Les sûretés réelles constituées en garantie de la dette d’autrui : la controverse du « cautionnement réel »

L’avant-projet de réforme du droit des sûretés du 14 septembre 2017, porté par la commission présidée par le Professeur Michel Grimaldi, évoquait en son article 2291 la consécration d’un « cautionnement réel », comme étant une « sûreté constituée pour garantir la dette d’autrui ». L’article poursuit en disposant que « le créancier n’a d’action que sur le bien qui en forme l’objet ». 

I/ Évolutions jurisprudentielles et législatives

La problématique des sûretés réelles pour autrui, notamment celle du cautionnement réel, est intervenue à propos de la lettre de l’article 1415 du Code civil, lequel dispose « Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. » Cet article fait référence au cautionnement, sûreté personnelle, régi par les articles 2288 à 2320 du même Code. L’article 2288 le définit comme « Le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Cet article a suscité de nombreux débats, tenant à la possibilité ou non pour un époux d’engager, sans l’accord de l’autre, les biens communs. Le législateur refuse expressément qu’un tel acte puisse être passé, les biens communs ne peuvent faire l’objet d’un cautionnement qu’avec le consentement des deux époux.

La notion de cautionnement réel a fait débat, la première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 avril 1995, n°93-13.629, a admis l’extension de l’application des dispositions de l’article 1415 au cautionnement réel. En l’espèce, un époux avait constitué un nantissement sur des titres dépendants de la communauté, sans l’accord de son épouse. La Cour a déduit que cet acte était inopposable à la communauté, faute d’obtention d’accord préalable du second époux. Par cet arrêt, le régime du cautionnement réel se retrouve calqué sur celui du cautionnement personnel.

Par un arrêt du 27 octobre 1998, n°96-14.037, la chambre commerciale de la Cour de cassation réaffirme ce parallèle : “le créancier, bénéficiaire d’un cautionnement réel ou personnel, dispose à l’égard de la caution d’un droit de créance, en cas de défaillance du débiteur principal, ce droit étant limité aux biens affectés à la garantie de l’engagement, s’agissant d’un cautionnement réel ”. 

La Cour a par la suite amoindri la dureté de sa position par trois arrêts de la première chambre civile du 15 mai 2002, n°00-15.298. La sanction n’est plus seulement l’inopposabilité de la sûreté consentie sur les biens communs, mais la restriction du droit de poursuite du créancier sur les biens propres du constituant, cela dans la limite de la valeur des biens communs grevés. Le constituant peut donc constituer un cautionnement réel sur les biens de la masse commune, mais les droits du créancier ne porteront que sur la valeur de ses biens propres. 

Ensuite, par un arrêt du 2 décembre 2005, n°03-18.210, la chambre mixte de la Cour de cassation a considéré « qu’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui et n’étant pas dès lors un cautionnement, lequel ne se présume pas ». Les dispositions de l’article 1415 du Code civil ne peuvent plus être appliquées lorsqu’un bien est affecté par un des époux à la dette d’autrui, puisqu’il ne s’agit plus d’un acte de cautionnement. De fait, un créancier est fondé à saisir un bien faisant partie de la masse commune.  

La Cour opère, par cet arrêt, un revirement de sa position et refuse l’assimilation du régime du cautionnement réel à celui du cautionnement de l’article 2288. De fait, la Cour ne qualifie plus l’acte de « cautionnement réel », mais de « sûreté réelle », cela dans la volonté d’écarter toute confusion de ces deux notions. Par extension, il découle de cette décision que le constituant d’une sûreté réelle en garantie de la dette d’autrui ne peut prétendre aux bénéfices de discussion et de division, à la protection offerte par le principe de proportionnalité de l’engagement, au principe de subrogation, ou encore à l’obligation d’information annuelle dont bénéficient les cautions personnelles. Le devoir de mise en garde du garant profane est également exclu, ainsi que le formalisme tenant au consentement. 

L’ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés s’est alignée sur la jurisprudence de 2005. L’article 50 de celle-ci dispose que « Ils [les époux] ne peuvent non plus, l’un sans l’autre, affecter l’un de ces biens à la garantie de la dette d’un tiers » et a été consacré par un second alinéa à l’article 1422 du Code civil, lequel régit la disposition entre vifs et à titre gratuit, des biens de la communauté par un époux, sans l’accord de l’autre. Selon les règles de la gestion conjointe des biens communs, le principe est celui de la gestion concurrente, chaque époux a le pouvoir d’administrer et d’aliéner seul les biens communs. Par exception, relèvent de la gestion conjointe les actes dits “importants”, tel que le cautionnement réel.

Le lien entre l’ancien cautionnement réel et le cautionnement personnel étant définitivement rompu, les constituants de telles sûretés réelles ne bénéficient dès lors plus que des dispositions relatives à ce type de sûretés. 

L’ancien article 2234 du Code civil disposait « Le gage peut être consenti par le débiteur ou par un tiers ; dans ce dernier cas, le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie ». Sans parler de cautionnement réel, le législateur offrait la possibilité pour un tiers de constituer une sûreté réelle (le gage) sur ses biens propres, pour garantir la dette d’autrui. Cet article est entré en vigueur suite à la réforme de 2006, jusqu’à son abrogation à l’occasion de l’entrée en vigueur de la réforme de 2021.

Puis, par un arrêt de la première chambre civile du 7 mai 2008, n°07-11.692, la Cour de cassation refuse d’appliquer au cautionnement réel la sanction du cautionnement disproportionné. Cette solution est justifiée en ce que le cautionnement réel n’est pas un cautionnement, mais une sûreté réelle qui se trouve limitée au bien grevé, laquelle est nécessairement proportionnée aux facultés contributives de son souscripteur.

Plus tard, à l’occasion d’une nouvelle réforme du droit des sûretés, l’association Henri Capitant a constitué une commission en vue de la rédaction d’un avant-projet de réforme. Cette commission, présidée par le Professeur Michel Grimaldi, a tenté de faire réapparaitre le cautionnement réel en tant que tel. L’article 2291 de l’avant-projet du 14 septembre 2017 définissait le cautionnement réel comme une « sûreté constituée pour garantir la dette d’autrui ». Le second alinéa de cet article disposait que cette sûreté offrait une action pour le créancier uniquement sur le bien objet de la sûreté.  

Cette volonté de rétablir la notion de cautionnement réel par une première consécration législative n’a pas été reprise par l’ordonnance du 15 septembre 2021, n°2021-1192. Toutefois, un article 2325 a été ajouté au Code civil, lequel dispose que « La sûreté réelle conventionnelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers. » La sûreté réelle constituée par un tiers rappelle le cautionnement réel, sans pour autant lui conférer une valeur législative certaine. Cette référence indirecte permet cependant au constituant d’une telle sûreté de bénéficier d’une série de dispositifs dont jouit la caution (v. infra).

L’article 2325 reprend cependant l’avant-projet, puisqu’il est disposé que lorsque la sûreté « est constituée par un tiers, le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie ». La solution de l’arrêt du 15 mai 2002 est nuancée, puisque la Cour ouvrait des droits au créancier sur l’ensemble des biens propres du constituant. Aujourd’hui, seul le bien grevé est concerné. 

Le cautionnement réel n’est aujourd’hui pas consacré expressément par la loi, mais il est admis qu’une sûreté réelle pour autrui puisse relever, au moins partiellement, du régime du cautionnement. 

II/ Une sûreté hybride

La sûreté réelle pour autrui peut être qualifiée de sûreté « hybride », puisqu’elle emprunte tant aux sûretés personnelles, qu’aux sûretés réelles. 

Les sûretés personnelles, régies par les articles 2287-1 à 2322 du Code civil, sont le cautionnement, la garantie autonome et la lettre d’intention. Celles-ci consistent en l’engagement d’un tiers, qui s’oblige envers le créancier d’un débiteur principal. Il s’agit d’une sûreté personnelle, puisque la sûreté porte sur l’intervention de ce tiers, qui garantit la dette d’autrui en conférant un droit d’accès au créancier sur son patrimoine. 

Les sûretés réelles, régies par les articles 2323 à 2488-5 du même Code, portent sur des biens affectés à la garantie d’une dette envers un créancier. Celles-ci peuvent être constituées sur des biens meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, présents ou futurs. Il s’agit notamment du gage, du nantissement et de l’hypothèque. Leur source peut être légale, judiciaire ou conventionnelle ; et sont soit générales (sur l’ensemble des biens du constituant), soit spéciales (sur un ou plusieurs biens identifiés). 

La qualification d’hybride (sûreté réelle portant sur un bien et conférant un droit de préférence sur ce bien ; doublée de la qualité de sûreté personnelle en ce qu’elle permet au créancier d’accéder au patrimoine d’un tiers) se rencontre lorsqu’une sûreté est constituée, par un tiers à la dette principale, qui la garantit en offrant au créancier un droit préférentiel sur un de ses biens. Exemple : Une SCI constitue une hypothèque en garantie d’une dette bancaire contractée par une société d’exploitation ayant pris à bail les locaux, objet de la sûreté réelle. L’article 2325 du Code civil prévoit que la sûreté réelle conventionnelle peut être consentie par un tiers à l’obligation principale. 

Bien qu’un droit de préférence soit octroyé au créancier, celui-ci voit son droit de poursuite restreint, puisque le même article poursuit en limitant l’action du créancier au seul bien affecté en garantie. Celui-ci ne dispose que d’un droit spécial, il ne pourra se voir attribuer aucun autre bien ou valeur. 

Cette restriction existait toutefois bien avant la réforme intervenue en la matière en 2021, puisqu’un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 27 octobre 1998, n°96-14.037, avait précisé que « le créancier, bénéficiaire d’un cautionnement réel ou personnel, dispose à l’égard de la caution d’un droit de créance, en cas de défaillance du débiteur principal, ce droit étant limité aux biens affectés à la garantie de l’engagement, s’agissant d’un cautionnement réel ». 

Comme détaillé précédemment, la sûreté réelle pour autrui n’est pas expressément calquée sur le régime du cautionnement, puisque la jurisprudence et le législateur s’y refusent. Cependant, cette sûreté se voit reconnaître différents bénéfices relevant du régime du cautionnement : 

  • le devoir de mise en garde dû par le créancier professionnel aux cautions personnes physiques en cas de disproportion de l’engagement du débiteur principal par rapport à ses capacités financières (art. 2299 C. civ.), 
  • l’obligation d’information annuelle due par le créancier professionnel aux cautions personnes physiques (art. 2302 C. civ.), 
  • le bénéfice de discussion (art. 2305 C. civ.), 
  • le recours personnel et subrogatoire contre le débiteur garanti (art. 2308 et 2309 C. civ.), 
  • le recours contre les codébiteurs de la dette garantie (art. 2310 C. civ.), 
  • le recours entre cofidéjusseurs (art. 2312 C. civ.) 
  • la libération de la caution pour cause d’extinction de la dette principale (art. 2313 C. civ.)
  • et le bénéfice de subrogation de la caution contre le débiteur principal (art. 2314 C. civ.). 

Toutefois, par deux arrêts du 5 avril 2023, n°21-18.531 et n°21-14.166, la chambre commerciale de la Cour de cassation a écarté le bénéfice des règles de la disproportion aux sûretés réelles, puisque celles-ci se caractérisent par l’absence d’un engagement personnel à garantir la dette d’autrui. L’arrêt énonce que « la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui, n’est pas un cautionnement ». 

Antérieurement à la réforme de 2021, de nombreux arrêts refusaient déjà la qualification de cautionnement du fait de cette absence d’engagement personnel, c’est pourquoi, malgré son caractère hybride, la Cour prréfère placer le « cautionnement réel » sous le régime des sûretés réelles. 

Enfin, le droit des procédures collectives veut que les constituants de sûretés réelles en garantie de la dette de l’entreprise en difficulté déclarent leur sûreté à la procédure, sous peine d’inopposabilité au débiteur pendant l’exécution du plan. Il s’agit de la lettre de l’article L.622-26, alinéa 2 du Code de commerce. 

La question des sûretés réelles constituées en garantie de la dette d’autrIui a longtemps fait débat, et suscite encore aujourd’hui des interrogations. 

Par Marine Pépin, Master 2 Droit des Affaires et Fiscalité

SOURCES : 

C. Gijsbers et P. Théry, Droit des sûretés, LGDJ, 2022, Précis Domat.

C. Hélaine, Cautionnement réel et règles sur la proportionnalité de l’engagement, Dalloz Actualité, 14 avril 2023

J-D. Pellier, Sûreté réelle pour autrui : l’exclusion des bénéfices de discussion, de division et de proportionnalité, Dalloz Actualité, 10 juin 2021

A. Bamdé, Les sûretés réelles pour autrui ou le cautionnement réel : notion et régime, 10 janvier 2022

Lamy droit des sûretés, Partie 3 « Cautionnement réel », 04/2023

H. Leyrat ., Sûreté réelle pour autrui et gestion de patrimoine, Aurep actualités,14 avril 2023

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