La nullité des décisions collectives violant les dispositions statutaires dans une SAS (Cass. Com., 15 mars 2023, n°21-18.324, Larzul II)

Par un arrêt du 15 mars 2023, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a affirmé que les décisions collectives prises en violation des statuts d’une société par actions simplifiée peuvent faire l’objet d’une annulation sur le fondement de l’article L.227-9, al.  4 du Code de commerce. La publication de cette décision au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation témoigne de son importance. Pour analyser cette décision (III), il convient d’abord de rappeler les spécificités de cette forme sociale (I) et la jurisprudence antérieure (II). 

I – Les caractéristiques de la société par actions simplifiée (SAS)

La SAS est une forme de société par actions qui a fait son apparition en droit français avec la loi n° 94-1 du 3 janvier 1994. A l’origine réservée aux personnes morales, elle était un outil pour permettre d’abriter les filiales des grands groupes de sociétés. La loi du 12 juillet 1999 sur l’innovation et la recherche a permis aux personnes physiques de s’associer au sein d’une SAS et a créé la SAS unipersonnelle (SASU). 

La SAS, contrairement à la société anonyme (SA), n’est régie que par peu de textes. Un renvoi est opéré aux dispositions de la SA dans la mesure où ces règles sont compatibles (art. L.227-1 c. com.). L’application des règles régissant la SA n’est pas obligatoire, le Code de commerce prévoit que ces règles sont supplétives. Les associés ont le choix d’appliquer les règles de la SA dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières de la SAS et sous réserve des exceptions prévues par la loi (L.227-1 c. com.). L’intérêt de la SAS est qu’elle laisse une grande place à la liberté contractuelle. Ainsi, par exemple, les statuts fixent librement le capital social, il n’y a pas de montant minimum requis bien que par principe la loi impose aux sociétés par actions un capital social d’au moins 37 000 €. Ils déterminent les conditions dans lesquelles la société est dirigée (article L.227-5 c. com.), la seule obligation étant de désigner un Président qui engage et représente la société à l’égard des tiers (art. L.227-6 c. com.). Au même titre, les statuts déterminent librement le champ, les formes et les conditions des décisions qui doivent être prises collectivement (art. L.227-9 c. com.). 

Cette souplesse dans son fonctionnement fait de la SAS une forme sociale très populaire, selon l’INSEE, 65% des sociétés constituées en 2022 étaient des SAS (1).

II – Jurisprudence antérieure 

En principe, en vertu de l’article L.235-1, al. 2 du Code de commerce, la nullité d’un acte ou d’une délibération des organes de la société ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du Livre II du Code de commerce ou des lois régissant le contrat en général. 

La Cour de cassation appliquait strictement ce texte. Dans l’arrêt Larzul I, la Cour a affirmé “qu’il résulte de l’article L.235-1, alinéa 2, du Code de commerce que la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d’une société commerciale ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du livre II du même code ou des lois qui régissent les contrats” (Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14.855). 

Certains auteurs jugent cette solution de la chambre commerciale paradoxale car elle ne reflète pas les termes de l’article L.227-9, alinéa 4 du Code de commerce (2). L’alinéa 4 dispose que « les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé. ». Pourtant, la Cour de cassation refusait la nullité des décisions violant les statuts alors que l’alinéa premier de cet article prévoit que les statuts déterminent le champ, les formes et les conditions des décisions qui doivent être prises collectivement. 

Pour la Cour de cassation, les dispositions de l’alinéa 4 ne s’appliquaient qu’aux alinéas 2 et 3, quand bien même le texte mentionne les « dispositions du présent article » sans plus de précisions et alors que la SAS est régie par la liberté contractuelle. Si la société repose sur un contrat (les statuts), comment en garantir l’exécution si son inexécution n’est pas sanctionnée ? Les articles L.227-9 et L.235-1 restreignent tous deux le champ d’application de la nullité mais les solutions sont différentes. L’article L.235-1 ne prévoit pas la nullité pour la violation des statuts, sauf si elle résulte d’une disposition impérative du Livre II du Code de commerce, tandis que l’article L 227-9, alinéa 4 prévoit la nullité des décisions prises en violation des dispositions des précédents alinéas du même article, qui prévoient que les statuts déterminent le champ, les modalités et les conditions des décisions qui doivent être prises collectivement dans la SAS.

III – Le revirement opéré par l’arrêt Larzul II


En l’espèce, les sociétés Vectora, UGMA et FDG sont associées de la société par actions simplifiée Larzul. La société FDG, estimant avoir été privée de ses droits d’associé, a assigné la société Larzul en annulation de toutes les décisions collectives prises après le 3 avril 2012. 

La Cour d’appel de Rennes, par un arrêt du 15 juin 2021, a prononcé l’annulation des délibérations postérieures au 19 janvier 2013. La société Larzul forme un pourvoi en cassation. 

La société Larzul estime en effet, reprenant le raisonnement de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, qu’il est impossible de prononcer l’annulation d’une délibération si un texte impératif du Livre II du Code de commerce n’a pas été violé. 

La chambre commerciale, dans une réponse très détaillée, reprend la jurisprudence antérieure. Elle cite notamment la décision de 2010 pour expliquer son raisonnement. Ensuite, la Cour explique que la SAS relevant de la liberté contractuelle, son organisation et son fonctionnement relèvent des statuts. Le premier alinéa de l’article L.227-9 du Code de commerce laisse aux statuts le soin de déterminer le champ et les formes des décisions qui doivent être prises collectivement, or ces décisions sont essentielles à la vie d’une société. Ainsi, le fait de ne pas sanctionner par la nullité la prise de décision qui n’est pas conforme aux statuts représente une forte atteinte à la sécurité juridique. En effet, la SAS étant régie par peu de textes, l’ordre public va potentiellement moins entraver la liberté contractuelle, ce qui est l’intérêt principal de la SAS. Néanmoins, si les statuts peuvent déroger à la loi et si les associés peuvent déroger aux statuts, alors la situation devient dangereuse autant pour les associés que pour les tiers. Il est donc nécessaire de renforcer les mesures protectrices des statuts. 

En raison des considérations évoquées ci-dessus, la Cour de cassation opère un revirement majeur, en affirmant que « l’alinéa 4 de l’article L.227-9 du Code de commerce, institué afin de compléter, pour les sociétés par actions simplifiées, le régime de droit commun des nullités des actes ou délibérations des sociétés, tel qu’il résulte de l’article L.235-1, alinéa 2, du Code de commerce, doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d’en poursuivre l’annulation. ». 

Cette nouvelle lecture de l’article L.227-9 permet de mettre le droit positif en conformité avec le principe de liberté contractuelle qui est au centre de la SAS. Cette solution se limite à la SAS et ne peut pas être étendue aux autres formes sociales. Certains reprochent à la Cour de vouloir créer cette règle, cependant à la lecture des articles on comprend qu’elle se sert simplement de son pouvoir d’interprétation des textes et impose un nouveau prisme de lecture. Pour les SAS, à l’avenir, l’article L.227-9 alinéa 4 va s’appliquer quand bien même la nullité ne serait pas prévue par l’article L.235-1 alinéa 2 du Code de commerce. Il est possible d’apporter une autre nuance car vient s’ajouter à cela la question des décisions de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

La nullité apportée par cet arrêt est absolue, elle peut être demandée par « tout intéressé », mais elle est facultative. Le juge n’est pas obligé de prononcer la nullité dès que celle-ci est soulevée. La Cour précise que la violation doit être « de nature à influer sur le résultat du processus de décision ». Cette précision n’est pas anodine, elle ne figure pas dans l’article L.227-9. Avec cette précision, la Cour entend limiter les nullités en ajoutant une condition. Faute de précisions supplémentaires et de jurisprudences ultérieures sur le sujet, nous ne savons pas ce que la Cour considère comme étant “de nature à influer sur le résultat du processus de décision”. 

Quant à la portée, là où l’arrêt Larzul I (Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14.855) a une portée générale, l’arrêt Larzul II ne s’applique qu’aux décisions collectives des associés. Il crée un régime spécial qui prend en compte les particularités de la SAS et qui coexiste avec le régime de droit commun des sociétés commerciales qui restreint la portée des clauses statutaires en ne prévoyant pas la nullité en cas de violation. La Cour de cassation ne permet pas la nullité de tous les actes pris en violation des statuts, mais uniquement de ceux qui relèvent de l’article L.227-9 du Code de commerce. Par conséquent, la jurisprudence Larzul I a toujours vocation à s’appliquer aux actes qui sont hors du champ de l’arrêt Larzul II. 

Kevin CHABE – M1 Droit des Affaires et Fiscalité


Sources : 

  1. https://www.insee.fr/fr/statistiques/6692134#onglet-2
  1. J. Moury, SAS : revirement de jurisprudence quant à la lecture de l’article L. 227-9, alinéa 4, du Code de commerce, RTD Com. 2023, p. 391

Journal Spécial des Sociétés, supplément de juin 2023, “Larzul 2” ou l’admission de la nullité des décisions collectives d’associés violant les dispositions statutaires dans une SAS, Nour Neggaz, p.12

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