L’affaire Freeze Corleone

Dans la décision du Conseil d’État du 9 janvier 2014, Ministre de l’Intérieur / Soc. Les Productions de la Plume et Dieudonné M’Bala M’Bala, le préfet a pris une mesure de police administrative en raison des risques de troubles à l’ordre public que le spectacle de M. Dieudonné aurait pu susciter. En l’espèce, ces mesures de police portant atteinte à la liberté de réunion et d’expression, doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées.

Cette jurisprudence fait écho aux ordonnances de référé rendues récemment sur l’interdiction des concerts de Freeze Corleone à Nantes et à Paris. Dans les faits, le préfet de la Loire-Atlantique a pris un arrêté, le 29 novembre 2023, avec pour objectif d’annuler le concert du rappeur prévu à Nantes le 1er décembre.

Cette décision s’inscrit dans la logique de l’arrêté préfectoral pris par le préfet de Paris du 21 novembre 2023 qui annule également les concerts des 24 et 25 novembre. 

Sur l’arrêté du préfet de Paris du 21 novembre 2023 :

Le préfet de police de Paris a interdit la participation de Freeze Corleone au concert du collectif 667 prévu le vendredi 24 novembre et son concert au Zénith, le samedi 25 novembre. Il justifie cette interdiction en retenant un risque de troubles à l’ordre public car cet artiste est controversé et ses œuvres contiennent des « références complotistes et antisémites ».

Il ajoute que ses textes ont été soumis à de nombreux signalements judiciaires. De plus, ces concerts interviennent dans un « contexte géopolitique particulièrement tendu suite à l’attaque terroriste d’ampleur lancée par le Hamas le 7 octobre 2023 ». Certaines paroles sont controversées, telles que :

  • « RAF de la Shoah » dans son morceau « So Congo » ;
  • « J’arrive déterminé comme Adolf dans les années 30 » dans son titre « Bâton rouge » ;
  • « Je préfère être accusé d’antisémitisme que de viol comme Gérald Darmanin. » dans le morceau « Shavkat ».

La préfecture rappelle également que les forces de l’ordre seront particulièrement mobilisées les 24 et 25 novembre avec la rencontre PSG-Monaco au Parc des Princes et le concert de l’artiste congolais Fally Ipupa à Paris La Défense Arena. Il intervient dans un contexte sensible au regard de la situation politique en République démocratique du Congo et de la diaspora contre le régime en place résidant sur le territoire national. Avec la menace terroriste, le plan vigipirate et l’urgence attentat, les forces de l’ordre sont déjà grandement sollicitées.

Le préfet de Paris a estimé que les représentations de Freeze Corleone « présentent des risques de troubles graves à l’ordre public et d’atteinte à la sécurité des spectateurs, qu’il convient de prévenir par des mesures adaptées, nécessaires et proportionnées ». Ces mesures relevant de la compétence du préfet de police de Paris, il a alors décidé de prononcer l’interdiction.

Sur l’ordonnance du Tribunal administratif de Paris, le 23 novembre 2023 :

Le juge des référés, qui a dû se prononcer sur cet arrêté, suspend l’interdiction des concerts pour le vendredi 24 et le samedi 25 novembre. Il a estimé que la mesure de police administrative portait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression, à la liberté de réunion et à la liberté d’entreprendre, au titre de l’article L521-2 du Code de justice administrative.

D’une part, le juge justifie sa décision en estimant que les textes polémiques ne seront pas chantés sur scène. D’autre part, le juge a relevé que les poursuites pénales ont débouché sur un classement sans suite. Enfin, le concert de cet artiste n’avait suscité aucun trouble quelques jours auparavant.

Ainsi, selon le Tribunal administratif de Paris, la préfecture ne démontre aucun risque de troubles à l’ordre public. Cette mesure était donc disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi. 

Sur l’arrêté du préfet de la Loire-Atlantique le 29 novembre 2023 :

Le préfet de la Loire-Atlantique, dans son arrêté du 29 novembre 2023, reprend le même raisonnement pour interdire le concert du 1er décembre de Freeze Corleone. 

Cependant, certains éléments diffèrent. Il affirme dans un premier temps que le contexte est encore plus sensible du fait des rassemblements extrémistes récents, notamment le risque « d’affrontement entre les antifas de l’ultra-gauche et les partisans de l’ultra-droite », la veille. Puis, il affirme aussi que les morceaux controversés sont prévus sur scène le soir même. 

Sur l’ordonnance du Tribunal administratif de Nantes validant l’interdiction du concert du 1er décembre :

Le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes a estimé que la tenue du concert du rappeur le vendredi « ferait naître un risque avéré de commission d’une infraction » en allant alors à l’opposé de la décision du Tribunal administratif de Paris du 23 novembre. Le préfet de la Loire-Atlantique n’a donc « pas commis, dans l’exercice de ses pouvoirs de police administrative, d’illégalité grave et manifeste ».

Le juge a estimé que, compte tenu des paroles de certains morceaux devant être joués lors du concert, il existe un « risque sérieux que soient tenus des propos de nature à porter de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

Sur ce point, un constat a été effectué par un commissaire de justice. Ce dernier a attesté qu’il n’y a eu, lors des concerts de Bordeaux et de Paris, les 12 et 25 novembre 2023, « aucune infraction susceptible de porter atteinte au respect de la dignité humaine ». Néanmoins pour le juge, cela n’est pas « de nature à attester de ce qu’aucun propos répréhensible n’a été prononcé ou ne le sera, au vu de l’adhésion des participants aux propos de l’artiste, en dépit de la circonstance qu’aucun incident n’a été à déplorer ».

Ainsi, en l’espèce, le risque sérieux que soient tenus des propos de nature à porter de graves atteintes à la dignité humaine est caractérisé. Le concert de Freeze Corleone est alors reporté au 28 février 2024, en attente d’une décision du Conseil d’État. En mars 2023, ce dernier avait déjà rejeté le recours de la ville de Rennes qui voulait interdire au rappeur de se produire.

Benjamin MILLET – M2 Droit public approfondi

Sources :

  • Arrêté du préfet de Paris du 21 novembre 2023, n°2023-01427
  • Ordonnance de référé du Tribunal administratif de Paris du 23 novembre 2023, n°2326728/9 
  • Arrêté du préfet de la région des Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique du 29 novembre 2023, n° 2023-CAB-90
  • Ordonnance de référé du Tribunal administratif de Nantes du 1er décembre 2023, n°2317724
  • Conseil d’État, réf., 17 mars 2023, n°472161

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *