Dans une décision rendue le 27 octobre 2023, le Conseil constitutionnel a reconnu pour la première fois le droit des générations futures et autres peuples de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé suite à une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) renvoyée par le Conseil d’Etat.
En France, 75% de l’électricité provient du nucléaire. Cette production d’électricité est à l’origine de 30 000 m² de déchets par an. Face à cette quantité, la solution proposée est le stockage géologique profond. Or, 3% de ces déchets restent radioactifs pendant plusieurs dizaines de milliers d’années.
L’Etat a annoncé la mise en place d’un site d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure, appelé le projet Ciégo (Centre industriel de stockage géologique). Il est prévu la construction de 270 kilomètres de galeries creusées en profondeur sur les sites de la Meuse et de la Haute Marne. Un décret du 7 juillet 2022 pris par la Première ministre déclare d’utilité publique le centre de stockage de déchets nucléaires « Ciégo ». R
Le 12 mai 2023 l’association Meuse Nature Environnement, suivie d’autres associations de protection de l’environnement, forment un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat afin d’annuler ce décret, et ainsi demandent à ce que les modalités de création de ce centre de stockage soit conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution. En effet, elles estiment que la réversibilité ne vaut que pour cent ans et compromet le droit des générations futures de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Elles invoquent également le principe de solidarité entre les générations.
Par une décision de renvoi du 2 août 2023, le Conseil d’Etat renvoie la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel car il estime que la question est nouvelle.
Une question prioritaire de constitutionnalité est un droit qui permet à tout justiciable de contester une disposition législative, déjà entrée en vigueur, s’il estime que celle-ci porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Il n’est pas possible de saisir directement le Conseil constitutionnel. En effet, la question est soulevée lors d’un procès devant la juridiction administrative ou judiciaire. La question de conformité peut ensuite être renvoyée, par la juridiction saisie, au Conseil constitutionnel si elle remplit les trois conditions prévues :
- Tout d’abord, la disposition doit être applicable au litige,
- Elle ne doit pas déjà avoir été déclarée conforme à la Constitution
- Enfin, la disposition doit être nouvelle ou présenter un caractère sérieux. Il
La question qui se pose ici est celle de savoir si l’article 542-10-1 du code de l’environnement, qui encadre le stockage des déchets nucléaires, est conforme à la Constitution et plus précisément, à l’article premier de la Charte de l’environnement ainsi qu’au septième alinéa de son préambule.
L’article 1er de la Charte prévoit que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Puis, le 7e alinéa de son préambule dispose que « afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».
Le Conseil constitutionnel juge les dispositions conformes à la Constitution. En d’autres termes, le stockage en couche géologique n’est pas contraire au droit des générations futures à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé et ne compromet pas la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins.
Toutefois, le Conseil constitutionnel reconnaît que la durée de vie des déchets stockés est susceptible de porter une atteinte grave à l’environnement. Donc, il assortit le législateur d’une obligation. En effet, « le législateur, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement, doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard ».
Le juge prévoit alors trois conditions pour rendre légale l’atteinte à l’environnement afin de garantir au mieux le droit des générations futures. Tout d’abord, l’atteinte à l’environnement doit être limitée, puis elle doit être justifiée par un motif d’intérêt général. Enfin, elle doit être proportionnée par l’objectif poursuivi par le législateur. Par cette décision, le Conseil constitutionnel étend alors son contrôle, en tenant compte de la répartition de la charge entre les générations présentes et les générations futures.
En réalité, d’après Arnaud Gossement, Docteur en droit public et avocat, le Conseil constitutionnel ne crée pas un nouveau droit autonome aux générations futures mais il s’agit d’une interprétation du droit de vivre dans un environnement sain déjà consacré pour les générations actuelles.
Cependant, le Conseil constitutionnel ne répond pas sur la question de la reconnaissance constitutionnelle du principe de solidarité et de fraternité entre générations.
Nous pouvons constater l’importance de cette décision par son application par les juridictions de premier degré. En effet, le 7 novembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a appliqué pour la première fois la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans les faits, il s’agissait du confinement définitif de 42 000 tonnes de déchets toxiques sur les sites d’enfouissement des anciennes mines de potasse d’Alsace. Dans sa décision, le tribunal administratif a affirmé l’illégalité de la décision en estimant que le stockage de ces déchets est contraire à l’article 1er de la Charte de l’environnement et donc au droit des générations futures.
Les générations futures c’est quoi ?
Il s’agit, d’après les rédacteurs des principes de Maastricht, des « générations qui n’existent pas encore mais qui existeront et qui hériteront de la Terre ». Il est alors nécessaire de les différencier des générations actuelles, qui occupent en ce moment la Terre, et des générations passées qui ont bénéficié de la Terre auparavant.
C’est la premièreYon fois que le Conseil constitutionnel se prononce sur l’existence et la teneur que la Constitution accorde aux générations futures. Néanmoins, la notion n’est pas nouvelle.
En effet, on peut faire apparaître le terme de « générations à venir » dès 1720 avec la Constitution de la nation Iroquoise. Celle-ci dispose qu’il faut « regarder et écouter le bien-être du peuple tout entier et avoir toujours en vue non seulement la génération actuelle mais aussi les générations à venir ». Il est difficile d’imaginer l’intégration d’un droit qui devrait être consacré dans le futur. Mais l’interrogation relative aux droits des générations futures est apparue après la Seconde Guerre mondiale, notamment dans les années 1970 du fait des préoccupations écologiques et environnementales. Il a fallu attendre la conférence de Stockholm en 1972 pour voir émerger un droit des générations futures.
Il convient à présent de se demander quels sont les droits des générations futures. Nous pensons naturellement au droit de l’environnement, qui est apparu le premier et fait le plus parler de lui. Mais, il ne faut pas oublier que cela concerne également le patrimoine culturel ou bien le droit de la bioéthique.
Enfin, on peut se demander quels sont les titulaires du droit des générations futures, c’est-à-dire, à qui il s’applique et qui peut s’en prévaloir. Ainsi, il est intéressant d’observer que ce droit ne s’applique pas uniquement pour les individus. Effectivement, il s’applique également aux espèces animales ou encore aux fleuves. Concernant les espèces animales, la cour administrative de Bordeaux reconnaît le 31 janvier 2023 que les mammifères marins ont le droit de vivre dans un environnement sain. Concernant la nature, la Cour suprême colombienne reconnaît le 5 avril 2018 que le fleuve d’Amazone bénéficie de ce droit.
Manon SIMON – M2 Droit public approfondi
Sources
- Décision du Conseil constitutionnel, n°2023-1066 QPC du 27 octobre 2023, Association Meuse nature environnement et autres
- Site officiel du projet Cigéo
- Le droit à un environnement sain et équilibré, consacré par la Charte de l’environnement, est celui des générations actuelle et futures ainsi que des autres peuples (Conseil constitutionnel, 27 octobre 2023, Association Meuse nature environnement et autres, n°2023-1066 QPC), Arnaud Gossement, 27 octobre 2023
- Djemni Wagner Sonya, Droit(s) des générations futures, Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice, Paris, mars 2023