.
I/ LES CHANGEMENTS APRÈS L’ARRÊT JMB C/ FRANCE ?
- La Cour de cassation, le 8 juillet 2020 (Crim. 8 juill. 2020, n° 20-81.739, FS-P+B+R+I), juge que les conditions de détention indignes sont susceptibles de constituer un obstacle à la poursuite de la détention ; si la description faite par un demandeur de ses conditions personnelles de détention est suffisamment crédible.
- Le Conseil constitutionnel est saisi d’une QPC, suite à l’arrêt de la Cour de cassation en date du 8 juillet 2020 (Cons. const. 2 oct. 2020, n° 2020/858-859 QPC). Le Conseil constitutionnel établit que le législateur doit garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine. Par cette décision, le Conseil constitutionnel censure l’absence de recours préventif.
- Et enfin, le législateur dans la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 introduit un recours contre les conditions de détention indignes au sein de l’article 803-8 du code de procédure pénale qui dispose que :
« I.- Sans préjudice de sa possibilité de saisir le juge administratif en application des articles L. 521-1, L. 521-2 ou L. 521-3 du code de justice administrative, toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire en application du présent code qui considère que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine peut saisir le juge des libertés et de la détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de l’application des peines, si elle est condamnée et incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté, afin qu’il soit mis fin à ces conditions de détention indignes. »
Pourtant, à ce jour, la surpopulation carcérale en France atteint des sommets – 73 693 détenus au 1er septembre 2023 (1) – ce qui ne fait qu’accroître l’indignité des conditions de détention dans les prisons françaises.
II/ NOUVELLE CONDAMNATION DE LA FRANCE : AFFAIRE B.M ET AUTRES C/ FRANCE, 6 juillet 2023
La Cour européenne des droits de l’homme vient de nouveau condamner la France sur l’indignité des conditions de détention dans les prisons françaises (CEDH 6 juill. 2023, B.M. et a. c/ France, n° 84187/17).
En l’espèce, la Cour était saisie de six requêtes par d’anciens détenus de la maison d’arrêt de Fresnes. L’ensemble des requérants déploraient leurs conditions de détention au sein de la maison d’arrêt et l’absence de recours pour les dénoncer à un juge. Par ailleurs, cinq requêtes dénonçaient les fouilles intégrales et systématiques effectuées par les gardiens de prison, sur les détenus, à l’issue des parloirs.
Par cet arrêt, la Cour confirme son arrêt J.M.B et autres c/France et condamne de nouveau la France, en violation des articles 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme :
- Sur le recours pour mettre fin aux fouilles systématiques : la Cour rejette l’argumentation des requérants car ils n’ont pas respecté la procédure d’épuisement des voies de recours interne, mais elle rappelle que la procédure de référé-liberté constitue une voie de recours effective (en théorie et en pratique) pour stopper les atteintes à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. En l’espèce, elle juge que si les requérants avaient saisi le juge administratif d’un référé-liberté, ce recours avait une chance raisonnable de succès.
- Sur les conditions matérielles de détention et le recours effectif pour les améliorer : la Cour relève que les requérants étaient détenus à la maison d’arrêt de Fresnes durant la même période que les requérants de l’arrêt J.M.B c/France. Ainsi, elle se fonde sur ce dernier arrêt pour dire que les requérants étaient eux aussi soumis à des conditions de détention indignes et qu’ils n’avaient pas disposé d’un recours effectif leur permettant d’espérer une amélioration de leurs conditions de détention au sein de la maison d’arrêt de Fresnes.
En définitive, comme dans son arrêt J.M.B c/France, la Cour conclut à une violation des articles 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle fait ainsi de son arrêt J.M.B un arrêt « quasi-pilote ».
En outre, la France est condamnée à verser, au total, aux requérants, la somme de 48 650 €.
BON À SAVOIR :
Sur le sort des prisons françaises, il est à noter que cet arrêt intervient en pleine période de discussion, au sein de l’Assemblée nationale, de la loi de programmation pour la justice 2023-2027. Sur ce point, le gouvernement refuse de mettre en place des solutions contraignantes de régulation de la population carcérale malgré l’unanimité des acteurs judiciaires et pénitentiaires (34 associations, syndicats et institutions).
Dans un document en date du 1er septembre 2023 adressé au Conseil des droits de l’homme des Nations unies (2), le Gouvernement explique que : « la France ne souhaite pas instituer un mécanisme législatif contraignant de régulation carcérale, lié à un seuil de criticité, qui pourrait attenter au principe de l’individualisation des peines et fragiliser la sécurité publique »… mais propose la création de 15 000 places de prison d’ici 2027, alors même que la juge ELÓSEGUI (dans les notes sous l’arrêt B.M c/France (3)) conseille à la France de « faire de sérieux efforts pour se conformer à la Convention » quant à la surpopulation carcérale.
Pauline Buray
Master 2 Justice, Procès, Procédures
(1) https://www.justice.gouv.fr/statistiques-mensuelles-population-detenue-ecrouee-11
(3) https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22001-225669%22%5D%7D