La rémunération excessive des dirigeants

Depuis les années 2000, les affaires internationales se sont intéressées aux rémunérations des dirigeants de sociétés. Compte tenu de sagas judiciaires – en particulier celles de Vivendi Universel et d’Air Lib -, la Commission des lois de l’Assemblée nationale, a décidé, en 2003, de soumettre à la mission d’information sur la réforme des sociétés la question de la rémunération des dirigeants. De facto, une proposition de loi en date du 4 février 2004 préconise une plus grande transparence des rémunérations dans les sociétés cotées. 

Non sans reste, d’éminents économistes américains en réaction à l’affaire Enron ont souhaité mettre un terme à de pareils excès. Dès lors, s’est créée la Commission « pour le retour de la confiance dans les entreprises privées », militant en faveur du partage des risques financiers entre les dirigeants et les investisseurs. En définitive, ce consortium a demandé aux sociétés de relier les rémunérations de leurs mandataires sociaux à leurs performances économiques. 

Malgré ces avancées, le législateur n’a pas été enclin à disposer sur le sujet et notamment à définir intelligiblement la notion de rémunération excessive du dirigeant. L’apport législatif le plus proche d’une définition est l’article 39-1-1° alinéa 2 du Code général des impôts qui prévoit que : 

« les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l’importance du service rendu. Cette disposition s’applique à toutes les rémunérations directes ou indirectes, y compris les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursements de frais. » 

Mais avant toute chose, qu’entend-on exactement par « rémunération » ? 

Premièrement, il faut distinguer trois principales catégories de rémunération. 

Primo, la rémunération stricto sensu, fixe ou variable, que l’on verse mensuellement à chaque dirigeant et qui se trouve parfois soumise à des scandales publics du fait de son montant. 

Secundo, la rémunération correspondante aux mécanismes d’intéressement, tels que les stock-options ou les actions gratuites, qui ont pour but de stimuler la motivation des dirigeants par un accès au capital. Sous-entendu spéculatif, ce statut de rémunération est d’autant plus décrié que le précédent. 

Tertio, la rémunération peut prendre la forme d’avantages financiers accordés aux dirigeants au moment de la cessation de leurs fonctions. L’on reconnaît ici les parachutes dorés – indemnités de départ conventionnelles ou transactionnelles, retraites complémentaires ou retraites-chapeaux… – consentis aux mandataires sociaux dans le but de les remercier de leurs services.

En raison de cette législation sibylline apparaît alors un obstacle : comment constate-t-on au sein de cette nébuleuse l’excès afin de déterminer quelle limite ne pas dépasser ? 

Il s’ensuit non pas un groupement de textes applicables, mais un éparpillement du droit positif de l’excès (I) qui entraîne des sanctions (II) quand cela s’avère nécessaire.

I. La notion d’excès dans le droit positif

Sans réel guide législatif, la jurisprudence a dégagé différents critères permettant la constatation de l’excès. 

Dès lors, le premier critère utilisé par les juges pour évaluer le caractère pléthorique des rémunérations est la comparaison des rémunérations allouées par l’entreprise à celles d’un personnel similaire ou par des entreprises similaires à un personnel occupant des emplois analogues. Non sans avantage, ce critère permet de garder une certaine objectivité vis-à-vis de l’entreprise, qui n’est pas laissée à la seule discrétion de l’administration. Nonobstant, il suppose que les éléments de comparaison soient réellement significatifs, sans pour autant exiger des éléments de comparaison parfaitement identiques. Afin de permettre à l’entreprise d’apprécier les comparaisons faites par l’administration, tout en respectant le secret de l’impôt, l’administration doit indiquer au contribuable le nom des entreprises retenues en référence, ainsi que leur chiffre d’affaires et leur résultat, exposés sous forme d’une moyenne. 

Le deuxième critère d’évaluation du caractère excessif des rémunérations se retrouve dans la situation personnelle de la société contrôlée. Il est alors tenu compte de la nature et de l’importance des affaires traitées par la société, ainsi que du montant et de l’évolution du chiffre d’affaires ou du bénéfice déclaré. En effet, il n’y a rien d’excessif à des rémunérations importantes lorsque la société réalise un chiffre d’affaires lui-même important ; de la même manière n’est pas considérée comme excessive l’augmentation importante des rémunérations consécutives à l’augmentation importante du chiffre d’affaires ou des bénéfices. En outre, ce critère repose notamment sur la notion d’intérêt social de l’entreprise. En effet, l’article 39-5 du Code général des impôts dispose que les rémunérations ne sont déductibles que dans la mesure où elles ne sont pas excessives et qu’elles ont été engagées « dans l’intérêt direct de l’entreprise ». Il en résulte, si tel n’est pas le cas, une réintégration des rémunérations excessives au sein du bénéfice de la société. 

Enfin, un dernier critère réside dans l’importance des fonctions du dirigeant. À cet égard, seront prises en considération, la compétence exceptionnelle des dirigeants notamment dans le développement de l’entreprise, la concentration des pouvoirs entre leurs mains ou le cumul des fonctions au sein de l’entreprise. 

Nonobstant, un critère en droit fiscal détonne plus que les autres, il s’agit de l’exercice d’un travail effectif et des responsabilités en rapport avec les aptitudes du dirigeant. La jurisprudence fiscale attache une importance capitale au critère du service rendu, raison pour laquelle c’est à l’entreprise qu’il appartient de justifier le travail effectif du dirigeant de la société, c’est pourquoi « Parmi les divers éléments permettant de caractériser une rémunération excessive, figurent notamment les aptitudes personnelles et professionnelles du dirigeant ainsi que l’étendue de son activité et la réalité du service rendu […] ».

Si ces divers éléments permettent ainsi d’évaluer le caractère exagéré ou non des rémunérations, il semble que le facteur essentiel soit la comparaison avec des entreprises similaires, avec un usage seulement à titre supplétif des autres critères. Ainsi, le Conseil d’État a jugé que, quelle que soit l’importance des constatations relatives au caractère excessif des rémunérations, ces dernières ne peuvent être retenues à défaut de la production d’éléments de comparaison. Pour autant, par outrecuidance le premier critère s’est fait rattraper par ses homologues et la Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 3 octobre 2023, a validé la suppression de rémunération du président d’honneur d’une société, au motif que « les conditions nécessaires à l’exécution de la décision de rémunération ne sont plus réunies en raison d’une perte de confiance ou encore s’il résulte des difficultés économiques rencontrées par la société qu’elle est devenue une charge excessive pour celle-ci ». 

Toutefois, lorsque ces critères sont appliqués et qu’une rémunération excessive est constatée, la société et le dirigeant à titre personnel, sont enclins à différentes sanctions. 

II.  Les sanctions de l’excès 

Aucun texte ne prévoit la sanction de la rémunération excessive, qu’il s’agisse du droit commercial, du droit pénal ou du droit fiscal. Toutefois, les tribunaux annulent souvent cette rémunération, ou condamnent ceux qui la perçoivent ou qui l’ont indûment fixée.

L’examen de ces jurisprudences révèle que, dans la plupart des cas, le juge fonde sa décision sur des dispositions légales dont l’objet ne réside pas dans la condamnation de l’excès. En réalité, les sanctions trouvent leur justification au sein des conséquences de cet excès.

Les tribunaux utilisent fréquemment les textes du droit des sociétés pour sanctionner la rémunération excessive, en particulier ceux relatifs à la faute de gestion, à l’abus de majorité ou à l’abus de biens sociaux.

Toutefois, en la matière, la sanction fiscale d’une rémunération excessive consiste principalement en la réintégration de la fraction qui excède les limites de la normalité dans les bénéfices imposables de l’entreprise versante. Si cette entreprise est soumise à l’impôt sur les sociétés, il en résulte un redressement des déclarations qu’elle a souscrit en vertu de l’article 111-d du Code Général des Impôts. 

En ce qui concerne le dirigeant, ce dernier perd l’abattement de 10 % pour frais professionnels intégré au barème progressif de l’impôt sur le revenu. Ensuite, le montant de ses revenus distribués est imposé au prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 %. Cette requalification du surplus de la rémunération jugée excessive en revenus de capitaux mobiliers lui est notifiée par le biais de la proposition de rectification n° 2120-SD, sauf si, indépendamment de la vérification de comptabilité de l’entreprise, l’inspecteur a procédé à l’examen contradictoire de la situation fiscale personnelle (ESFP) de l’intéressé.

Cette sanction est justifiée par le fait que la rémunération, lorsqu’elle est excessive, change de nature. Au-delà des limites de la normalité, elle n’est plus considérée comme une rémunération en tant que telle, mais une distribution de revenus de capitaux. Par conséquent, les services fiscaux doivent redresser les comptes de la société dans lesquels figuraient indûment, à titre de charge, cette prétendue rémunération. Cette justification permet, par conséquent, d’affirmer que c’est bien l’excès, envisagé en tant , que tel, qui fait l’objet de ladite sanction.

Un problème se pose alors : Faut-il légiférer ? Faut-il prévoir des règles d’ordre public participant à l’exercice d’un contrôle permanent des rémunérations ? 

MAURIANGE Enzo

Pour aller plus loin

Sources : 

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