Le principe de la liberté d’affectation comptable

I/ Définition du principe de la liberté d’affectation comptable 

Le principe de liberté d’affectation comptable, communément appelé « théorie du bilan », est issu d’une jurisprudence ancienne du Conseil d’État du 24 mai 1967 à propos de l’interprétation de l’article 38-2 du Code général des impôts (CGI), relatif à la détermination du bénéfice imposable.

La liberté d’affectation comptable concerne les entreprises individuelles relevant des Bénéfices Industriels et Commerciaux (BIC), des Bénéfices Agricoles (BA) et soumis à un régime réel d’imposition.

Juridiquement, une entreprise individuelle ne possède pas de personnalité juridique et par conséquent, ne dispose pas d’un patrimoine distinct du patrimoine personnel de son exploitant individuel. Ainsi, et par dérogation au principe d’unicité du patrimoine, l’exploitant individuel dispose d’un patrimoine personnel et d’un patrimoine professionnel, et ce en application de l’article L. 123-12 alinéa 1er du Code de commerce : « Toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l’enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. ». Cette dérogation est justifiée par la nécessité d’identifier l’entreprise et d’en marquer les contours.

L’exploitant individuel a alors une liberté totale quant au choix d’affectation d’un bien : il peut décider de l’affecter dans la masse personnelle ou dans la masse professionnelle de son patrimoine. Ainsi, seront distingués les biens inscrits à l’actif du bilan de son entreprise et les biens qui ne le sont pas.

Toutefois, l’affectation de certains biens se fait automatiquement dans l’actif du bilan de l’entreprise, pour ceux qui, par nature, sont liés à l’exploitation et donc indispensables au fonctionnement de l’entreprise (le fonds de commerce, les stocks, les créances, les dettes commerciales …).

II/ Les conséquences du principe de la liberté d’affectation comptable pour un EI

La comptabilité et la fiscalité sont des domaines étroitement liés par la taxation des revenus professionnels. En effet, le calcul de l’impôt dont est redevable un professionnel se fait sur la base d’un résultat fiscal, lui-même établi selon un résultat comptable.

Par conséquent, le régime fiscal d’un bien découle de son affectation ou non à l’actif du bilan.

Dès lors, lorsqu’un bien est inscrit à l’actif du bilan de l’entreprise individuelle, son régime fiscal découle du régime d’imposition applicable à l’entreprise. Ainsi, les produits et les charges dudit bien viendront en détermination du bénéfice imposable. De même, lors de la cession du même bien, les plus ou moins values suivront le régime des plus ou moins values professionnelles.

A contrario, lorsqu’un bien n’est pas inscrit à l’actif du bilan de l’entreprise individuelle, son régime fiscal sera celui applicable aux particuliers. Par exemple, les revenus qu’il produira seront imposés, s’il s’agit de loyers, dans la catégorie des Revenus Fonciers et, lors de cessions de ces biens, les plus ou moins values dégagées suivront le régime des plus ou moins-values des particuliers.

III/ L’abandon du principe sur le plan fiscal et ses conséquences

Le droit fiscal et le droit comptable font appel à des notions communes dans la grande majorité des cas. Donc lorsque les règles sont identiques, aucune modification ne sera réalisée sur le résultat comptable qui équivaut alors au résultat fiscal imposable. 

Toutefois, lorsque les produits et les charges sont enregistrés selon des normes comptables différentes des normes fiscales, cela va entraîner une variation entre le résultat comptable et le résultat fiscal. Par conséquent, l’impôt sera calculé à partir d’un résultat comptable auquel on intégrera les divergences « fiscalo-comptable » pour tenir compte des normes fiscales en vigueur. 

La difficulté réside donc lorsque les règles comptables et les règles fiscales divergent et, à ce propos, à compter des exercices ouverts au 1er janvier 2012, une nouvelle divergence a vu le jour avec l’abandon de la théorie du bilan sur le plan fiscal.

Cette divergence « fiscalo-comptable » issue de l’article 13 de la loi n°2010-1658 du 31 décembre 2010 concerne les exploitants individuels relevant des BIC et des BA.

Désormais, si d’un point de vue comptable, la liberté demeure totale, d’un point de vue fiscal, seuls les éléments affectés à l’exploitation sont pris en compte pour la détermination du bénéfice imposable, de sorte que les éléments non affectés à l’exploitation, même s’ils sont inscrits au bilan, devront être « extournés » pour la détermination du résultat imposable de l’entreprise.

S’agissant des charges et des produits courants, l’article 155-II-1 du CGI dispose dorénavant que le bénéfice net imposable doit être diminué « des produits qui ne proviennent pas de l’activité exercée à titre professionnel » et augmenté « des charges admises en déduction qui ne sont pas nécessitées par l’exercice de l’activité à titre professionnel ». 

De ce fait, seuls les produits et les charges liés à l’exercice de l’activité professionnelle doivent être pris en compte dans la détermination du résultat imposable. 

Par exemple, les loyers provenant d’un immeuble de placement, qui par définition n’est pas affecté à l’exploitation, devront être déduits de manière extracomptable (ligne XG – déductions diverses, sur le formulaire 2058-A) et les charges provenant de ce même immeuble devront être réintégrées de manière extracomptable (ligne WQ – réintégrations diverses, sur le formulaire 2058-A).

Les produits et les charges ainsi retirés du résultat comptable relèveront de la catégorie de revenus correspondant à leur nature, soit dans notre exemple, les Revenus Fonciers, comme si les biens auxquels ils se rattachent n’étaient pas inscrits au bilan.

S’agissant des plus ou moins-values, l’article 155-II-2 du CGI dispose dorénavant que le résultat de cession doit être ventilé en distinguant la part correspondant à la durée d’affectation professionnelle du bien qui sera soumise au régime des plus ou moins-values professionnelles et la part correspondant à la durée d’affectation non professionnelle du bien qui sera soumise au régime des plus ou moins-values des particuliers.

Dans le cas où le bien est utilisé à la fois à des fins professionnelles et à des fins non professionnelles, les charges et les produits qui s’y rattachent devront être ventilés afin que la partie qui ne correspond pas à l’usage professionnel soit écartée du résultat fiscal imposable.

Toutefois, l’article 155-II-3 du CGI prévoit une possibilité pour l’exploitant individuel d’écarter la règle, et donc de revenir sur le régime applicable avant l’entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 2010. En effet, sous réserve d’une option expresse de l’exploitant en ce sens, la règle est écartée lorsque les produits non rattachés à l’exercice de l’activité professionnelle ont un caractère accessoire, c’est-à-dire lorsqu’ils ne dépassent pas 5 % de l’ensemble des produits de l’exercice. Ils pourront ainsi être imposés dans la catégorie des BIC, sans avoir à être déduits de façon extracomptable. De la même manière, les charges correspondantes n’auront pas à être réintégrées fiscalement. Toutefois, les charges ne doivent pas être supérieures aux produits, car il est en effet interdit de dégager un déficit à raison de ces biens.

Waafa Bensimoh – Master 1 Droit des affaires et Fiscalité

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